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Ma commère il vous faut purger De quatre grains d’ellébore.

Car, soit dit en passant, c’était la racine brunâtre de l’ellébore noir qui était employée comme purgatif en médecine, dans les cas de folie caractérisée comme dans une foule d’affections diverses.

La valeur métaphorique du grain, le poids, était donc bien établie dès la fin du XVIIe siècle, comme l’était aussi l’once, son multiple : « pas une once de bon sens », etc. « Grain — poursuit Furetière — se dit figurément en choses spirituelles et morales. Cet homme n’a pas un grain d’esprit, de bon sens, de jugement. Il est léger d’un grain, pour dire, il est un peu fou, il a un grain de folie. » Le lexicographe ajoute d’ailleurs un peu plus loin cette gaudriole « fine », et apparemment traditionnelle : « On dit d’un eunuque qu’il est léger de deux grains. »

Avoir un grain, forme elliptique, concernant les seuls troubles du cerveau, est attesté en 1740 par le dictionnaire de l’Académie avec cette définition : « Être un peu fou. » La locution est demeurée depuis lors remarquablement constante de sens et d’emploi : « Elle avait un chien, un setter, auquel elle tenait énormément, et lui, il est mort à la suite d’un bombardement. De peur sans doute. Mais elle aussi il pense que ça l’a détraquée. La mort de son chien n’a rien arrangé. Elle ne s’en est jamais remise. Ça lui a laissé un grain. » (R. Guérin, La Peau dure, 1948.)

Avoir une case vide — une case en moins

L’image de ce manque exprime que l’on est braque, un peu barjot — parfois méchant, mais au fond assez bête. Cela de façon durable, hélas, irrémédiable, et quasi congénitale.

Ces deux expressions d’apparence anodine ont toute une histoire. C’est la phrénologie qui a inventé la notion de case dans le cerveau. C’est un chercheur allemand, Gall, qui a inventé la phrénologie dans les premières années du XIXe siècle ; ce fut avec un certain panache et beaucoup de retentissement.

Franz Josef Gall avait commencé à exercer la médecine à Vienne, en Autriche. Il s’était inspiré des travaux de Camper, l’anatomiste hollandais qui disséqua le premier un orang-outang, et qui, parmi bien d’autres découvertes, souligna l’importance de l’angle facial dans le développement de l’espèce humaine. Gall professait une théorie personnelle sur la conformation de la tête, et du cerveau à l’intérieur, qu’il considérait comme une agrégation d’organes séparés, différents les uns des autres, et très hautement spécialisés. Une telle doctrine matérialiste, en contradiction avec l’enseignement des saintes Écritures, choqua beaucoup la cour d’Autriche qui fit interdire le cours public que Gall avait ouvert dans la capitale pour propager ses théories.

Victime outragée, le docteur s’en alla poursuivre l’exposition de ses thèses à Berlin, puis dans toute l’Allemagne, au Danemark ensuite et en Hollande. Après avoir essuyé, ici et là, des accueils polis, mais froidement indifférents, il arriva à Paris à l’automne 1807. « Paris, ironise Pierre Larousse, était le milieu qu’il lui fallait. Le premier venu, qu’il s’appelle Davenport ou docteur Gall, a droit a l’enthousiasme court, mais bruyant du peuple le plus spirituel de la terre. »

Il est vrai que Gall provoqua tout de suite de brillants remous dans les salons d’un Empire qui était parvenu à l’apogée de sa gloire. Il y rencontra un Allemand féru d’idées nouvelles, Spurzheim, avec lequel il allait désormais faire équipe sur le chemin de la célébrité en présentant un système de craniologie violemment controversé, qui ne cessa de faire des vagues jusqu’à sa mort, survenue en 1828. Spurzheim poursuivit seul le débat quelque temps, affinant la théorie, mais il fut à son tour emporté par une épidémie de typhus alors qu’il se trouvait en conférence à Boston, U.S.A, en 1832.

La phrénologie de Gall avait donc pour doctrine que chaque partie du cerveau correspond à une fonction mentale définie, de sorte que l’inspection des bosses, creux, et reliefs variés de la boîte crânienne permet de déterminer les dispositions et le caractère d’un individu. Selon ses découvertes les facultés intellectuelles étaient localisées juste derrière le front, d’où l’importance que l’opinion accorda par la suite à la forme et à la hauteur de celui-ci : les gens intelligents ont le front haut et bien dégagé, les imbéciles le front bas. D’autre part les facultés morales répondaient évidemment à la partie supérieure du crâne, tandis que les instincts, qui sont toujours bas, gisaient à la partie inférieure.

L’encéphale était donc divisé en un grand nombre de cases, 38 selon Spurzheim qui les avait dûment numérotées, dont chacune était affectée d’une fonction précise. La case 10, par exemple, tout en haut du crâne, sous la fontanelle, contenait « l’estime de soi »… La bienveillance était case 13, à la partie supérieure du front, au milieu ; la 14 sa voisine était occupée par la vénération, et la 15, au sommet, détenait la fermeté. L’espérance était logée au 17, sur le côté ; la merveillosité au 18 ; l’idéalité au 19. Au 20, c’était la gaieté ! La case 33 contenait le langage…

Ces distinctions firent fureur ; c’était à qui tâterait la tête de l’autre, et les gens du monde s’entrelorgnèrent d’un autre œil. Elles eurent des zélateurs fervents : Balzac fut un adepte un peu gogo de la phrénologie, de sorte qu’il remplit son œuvre de longues et minutieuses descriptions de visages, avec les formes, les angulosités et les bosses comprises. Raspail, plus pondéré, faisait en 1835 cette description ironique du crâne pointu de Louis-Philippe qui commençait à attirer la plaisanterie — sa tête allait bientôt être dessinée sous forme de poire dans les journaux satiriques : « Nous qui nous sommes occupés d’études phrénologiques, nous avons le droit de tâter les bosses à tous les crânes, excepté pourtant au crâne d’un seul, crâne étroit dans toutes les dimensions des organes du bien, et large de toutes celles des organes du mal ; crâne d’agioteur comme il n’en fut jamais, et dont le porteur par conséquent est incurable, et mérite sinon notre respect, du moins notre compassion. Eh bien ! ce crâne-là se place hors de ligne, et il n’est permis ni aux Gall ni aux Spurzheim de s’en occuper. » (Le réformateur, 13 mars 1835.)

Ces théories eurent aussi leurs détracteurs acharnés aussi bien parmi les savants que chez les gens d’Église. Disons le mot, une telle doctrine de l’innéité absolue, qui ne laissait aucune place à l’acquis — les cases sont là, ou elles n’y sont pas ! — qui niait par conséquent tout pouvoir à l’éducation, comme à la ferveur, comme à la grâce divine, ça n’était pas très existentialiste. — Le mérite du grand bruit qui se fit pendant une vingtaine d’années autour des idées de Gall et de Spurzheim, ce fut, dit-on, d’avoir attiré pour la première fois l’attention du monde scientifique sur le fonctionnement du système nerveux central, et inspiré une recherche plus authentique.

Le second mérite est d’avoir fourni quelques expressions à la langue — case 33. D’abord la fameuse croyance aux bosses, avec la « bosse des maths », la « bosse du commerce », etc. dès les années en question. « Vous avez la bosse de l’amour » (Balzac, en 1845). Mais aussi les tournures ironiques qui visent la tare par excellence, le handicap irrémédiable et absolu : avoir une case en moins.