Выбрать главу

«What are you thinking?» demanda Esther au moment où nous franchissions le seuil. «Sad things…» répondis-je pensivement. Elle hocha la tête, me regarda avec sérieux, se rendit compte que j'étais réellement triste. «Don't worry…» dit-elle; puis elle s'agenouilla pour me faire une pipe. Elle avait une technique très au point, certainement inspirée par les films pornos – ça se voyait tout de suite car elle avait ce geste, qu'on apprend si vite dans les films, de rejeter ses cheveux en arrière pour permettre au garçon, à défaut de caméra, de vous regarder en pleine action. La fellation est depuis toujours la figure reine des films pornos, la seule qui puisse servir de modèle utile aux jeunes filles; c'est aussi la seule où l'on retrouve parfois quelque chose de l'émotion réelle de l'acte, parce que c'est la seule où le gros plan soit, également, un gros plan du visage de la femme, où l'on puisse lire sur ses traits cette fierté joyeuse, ce ravissement enfantin qu'elle éprouve à donner du plaisir. De fait, Esther me raconta par la suite qu'elle s'était refusée à cette caresse lors de sa première relation sexuelle, et qu'elle ne s'était décidée à se lancer qu'après avoir vu pas mal de films. Elle s'y prenait à présent remarquablement bien, jouissait de sa propre maîtrise, et jamais plus tard je n'hésitai, même lorsqu'elle me semblait trop fatiguée ou trop indisposée pour baiser, à lui demander une pipe. Immédiatement avant l'éjaculation elle se reculait légèrement pour recevoir le jet de sperme sur le visage ou dans la bouche, mais elle revenait ensuite à la charge pour lécher minutieusement, jusqu'à la dernière goutte. Comme beaucoup de très jolies jeunes filles elle était facilement indisposée, délicate sur le plan nutritionnel, et avait d'abord avalé avec réticence; mais l'expérience lui avait démontré de la manière la plus claire qu'il lui faudrait en prendre son parti, que la dégustation de leur sperme n'était pas pour les hommes un acte indifférent ni optionnel, mais constituait un témoignage personnel irremplaçable; elle s'y prêtait maintenant avec joie, et j'éprouvai un immense bonheur à jouir dans sa petite bouche.

DANIEL25,3

Après quelques semaines de réflexion je pris contact avec Marie23, lui laissant simplement mon adresse IP. Elle me répondit par le message suivant:

J'ai nettement vu Dieu Dans son inexistence Dans son néant précieux Et j'ai saisi ma chance.

12924, 4311, 4358, 212526. L'adresse indiquée était celle d'une surface grise, veloutée, soyeuse, parcourue dans son épaisseur de légers mouvements, comme un rideau de velours agité par le vent, au rythme de lointains accords de cuivres. La composition était à la fois apaisante et légèrement euphorisante, je me perdis quelque temps dans sa contemplation. Avant que j'aie eu le temps de répondre, elle m'adressa un second message:

Après l'événement de la sortie du Vide, Nous nagerons enfin dans la Vierge liquide.

51922624,4854267. Au milieu d'un paysage détruit composé de carcasses d'immeubles hautes et grises, aux fenêtres béantes, un bulldozer géant charriait de la boue. Je zoomai légèrement sur l'énorme véhicule jaune, aux formes arrondies, aux allures de jouet radiocommandé – il semblait n'y avoir aucun pilote dans la cabine. Au milieu de la boue noirâtre, des squelettes humains étaient éparpillés par la lame du bulldozer au fur et à mesure de son avancée; en zoomant encore un peu je distinguai plus nettement des tibias, des crânes.

«C'est ce que je vois de ma fenêtre…» m'écrivit Marie23, passant sans préavis en mode non codant. J'en fus un peu surpris; elle faisait donc partie de ces rares néo-humaines installées dans les anciennes conurbations. C'était un sujet, j'en pris conscience du même coup, que Marie22 n'avait jamais abordé avec mon prédécesseur; son commentaire du moins n'en portait nulle trace. «Oui, je vis dans les ruines de New York…» répondit Marie23. «En plein milieu de ce que les hommes appelaient Manhattan…» ajouta-t-elle un peu plus tard.

