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Tard dans la nuit je me réveillai et distinguai un feu sur les rives du lac. Braquant mes jumelles dans cette direction, j'éprouvai un choc en découvrant les sauvages: jamais je n'en avais vu d'aussi près, et ils étaient différents de ceux qui peuplaient la région d'Almeria, leurs corps étaient plus robustes et leur peau plus claire; le spécimen contrefait que j'avais aperçu à mon arrivée dans le village était probablement une exception. Ils étaient une trentaine, réunis autour du feu, vêtus de haillons de cuir – probablement de fabrication humaine. Je ne pus soutenir leur vue très longtemps et partis me rallonger dans l'obscurité en tremblant légèrement; Fox se blottit contre moi, me poussant l'épaule du museau, jusqu'à ce que je m'apaise.

Le lendemain matin, à la porte du château, je découvris une valise de plastique rigide, elle aussi de fabrication humaine; incapables de mener à bien par eux-mêmes la production d'un objet quelconque, n'ayant développé aucune technologie, les sauvages vivaient sur les débris de l'industrie humaine et se contentaient d'utiliser les objets qu'ils trouvaient ça et là dans les ruines des anciennes habitations, ceux du moins dont ils comprenaient la fonction. J'ouvris la valise: elle contenait des tubercules, dont je ne parvins pas à déterminer la nature, et un quartier de viande rôtie. Cela confirmait la totale ignorance que les sauvages avaient des néohumains: ils n'étaient apparemment même pas conscients que mon métabolisme différait du leur, et que ces aliments étaient inutilisables pour moi; Fox par contre dévora le quartier de viande avec appétit. Cela confirmait également qu'ils éprouvaient à mon égard une grande crainte, et souhaitaient se concilier ma bienveillance, ou du moins ma neutralité. Le soir venu, je déposai la valise vide à l'entrée afin de montrer que j'acceptais l'offrande.

La même scène se reproduisit le lendemain, puis les jours suivants. Dans la journée, j'observais à la jumelle le comportement des sauvages; je m'étais à peu près habitué à leur aspect, à leurs traits burinés, grossiers, à leurs organes sexuels apparents. Lorsqu'ils ne chassaient pas ils semblaient la plupart du temps dormir, ou s'accoupler – ceux du moins à qui la possibilité en était offerte. La tribu était organisée selon un système hiérarchique strict, qui m'apparut dès mes premières journées d'observation. Le chef était un mâle d'une quarantaine d'années, au poil grisonnant; il était assisté par deux jeunes mâles au poitrail bien découplé, de très loin les individus les plus grands et les plus robustes du groupe; la copulation avec les femelles leur était réservée: lorsque celles-ci rencontraient un des trois mâles dominants, elles se mettaient à quatre pattes et présentaient leur vulve; elles repoussaient par contre avec violence les avances des autres mâles. Le chef avait dans tous les cas la préséance sur ses deux subordonnés, mais il ne semblait pas y avoir de hiérarchie claire entre ceux-ci: en l'absence du chefils bénéficiaient tour à tour, et parfois simultanément, des faveurs des différentes femelles. La tribu ne comportait aucun sujet âgé, et cinquante ans semblait être le maximum qu'ils pussent atteindre. En somme, c'était un mode d'organisation qui évoquait d'assez près les sociétés humaines, en particulier celles des denières périodes, postérieures à la disparition des grands systèmes fédérateurs. J'étais certain que Daniel1 n'aurait pas été dépaysé dans cet univers, et qu'il y aurait facilement trouvé ses repères.

Une semaine après mon arrivée, alors que j'ouvrais, comme à mon habitude, le portail du château, je découvris aux côtés de la valise une jeune sauvage hirsute à la peau très blanche, aux cheveux noirs. Elle était nue à l'exception d'une jupette de cuir, sa peau était grossièrement ornée de traits de peinture bleue et jaune. En me voyant approcher elle se retourna, puis retroussa sa jupe et cambra les reins pour présenter son cul. Lorsque Fox s'approcha pour la flairer elle se mit à trembler de tous ses membres, mais ne changea pas déposition. Comme je ne bougeais toujours pas, elle finit par tourner la tête dans ma direction; je lui fis signe de me suivre à l'intérieur du château.

J'étais assez ennuyé: si j'acceptais ce nouveau type d'offrande, elle serait probablement renouvelée les jours suivants; d'un autre côté, renvoyer la femelle aurait été l'exposer aux représailles des autres membres de la tribu. Elle était visiblement terrorisée, guettait mes réactions avec une lueur de panique dans le regard. Je connaissais les procédures de la sexualité humaine, même s'il s'agissait d'un savoir purement théorique. Je lui indiquai le matelas; elle se mit à quatre pattes et attendit. Je lui fis signe de se retourner; elle obéit, écartant largement les cuisses, et commença à passer une main sur son trou, qui était étonnamment velu. Les mécanismes du désir étaient restés à peu près les mêmes chez les néo-humains, bien qu'ils se fussent considérablement affaiblis, et je savais que certains avaient coutume de se prodiguer des excitations manuelles. J'avais pour ma part essayé une fois, plusieurs années auparavant, sans réellement parvenir à évoquer d'image mentale, essayant de concentrer mon esprit sur les sensations tactiles – qui étaient restées modérées, ce qui m'avait dissuadé de renouveler l'expérience. J'ôtai cependant mon pantalon, dans le but de manipuler mon organe afin de lui donner la rigidité voulue. La jeune sauvage émit un grognement de satisfaction, frotta son trou avec une énergie redoublée. En m'approchant, je fus saisi par l'odeur pestilentielle qui émanait de son entrecuisse. Depuis mon départ j'avais perdu mes habitudes d'hygiène néo-humaines, mon odeur corporelle était légèrement plus prononcée, mais cela n'avait rien à voir avec la puanteur qui émanait du sexe de la sauvage, mélange de relents de merde et de poisson pourri. Je reculai involontairement; elle se redressa aussitôt, toute son inquiétude réveillée, et rampa vers moi; arrivée à la hauteur de mon organe, elle approcha sa bouche. La puanteur était moins insoutenable mais quand même très forte, ses dents étaient petites, avariées, noires. Je la repoussai doucement, me rhabillai, la raccompagnai jusqu'à la porte du château en lui indiquant par signes de ne pas revenir. Le lendemain, je négligeai de prendre la valise qui avait été déposée pour moi; il me paraissait tout compte fait préférable d'éviter de développer une trop grande familiarité avec les sauvages. Je pouvais chasser pour subvenir aux besoins de Fox, le gibier était abondant et peu aguerri; les sauvages, peu nombreux, n'utilisaient pas d'autres armes que l'arc et la flèche, mes deux carabines à répétition constitueraient un atout décisif. Dès le lendemain je fis une première sortie et, à la grande joie de Fox j'abattis deux biches qui paissaient dans les douves. À l'aide d'une courte hache je découpai deux cuissots, laissant le reste du cadavre pourrir surplace. Ces bêtes n'étaient que des machines imparfaites, approximatives, d'une durée de vie faible; elles n'avaient ni la robustesse, ni l'élégance et la perfection de fonctionnement d'un Rolleiflex double objectif, songeai-je en observant leurs yeux globuleux, que la vie avait désertés. Il pleuvait encore mais plus doucement, les chemins redevenaient praticables; lorsque le gel aurait commencé, il serait temps de repartir en direction de l'Ouest.