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Cependant, le hasard de mes recherches m’a fait tomber sur un document que je puis opposer au témoignage de Gaston Esnault, et qui permet d’envisager la solution sous un jour différent. Il s’agit d’un article paru la même année, 1922, et qui atteste que le « coup de pompe » s’employait alors d’une manière courante chez les aviateurs, dans un sens tout à fait accordé au brutal coup de fatigue. Ce récit intitulé Paris en huit jours est de Charles Torquet ; il fut publié dans le n° 16 des Œuvres libres, en 1922, pages 243–244.

(L’auteur vient de subir un voyage éprouvant dans un petit avion de l’époque, durant lequel la plupart des passagers ont été malades à cause des secousses dues aux trous d’air. C’est une cargaison lamentable qui s’extirpe de la carlingue après l’atterrissage, cependant que les rares voyageurs valides sont obligés « d’accoucher » les plus exténués du ventre de l’appareil.) « Ficelé dans ses fourrures et sa combinaison cirée, casque-bourrelet à oreillettes en tête, le pilote, jeune loup de l’air, descend de son poste avec la sûreté de mouvements que nos pères admiraient chez leurs cochers de diligences, sans s’embrouiller dans les marchepieds. Clignant un œil malin vers ses passagers livides, il explique, pour l’édification des accoucheurs bénévoles :

— Tu parles qu’on a pris un de ces coups de pompe !

C’est ainsi, paraît-il, qu’on nomme les chutes brusques et vertigineuses de l’aéronef dans les trous d’air produits par les différences de température — et conséquemment de densité — entre les couches successives de l’atmosphère. Cela fait sur les passagers inexperts un effet analogue à celui d’une mer agitée. »

L’image de l’appel d’air se conjugue ici à celle du piston d’une pompe qui monte et descend pour évoquer les brusques mouvements de l’avion ; sauf erreur, toujours possible en la matière, il me semble que c’est la véritable explication de l’expression mystère, laquelle aura été adoptée comme un seul homme par les adeptes de la « petite reine. »

Le coup de pompe est ainsi passé rapidement dans la langue au cours des années 20, oubliant son origine aéronautique, pour désigner cette défaillance particulière qui atteint en particulier celui qui manque de sommeil. Ainsi chez des jeunes gens qui ont passé la nuit en beuveries : « Ensuite il avait fallu sécher ses godasses et ses pantalons au soleil. L’heure du coup de pompe. Même plus de goût à boire. Ne pensaient plus qu’à rentrer chez eux pour roupiller à la revoyure. » (R. Guérin, L’Apprenti, 1946.)

Être dans les vapes

L’expression, relativement récente, décrit un état de faiblesse assez particulier, qui peut tenir de la fièvre, des chocs nerveux, des coups sur la tête, ainsi que des abus divers de toutes absorptions qui rendent l’esprit flou ; être dans les vapes, c’est se sentir la tête en coton, flottant sur un nuage…

En ce sens les vapes — qui se prononcent parfois vapss par coquetterie — a succédé à des termes tels que « vaseux », ou « vasouillard » à la mode dans les années 50, mais qui s’appliquaient à des états plus physiques et moins subtils, comme l’hébétude des nuits blanches et des gueules de bois. Les vapes sont plus éthérées.

Il semble que le mot ait été d’abord employé chez les voyous, par abréviation de « vapeur », dont il était la forme argotique dans les années 20. Il était alors féminin et singulier, dans la tournure à la vape que relève Gaston Esnault en 1925, au sens de « bain de vapeur. » Il note ensuite, pour vape, dans les mêmes milieux, en 1935–1936 : « Hébétude, diminution des facultés due à la drogue, à l’alcool, à un choc physique ou moral (rare au pluriel). Il s’agit probablement d’un « brouillard. »

Ce singulier qui paraît être l’origine de l’expression a survécu assez longtemps, précisément dans le milieu carcéral ; Albertine Sarrazin, qui fut pensionnaire des maisons d’arrêt avant de devenir romancière, écrit : « Je descends l’escalier, telle Line sur les degrés du Casino, les jupes de nuit ramassées sur le bras, les nattes embrouillées, les yeux miteux, encore dans la vape. » (L’astragale, 1965.)

En tout cas c’est par le pluriel que l’expression s’est développée dans le langage commun, au cours des années 60, conservant sa valeur de « choc » qui l’a peut-être attirée vers une ressemblance formelle avec tomber dans « les pommes. » « On m’aurait assommée que je n’aurais pas été plus dans les vapes. » (S. Berteau, 1969.) Dans l’exemple récent qui suit il s’agit non pas d’une scène d’ivresse mais d’un souteneur blessé dans une fusillade, et qui essaie de donner le change à la police : « Je colle un verre dans la main d’ex-Fabrizzio pour qu’il fasse naturel. Le proxo est complètement dans les vapes. Il a le regard flou comme un fond de bouteille. Un teint de bougie. Il menace de s’écrouler à chaque retour de respiration. » (J. Vautrin, Canicule, 1982.)

LOUFOQUERIE

Les dérangements de la coloquinte ont toujours provoqué une énorme fascination chez les peuples. Fascination, et aussi répulsion, voire épouvante, dont il reste beaucoup de choses dans le lexique. Tous les cinglé, cintré, cinoque, dingue, braque, maboul, avec le fantasme de la blessure mentale : tapé, frappé, jeté, timbré, siphonné — j’en passe follement ! Le mot fou lui-même a donné sa propre version en largonji — l’argot des assassins au milieu du siècle dernier : louf, dont dérive l’agréable loufoque qui s’est fort bien acclimaté dans la langue ordinaire.

Avoir un grain

Avoir un grain, c’est être un peu détraqué dans sa tête. On parle bien sûr d’un « grain de folie », notion qui apparaît pour la première fois au début du XVIIe siècle : « Un grain de folie, un peu », notait Oudin en 1640.

Le grain qui sert de fondement à cette métaphore n’est pas une quelconque graine, mais une ancienne mesure de poids : la 480partie de l’once (soit environ 60 milligrammes). Il était utilisé autrefois en orfèvrerie — un carat de diamant pèse quatre grains — mais surtout il était l’unité favorite des apothicaires, ces grands manipulateurs de substances infimes. « Grain, en Médecine, est le plus petit des poids, dont il en faut trois pour faire une obole, vingt pour faire un scrupule, et soixante pour faire la drachme ou le gros. Ce grain s’entend d’un grain d’orge bien nourri, médiocrement gros, et point trop sec. » (Furetière, 1690.)

On peut s’étonner de ce grain-étalon « bien nourri », en des matières où l’imprécision n’est guère de mise ; il faut songer que ce grain-là était alors aux solides ce que la goutte est toujours demeurée aux liquides dans la posologie. Un médecin prescrivait normalement « quatorze gouttes de ceci, et huit grains de cela. » C’est de ce grain pharmacologique, et non celui d’une plante, qu’il est question dans les vers de La Fontaine, autrefois fameux :