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Beaucoup de gens lancent aujourd’hui leurs propos à la foule ; hommes politiques, harangueurs, prêcheurs et échotiers télévisuels s’adressent, en quelque sorte, à la cantonade… Délicate ironie des sources : souvent cela veut dire qu’ils parlent, en fait, à des coins de murs !

Faire un four

Ce four, à juste titre tant redouté par les gens du spectacle, a déjà fait couler beaucoup d’encre — noire bien entendu. Quand le four est passager, et comme accidentel — « Ce soir on a fait un four, il n’est venu personne » — c’est un moindre mal ; mais l’expression s’applique généralement à un échec définitif : la pièce a fait un four, le film a fait un four — ils ont été retirés très rapidement de l’affiche par manque de public, avec tous les désagréments financiers que cela comporte.

On y a vu des tas d’explications. Pour Littré qui donne également faire four comme usuel au XIXe siècle, l’image venait de l’obscurité de la salle les soirs où on ne jouait pas, faute de spectateurs — salle « aussi noire qu’un four. » Certains ont retenu une expérience de couveuse artificielle — un four où les œufs mis à incuber avaient cuit dur au lieu de donner des poussins ; anecdote impossible comme souvent dans ces cas-là, parce que l’expression est beaucoup plus ancienne.

M. Rat suppose un jeu de mots, sur « pièce de four », tarte ou galette, et qu’on a appelé ainsi, « au figuré, pièce de four, une pièce jouée par une température caniculaire, où le public fuyait les salles de spectacles. » Furetière ne propose rien mais il donne l’expression intacte, inchangée depuis le XVIIe siècle : « En termes de comédiens, on dit, Faire un four, pour dire qu’il est venu si peu de gens pour voir la représentation d’une pièce, qu’on a été obligé de les renvoyer sans la jouer. »

Cela arrivait donc déjà dans le bon vieux temps !…

Je crois que l’érudit Gaston Esnault fournit la véritable clef du problème. Il relève au XVIe siècle dans la langue des malfrats, le mot éclairer au sens d’« apporter de l’argent » — à cause de la brillance de l’or, je présume, peut-être même plus précisément par jeu sur les fameux « écus au soleil. » (Voir Avoir du bien au soleil, p. 279.) Toujours est-il que le mot s’employait encore au siècle dernier dans des sens dérivés ; Delvau dit « éclairer, montrer son porte-monnaie à une fille avant de l’engager », et Littré cite le respectable « éclairer le tapis, mettre devant soi la somme que l’on veut jouer. »

Donc une pièce qui « n’éclaire pas », dit G. Esnault, ne rapporte aucun argent, aucune recette. Dans ces conditions et par opposition de métaphore : « il fait noir, dont le superlatif est, comme dans un four. » Il relève dans l’argot des voleurs à la tire en 1911, faire un four, pour « ramener un porte-monnaie vide », et dans le langage des comédiens en 1866 : « avoir le vicomte du Four dans la salle, prévoir que le spectacle sera sifflé. »

Ces raisons me paraissent d’autant plus convaincantes que le four comme symbole d’obscurité — donc de « non-éclairage » — est très ancien : « Il pleuvait et gelait et faisait noir comme dans un four », au début du XVIe siècle, et Furetière dit : « On appelle figurément & hyperboliquement un four, un lieu obscur & sombre. Je ne veux point de cette chambre, c’est un four. »

D’autre part, il faut savoir que les comédiens ont toujours plus ou moins fait partie de la catégorie des gueux — et ça ne s’arrange guère ! Jusqu’à une époque récente où ils se sont recrutés dans la bourgeoisie, ils étaient d’origine et de fréquentation que d’aucuns diraient canaille, la vénalité de leur emploi les assimilant presque, les femmes surtout, au monde de la prostitution. Aux XVIe et XVIIe siècles, à la fois recherchés et mal acceptés, ils menaient une existence quasi errante, et à part les quelques vedettes des créations connues, ils vivaient dans un univers plus proche de la cour des Miracles que de celle du Louvre ou de Versailles. Il n’est donc pas surprenant qu’ils aient employé le langage codé du type « éclairer » et « faire un four » à l’instar du premier tire-laine venu.

Reste qu’il est tout de même assez ironique qu’un « four » soit précisément ce qui ne produit pas de « galette » !

Faire un bide

Plus moderne, mais non moins désagréable, est le bide, l’échec complet, qui s’emploie de plus en plus parmi les professionnels à la place du « four », calquant d’ailleurs la même construction : on a fait un bide, ou un bide noir, par glissement de « four noir. »

Au départ le bide s’applique à un échec personnel, celui du comédien qui prend, ou ramasse, ou se tape un bide, qui n’obtient pas sur le public l’effet désiré, après une tentative précise, dans un « morceau » sur lequel il comptait, pour briller un tantinet.

Le bide, naturellement, est le raccourci du bidon. Or on disait autrefois d’un acteur qui avait raté ses effets qu’il « sortait » ou « partait sur le ventre. » En effet dans l’ancien théâtre — pas si ancien d’ailleurs ! — la technique de l’entrée en scène, et surtout de la sortie, était particulièrement étudiée. Un acteur expérimenté soignait sa sortie à l’aide d’« effets spéciaux » : gesticulation fulgurante, coup de gueule magnifique, appel du pied, n’importe quoi de surprenant ou de spectaculaire qui faisait passer un frisson dans la salle et déclenchait la claque magique ! Car ces trucs de métier déclenchaient les bravos et étayaient la réputation d’un interprète. D’où les expressions faire une sortie et rater sa sortie.

Un comédien qui ne savait pas faire sa sortie était un minable. Mais le comble d’une soirée ratée était sûrement que dans un bel élan pathétique l’acteur fougueux se prenne les pieds dans un morceau de tapis ou d’accessoire et s’étale de tout son long avant d’avoir atteint la coulisse… Sifflets, huées, consternation, une fuite à vous faire chavirer l’honneur d’un histrion ! Je crois que « partir sur le ventre » est une allusion à cette catastrophique éventualité, et que le « bide intégral » en est découlé.

D’autre part, on trouve « ramasser un bidon » dès 1881 dans le sens de s’enfuir — la « gamelle » ne devait pas être loin !

Avoir le trac

Il ne semble pas que les comédiens aient le trac depuis très longtemps ; du moins s’ils avaient cette « peur ou angoisse irraisonnée que l’on ressent avant d’affronter le public », ils n’avaient pas le mot. Le trac semble dater de la première moitié du XIXe siècle, mais Littré l’ignore, ce qui indique qu’il n’était pas en usage courant avant la fin du siècle. Cependant il ne semble pas être de formation argotique car il est passé tout de suite dans la langue familière de la bonne société. Les Goncourt notent dans leur Journal à la date du 3 mars 1885 : « Au fond, cet article du Gaulois me donne le trac. Car si ce soir, il y a quelques sifflets, avec tout ce qu’il y aura dans la salle de mauvaises dispositions latentes, chez la plupart de mes confrères, c’est une partie compromise, un four quoi, encore » (in Robert).