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«Qu'est-ce que tu marmonnes?» m'interrompit Isabelle. Je pris alors conscience que nous étions sortis de chez l'Allemand, que nous longions la mer en fait, que nous étions en train de rentrer chez nous. Depuis deux minutes, m'informa-t-elle, je parlais tout seul, elle n'avait à peu près rien compris. Je lui résumai les données du problème.

«C'est facile, d'être optimiste… conclus-je avec âpreté, c'est facile d'être optimiste quand on s'est contenté d'un chien, et qu'on n'a pas voulu d'enfants.

– Tu es dans le même cas, et ça ne t'a pas rendu franche-mentoptimiste…» remarqua-t-elle. «Ce qu'il y a, c'est qu'ils sont vieux… poursuivit-elle avec indulgence. Quand on vieillit on a besoin de penser à des choses rassurantes, et douces. De s'imaginer que quelque chose de beau nous attend dans le ciel. Enfin on s'entraîne à la mort, un petit peu. Quand on n'est pas trop con, ni trop riche.»

Je m'arrêtai, considérai l'océan, les étoiles. Ces étoiles auxquelles Harry consacrait ses nuits de veille, tandis qu'Hildegarde se livrait à des improvisations free classic sur des thèmes mozartiens. La musique des sphères, le ciel étoile; la loi morale dans mon cœur. Je considérai le trip, et ce qui m'en séparait; la nuit était si douce, cependant, que je posai une main sur les fesses d'Isabelle – je les sentais très bien, sous le tissu léger de sa jupe d'été. Elle s'allongea sur la dune, retira sa culotte, ouvrit les jambes. Je la pénétrai – face à face, pour la première fois. Elle me regardait droit dans les yeux. Je me souviens très bien des mouvements de sa chatte, de ses petits cris sur la fin. Je m'en souviens d'autant mieux que c'est la dernière fois que nous avons fait l'amour.

Quelques mois passèrent. L'été revint, puis l'automne; Isabelle ne paraissait pas malheureuse. Elle jouait avec Fox, soignait ses azalées; je me consacrais à la natation et à la relecture de Balzac. Un soir, alors que le soleil tombait sur la résidence, elle me dit doucement: «Tu vas me laisser tomber pour une plus jeune…»

Je protestai que je ne l'avais jamais trompée. «Je sais… répondit-elle. A un moment, j'ai cru que tu allais le faire: sauter une des pétasses qui tournaient autour du journal, puis revenir vers moi, sauter une autre pétasse et ainsi de suite. J'aurais énormément souffert, mais peut-être que c'aurait été mieux, au bout du compte.

– J'ai essayé une fois; la fille n'a pas voulu.» Je me souvenais d'être passé le matin même devant le lycée Fénelon. C'était entre deux cours, elles avaient quatorze, quinze ans et toutes étaient plus belles, plus désirables qu'Isabelle, simplement parce qu'elles étaient plus jeunes. Sans doute étaient-elles engagées pour leur part dans une féroce compétition narcissique – les unes considérées comme mignonnes par les garçons de leur âge, les autres comme insignifiantes ou franchement laides; il n'empêche que pour n'importe lequel de ces jeunes corps un quinquagénaire aurait été prêt à payer, et à payer cher, voire le cas échéant à risquer sa réputation, sa liberté et même sa vie. Que l'existence, décidément, était simple! Et qu'elle était dépourvue d'issue! En passant chercher Isabelle au journal j'avais entrepris une sorte de Biélorusse qui attendait pour poser en page 8. La fille avait accepté de prendre un verre, mais m'avait demandé cinq cents euros pour une pipe; j'avais décliné. Dans le même temps, l'arsenal juridique visant à réprimer les relations sexuelles avec les mineurs se durcissait; les croisades pour la castration chimique se multipliaient. Augmenter les désirs jusqu'à l'insoutenable tout en rendant leur réalisation de plus en plus inaccessible, tel était le principe unique sur lequel reposait la société occidentale. Tout cela je le connaissais, je le connaissais à fond, j'en avais fait la matière de bien des sketches; cela ne m'empêcherait pas de succomber au même processus. Je me réveillai dans la nuit, bus trois grands verres d'eau coup sur coup. J'imaginais les humiliations qu'il me faudrait subir pour séduire n'importe quelle adolescente; le consentement difficilement arraché, la honte de la fille au moment de sortir ensemble dans la rue, ses hésitations à me présenter ses copains, l'insouciance avec laquelle elle me laisserait tomber pour un garçon de son âge. J'imaginai tout cela, plusieurs fois répété, et je compris que je ne pourrais pas y survivre. Je n'avais nullement la prétention d'échapper aux lois naturelles: la décroissance tendancielle des capacités érectiles de la verge, la nécessité de trouver des corps jeunes pour enrayer le mécanisme… J'ouvris un sachet de salami et une bouteille de vin. Eh bien je paierai, me dis-je; quand j'en serai là, quand j'aurai besoin de petits culs pour maintenir mon érection, je paierai. Mais je paierai les prix du marché. Cinq cents euros pour une pipe, qu'est-ce qu'elle se croyait, la Slave? Ça valait cinquante, pas plus. Dans le bac à légumes, je découvris un Marronsuiss entamé. Ce qui me paraissait choquant, à ce stade de ma réflexion, ce n'était pas qu'il y ait des petites nanas disponibles pour de l'argent, mais qu'il y en ait qui ne soient pas disponibles, ou à des prix prohibitifs; en bref, je souhaitais une régulation du marché.