Cela n'avait évidemment pas beaucoup d'importance, puisqu'il était hors de question que les néohumains s'aventurent hors de leurs résidences; mais j'étais content pour ma part de vivre au milieu d'un paysage naturel, lui dis-je. New York n'était pas si désagréable, me répondit-elle; il y avait beaucoup de vent depuis la période du Grand Assèchement, le ciel était constamment changeant, elle vivait à un étage élevé et passait beaucoup de temps à observer le mouvement des nuages. Certaines usines de produits chimiques, probablement situées dans le New Jersey vu la distance, continuaient à fonctionner, au moment du coucher du soleil la pollution donnait au ciel d'étranges teintes rosés et vertes; et l'océan était encore présent, très loin vers l'Est, à moins qu'il ne s'agisse d'une illusion d'optique, mais par grand beau temps on distinguait parfois un léger miroitement.

Je lui demandai si elle avait eu le temps de terminer le récit de vie de Marie1. «Oh oui… me répondit-elle immédiatement. Il est très bref: moins de trois pages. Elle semblait disposer d'étonnantes aptitudes à la synthèse…»

Cela aussi était original, mais possible. À l'opposé, Rebeccal était célèbre pour son récit de vie comportant plus de deux mille pages, et qui ne couvrait cependant qu'une période de trois heures. Il n'y avait, là non plus, aucune consigne.

DANIEL1,15

La vie sexuelle de l'homme se décompose en deux phases: la première où il éjacule trop tôt, la seconde où il n'arrive plus à bander. Durant les premières semaines de ma relation avec Esther, je m'aperçus que j'étais revenu à la première phase – alors que je croyais depuis longtemps avoir abordé la seconde. Par moments, en marchant à ses côtés dans un parc, ou le long de la plage, j'étais envahi par une ivresse extraordinaire, j'avais l'impression d'être un garçon de son âge, et je marchais plus vite, je respirais profondément, je me tenais droit, je parlais fort. À d'autres moments par contre, en croisant nos reflets dans un miroir, j'étais envahi par la nausée et, le souffle coupé, je me recroquevillais entre les couvertures; d'un seul coup je me sentais si vieux, si flasque. Dans l'ensemble pourtant mon corps n'était pas mal conservé, je n'avais pas un poil de graisse, j'avais même quelques muscles; mais mes fesses pendaient, et surtout mes couilles, elles pendaient de plus en plus, et c'était irrémédiable, je n'avais jamais entendu parler d'aucun traitement; pourtant elle léchait ces couilles, et les caressait, sans paraître en ressentir la moindre gêne. Son corps à elle était si frais, si lisse.

Vers la mi-janvier, je dus me rendre à Paris pour quelques jours; une vague de froid intense s'était abattue sur la France, tous les matins on retrouvait des SDF gelés sur les trottoirs. Je comprenais parfaitement qu'ils refusent d'aller dans les centres d'hébergement ouverts pour eux, qu'ils n'aient aucune envie de se mêler à leurs congénères; c'était un monde sauvage, peuplé de gens cruels et stupides, dont la stupidité, par un mélange particulier et répugnant, exacerbait encore la cruauté; c'était un monde où l'on ne rencontrait ni solidarité, ni pitié – les rixes, les viols, les actes de torture y étaient monnaie courante, c'était en fait un monde presque aussi dur que celui des prisons, à ceci près que la surveillance y était inexistante, et le danger constant. Je rendis visite à Vincent, son pavillon était surchauffé. Il m'accueillit en chaussons et en robe de chambre, il clignait des yeux et mit quelques minutes avant de parvenir à s'exprimer normalement; il avait encore maigri. J'avais l'impression d'être son premier visiteur depuis des mois. Il avait beaucoup travaillé dans son sous-sol, me dit-il, est-ce que j'avais envie de voir? Je ne m'en sentis pas le courage et je repartis après un café; il continuait à s'enfermer dans son petit monde merveilleux, onirique, et je me rendais compte que personne n'y aurait plus jamais accès.