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Les fiancées du prophète étaient restées cantonnées dans leurs chambres, et tenues au courant des événements exactement au même degré que les autres adeptes; elles avaient accueilli la nouvelle avec la même foi, et attendaient avec confiance de retrouver un amant rajeuni. Je me dis un moment qu'il y aurait peut-être, quand même, des difficultés avec Susan: elle avait connu personnellement Vincent, lui avait parlé; puis je compris que non, qu'elle avait la foi elle aussi, et sans doute encore plus que toutes les autres, que sa nature même excluait jusqu'à la possibilité du doute. Dans ce sens, me dis-je, elle était très différente d'Esther, jamais je n'aurais imaginé Esther souscrire à des dogmes si peu réalistes; je me rendis compte aussi que depuis le début de ce séjour je pensais un peu moins à elle, heureusement d'ailleurs car elle ne répondait toujours pas âmes messages, j'en avais peut-être laissé une dizaine sur son répondeur, sans succès, mais je n'en souffrais pas trop, j'étais en quelque sorte ailleurs, dans un espace encore humain mais extrêmement différent de tout ce que j'avais pu connaître; même certains journalistes, je m'en aperçus plus tard en lisant leurs comptes rendus, avaient été sensibles à cette ambiance particulière, cette sensation d'attente pré-apocalyptique.

Le jour de la résurrection, les fidèles se rassemblèrent dès les premières heures au pied de la montagne, alors que l'apparition de Vincent n'était prévue qu'au coucher du soleil. Deux heures plus tard, les hélicoptères des networks commencèrent à bourdonner au-dessus de la zone – Savant leur avait finalement donné l'autorisation de survol, mais il avait interdit à tout journaliste l'accès au domaine. Pour l'instant, les cameramen n'avaient pas grand-chose à grappiller- quelques images d'une petite foule paisible qui attendait en silence, sans un mot et pratiquement sans un geste, que le miracle se manifestât. L'ambiance lorsque les hélicoptères revenaient se faisait un peu plus tendue – les adeptes détestaient les médias, ce qui était assez normal compte tenu du traitement dont ils avaient été jusqu'à présent l'objet; mais il n'y avait pas de réactions hostiles, de gestes menaçants ni de cris.

Vers cinq heures de l'après-midi, un bruissement de voix parcourut la foule; quelques chants naquirent, furent repris en sourdine, puis le silence se fit à nouveau. Vincent, assis en tailleur dans la grotte principale, semblait non seulement concentré, mais en quelque sorte hors du temps. Vers sept heures, Miskiewicz se présenta à l'entrée de la grotte. «Tu te sens prêt?» lui demanda-t-il. Vincent acquiesça sans mot dire, se leva souplement; sa longue robe blanche flottait sur son corps amaigri.

Miskiewicz sortit le premier, avança sur le terre-plein qui dominait la foule des fidèles; tous se levèrent d'un bond. Le silence n'était troublé que par le vrombissement régulier des hélicoptères immobilisés envol stationnaire.

«La porte a été franchie», dit-il. Sa voix était parfaitement amplifiée, sans distorsion ni écho, j'étais sûr qu'avec un bon micro directionnel les journalistes parviendraient à réaliser un enregistrement correct. «La porte a été franchie dans un sens, puis dans l'autre, poursuivit-il. La barrière de la mort n'est plus; ce qui avait été annoncé vient d'être accompli. Le prophète a vaincu la mort; il est de nouveau parmi nous.» Sur ces mots il s'écarta de quelques pas, baissa la tête avec respect. Il y eut une attente d'environ une minute mais qui me parut interminable, plus personne ne parlait ni ne bougeait, tous les regards étaient tournés vers l'ouverture de la grotte, qui était orientée plein Ouest. Au moment où un rayon de soleil couchant, traversant les nuages, illumina l'ouverture, Vincent sortit et s'avança sur le terre-plein: c'est cette image, captée par un cameraman de la BBC, qui devait passer en boucle sur toutes les télévisions du monde. Une expression d'adoration emplit les visages, certains levèrent vers le ciel leurs bras écartés; mais il n'y eut pas un cri, pas un murmure. Vincent ouvrit les mains, et après quelques secondes où il se contenta de respirer dans le micro qui captait chacun de ses souffles, il prit la parole: «Je respire, comme chacun d'entre vous… dit-il doucement. Pourtant, je n'appartiens plus à la même espèce. Je vous annonce une humanité nouvelle… poursuivit-il. Depuis son origine l'univers attend la naissance d'un être éternel, coexistant à lui, pour s'y refléter comme dans un miroir pur, inentamé par les souillures du temps. Cet être est né aujourd'hui, un peu après dix-sept heures. Je suis le Paraclet, et la réalisation de la promesse. Je suis pour l'instant solitaire, mais ma solitude ne durera pas, car vous viendrez bientôt me rejoindre. Vous êtes mes premiers compagnons, au nombre de trois cent douze; vous êtes la première génération de la nouvelle espèce appelée à remplacer l'homme; vous êtes les premiers néo-humains. Je suis l'instant zéro, vous êtes la première vague. Aujourd'hui nous entrons dans une ère différente, où le passage du temps n'a plus le même sens. Aujourd'hui, nous entrons dans la vie éternelle. Il sera gardé mémoire de ce moment.»