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Cela dit, on se demande, toute honte bue, ce qui pouvait tant faire danser ces Italiens de jadis ? Quelle origine toxicologique à une pareille hystérie musicale et collective ? Des nourritures, terrestres mais suspectes, dans cette région pauvre de la botte ? Faut-il imaginer des champignons particuliers, à défaut de la tarentule qui, quoique impressionnante bête, était en dernière analyse accusée à tort ?

Quoi qu’il en soit, on comprend ce que Voltaire voulait dire quand il écrivait : « Tous les premiers historiens des croisades semblent mordus des mêmes tarentules que les croisés. » L’image, une fois lancée, fit fureur, ce qui est bien naturel. En 1839 on vit représenter à l’Opéra de Paris un ballet-pantomime intitulé La Tarentule, dans lequel la piqûre de l’araignée fabuleuse servait d’intrigue à un mélodrame.

Littré atteste le premier l’expression figurée, en 1872 : « Piqué de la tarentule, animé par quelque vive passion. »

Il n’est pas invraisemblable que la locution qui devrait plutôt avoir été formée sur « mordu » par la tarentule, se soit trouvée influencée dans sa syntaxe par le déjà populaire et antérieur « pas piqué des vers. » Ce serait dans l’ordre des choses…

Avoir une araignée au plafond

C’est avoir des lubies, des égarements de conduite, mais peu gênants, au fond.

L’expression est notée pour la première fois en 1867 par Delvau, parmi une floraison de métaphores semblables en usage chez les prostituées parisiennes de la rue Bréda (future Henri-Monnier), un haut lieu du commerce de chair humaine sous le Second Empire, et point chaud des échanges linguistiques rapides par conséquent : « Avoir une araignée au plafond, Être fou, maniaque, distrait. Argot de Bréda-Street. »

Lorédan Larchey reprend en 1872 : « Avoir une araignée dans le plafond — Déraisonner. La boîte du crâne est ici le plafond, et l’araignée-folie y tend ses toiles. »

Certes, l’association araignée et plafond se comprend aisément à cause de son aspect domestique, habituel aux intérieurs négligés. Pourtant il est intéressant de remarquer que la toile d’araignée a été une métaphore du sophisme et de l’argumentation captieuse. « Bayle a brodé des toiles d’araignée comme un autre », dit Voltaire. Cette notion a difficilement pu servir de support sémantique chez les filles publiques. C’est bien l’image de la bestiole lente, aux longues pattes velues, dans sa simplicité inquiétante — comme le sont les maniaques — qui a assuré le succès de la locution. Avec, peut-être, en renforcement d’idée en l’air, l’influence de l’araignée tarentule qui venait de faire un tabac chez les intellectuels.

En tout cas, que le meilleur gagne : l’araignée a vite éliminé ses concurrentes de l’époque dans la panoplie des légers troubles du comportement. Delvau relève également en 1867 : avoir une écrevisse dans la tourte, plus cocasse que réellement dérangeante, et avoir une hirondelle dans le soliveau qui est vraiment fantastique. En un temps d’anglomanie comme le fut le siècle romantique, cette dernière fait irrésistiblement penser au modèle anglais possible, a bat in the belfrey : une chauve-souris dans le beffroi.

Avoir une trichine dans le jambonneau

Le seul intérêt de cette locution éphémère, imitation passagère de « l’araignée au plafond », c’est qu’elle offre un témoignage précieux sur la manière caractéristique dont la gouaille populaire récupérait à son usage, au XIXe siècle comme aujourd’hui, les mots à la mode qui font un temps la une de l’actualité. En effet elle a le mérite d’avoir été enregistrée, ce qui est rare, au moment de sa création. Alfred Delvau l’a recueillie à la fin de son dictionnaire, en 1867, au supplément qu’il composa durant l’impression de l’ouvrage et qu’il rajouta in extremis.

Les trichines sont des petits vers filamenteux, parasites des tissus musculaires chez l’homme et chez plusieurs animaux. Ils se multiplièrent à partir des années 1830, sans qu’on puisse connaître le mode de transmission d’un sujet à un autre. Ce sont les Allemands, gros consommateurs de cochon, qui mirent, si l’on peut dire, le doigt dessus. « Le 12 janvier 1860, une jeune paysanne, une servante, présentant quelques-uns des symptômes de la fièvre typhoïde, entrait à l’hôpital de Dresde. Elle mourut quinze jours après. Un médecin allemand, M. Zeuker, en fit l’autopsie. Quel fut son étonnement quand, au lieu de rencontrer les lésions propres à la fièvre typhoïde, il trouva des milliers de trichines dans les muscles de la défunte !… Le médecin fit une enquête. Il apprit que le fermier chez qui la jeune fille avait été servante avait, vingt-trois jours avant l’entrée de celle-ci à l’hôpital, tué un cochon et que tous ceux qui en avaient mangé avaient été malades. Il se fit remettre de la viande de ce porc ; elle était remplie de trichines. Dès ce moment l’histoire pathologique de la maladie était fondée. » (P. Larousse.)

L’événement fit grand bruit dans toute l’Europe. Ce fut la découverte la plus hautement claironnée dans les milieux populaires en France, à cause des implications culinaires immédiates : bien faire cuire la viande de porc, car une forte cuisson détruit les trichines. Ce fut une des premières scies de l’hygiène scientifique qui entonnait ainsi à son propre compte des malédictions quasi coraniques !

C’est au début de 1867, précisément, que la nouvelle atteint Paris ; Delvau notait donc à la fin de l’année :

« Avoir une trichine dans le jambonneau. Être un peu fou, un peu maniaque. L’expression est toute récente, et, sous sa forme plaisante, elle constate la peur sérieuse dont nous avons été galopés au commencement de cette année à propos des vers microscopiques dont est, paraît-il, infecté la chair du compagnon de saint Antoine. »

L’Almanach du Hanneton, relevé par L. Larchey, porte également cette année-là : « T’as trop de trichines au plafond. » Mais ce ne fut qu’un feu de paille ; « trichine » n’était pas un mot capable de tenir la route dans une image populaire. Toutes ces expressions étaient cuites d’avance.

Avoir un petit vélo dans la tête

Cet avatar contemporain et dynamique de la vieille araignée au plafond, est l’indice d’une bizarrerie plutôt gentille. C’est le côté psy des très légers dérangements. C’est simplement avoir des obsessions saugrenues, dont on n’arrive pas bien à savoir si c’est de la névrose ou de l’originalité : « Il est gentil ton copain, mais il a tout de même un petit vélo dans la tête. »

L’expression ne paraît pas antérieure aux années 60, et je n’ai aucun souvenir de l’avoir entendue avant mai 1968, si riche en inventions. Le « petit vélo » semble être venu en roue libre de cette autre image absurde fort à la mode d’alors : « Pédaler dans la choucroute », qui est devenu ensuite « dans le yaourt » — mais sans que je puisse l’affirmer tout à fait.