La santé
Débonnaire mire fait plaies puantes.
On a tout dit sur la santé quand on a rappelé qu’il vaut beaucoup mieux être riche et bien portant que pauvre et malade. Jusqu’au XVIIe siècle au moins la médecine agissait selon ce bon vieux précepte. Les docteurs étaient savants ; ils se référaient exclusivement à Aristote et aux textes des praticiens grecs et latins, avec leur maître Esculape. Si les maladies étaient bénignes, les gens guérissaient, avec la protection des saints qu’ils invoquaient, en plus, copieusement ; si elles étaient graves ils mouraient, avec la bénédiction des mêmes. Toute proportion gardée pour ce qui concerne la notion de gravité et de culte des saints, les choses ne sont pas très différentes aujourd’hui.
Reprendre du poil de la bête
Expression remarquable, qui de nos jours est comprise comme une marque de vitalité animale dans la santé reconquise, visible au lustre du poil et à la bonne mine du convalescent — « Oh ! mais je vois que vous avez repris du poil de la bête ! »…
Ce n’est pas exactement son sens véritable. Cette façon de parler constitue l’héritage d’une ancienne croyance qui remonte aux Romains, selon laquelle il fallait poser sur la plaie un poil du chien qui vous avait mordu. Autrement dit, guérir le mal par le mal. On disait autrefois « Aller au poil du chien » ou « retourner à la bête » : refaire ce qui nous a blessé ou provoqué du désagrément. Les Anglais, restés près de la tradition antique, disent : take a hair of the same dog that bit you (prenez un poil du chien qui vous a mordu), et l’appliquent volontiers au remède bien connu qui consiste à avaler un verre d’alcool le lendemain d’une cuite pour chasser la gueule de bois.
C’est dans ce sens que l’expression était également employée chez nous, comme l’explique Furetière en d’autres termes : « On dit aussi à celui qui a mal à la tête le lendemain qu’il a fait la débauche, qu’il faut reprendre du poil de la bête, qu’il faut recommencer à boire. » Le dicton était en usage dès le XVe siècle :
Plus tard Rabelais faisait lui aussi l’amalgame de la morsure et du flacon dans cette sentence célèbre :
Dorer la pilule
La pilule est un médicament utilisé de longue date sous la forme d’une petite boule (directement du latin pilula, petite balle) « qu’on façonne avec une pâte composée de substances diverses » — il faudrait ajouter : et de fort mauvais goût. Avaler la pilule a toujours été une opération à la fois nécessaire et dégoûtante qui provoque la grimace. On dit à juste titre que la pilule est amère. « Jupiter — dit Rabelais — contournant la teste comme un cinge qui avalle pillules, feist une morgue tant espouvantable que tout le grand Olympe trembla. » (Quart Livre, Prol.).
« Pillule — dit Furetière — se dit figurément & bassement en Morale des fâcheuses nouvelles, des afflictions, ou des injures qu’on est obligé de souffrir. Il a eu beau se plaindre de cette taxe, il a été obligé d’avaler la pillule, c’est-à-dire de payer. »
On a donc très tôt essayé d’enrober ladite boulette avec des substances qui en masquent le goût, en particulier le sucre dont ce fut l’une des premières utilisations. Selon Fleury de Bellinen (1656), certains apothicaires seraient même allés jusqu’à les envelopper d’une mince feuille d’or… Procédé onéreux, mais qui devait être international, car les Anglais disent aussi to gild the pill, et les Espagnols dorar la pildura. À moins qu’il y ait là une extension d’un ancien verbe dorer, qui signifiait « oindre » d’un onguent, témoin ce pansement du XVe siècle au doigt d’un curé qui voulait se faire porter pâle : « Il faindit ung jour d’avoir tresgrand doleur en ung doy, celluy d’emprès le poulce qui est le premier des quatre en la main dextre. Et de fait le banda et envelopa de draps linges, et le dora d’aucun oignement très fort sentant… » (Cent Nouv. Nouv. 1462.) On peut penser à une croûte de sucre mélangé de safran.
Toujours est-il que le sens figuré était établi dès le milieu du XVIIe siècle, comme le prouve ce vers d’Amphitryon :
Jupiter et Louis XIV ! ainsi que le raconte Saint-Simon : (Le roi ôte le gouvernement de Bretagne au duc de Chaulnes) « Le Roi fit entrer un matin le duc de Chaulnes dans son cabinet, lui dora la pilule au mieux qu’il put, et toutefois conclut en maître. M. de Chaulnes, surpris et outré au dernier point, n’eut pas la force de rien répondre. »
À notre époque, se dorer la pilule à soi-même est devenu synonyme de se faire des illusions — parfois des illusions grandioses, de vrais châteaux en Espagne : « Très joli de se dorer la pilule, de s’imaginer qu’on serait célèbre un jour, avec son nom dans les journaux, et riche. La Joie du Cœur en lettres grosses comme ça sur les colonnes Moriss. Mais en attendant, il était là. » (R. Guérin, L’Apprenti, 1946.)
Tâter le pouls
Le pouls est toujours l’un des éléments importants de l’établissement des diagnostics, et de la surveillance d’un malade. Les anciens médecins l’utilisaient bien avant de connaître les mystères de la circulation du sang ; ils suivaient simplement en cela l’opinion d’Aristote, pour qui un esprit aérien emplissait les artères et faisait battre le cœur.
Voici une consultation typique au XIIIe siècle, bien que parodique ; Renart joue les docteurs auprès de son roi, le Lion, lequel souffre, dirait-on, d’une forte grippe, qui se manifeste par : violente migraine, trouble de la vue, bouche amère, perte du goût, courbatures par tout le corps, poitrine douloureuse et difficultés à respirer… Renart, ayant écouté attentivement l’énumération de ces doléances, fait d’abord pisser le roi dans un urinoir en verre, puis il observe très longuement les urines par transparence, en plein soleil, afin d’y déceler « les cercles de ses humeurs. » Son opinion étant faite, il déclare : « Bien vois, vous avez fièvre aiguë. » Ce n’est qu’après cette analyse de la situation que Renart, se conformant aux habitudes du Moyen Âge, procède à l’examen de son royal patient :