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Le desespoir droit ces plaintes de ma bouche ; En mes larmes desjà à nage estoit ma couche.

C’est la même idée de « nager » au sens de « baigner dans un liquide » qui semble avoir cheminé dans la langue quand on dit qu’un morceau de viande « nage dans la sauce », ou dans le beurre. C’est à mon avis cette notion que G. Esnault note pour 1900 à Lille : « Nager, être submergé, en parlant des champs », d’où il tire « nager : ne savoir que faire, ne pas comprendre la situation, patauger. » C’est qu’on nage dans un problème avec beaucoup moins de plaisir que dans une piscine !

Tomber en panne

Désagrément bien ordinaire, et dans de nombreux domaines ! Ce sont encore les vaisseaux qui nous ont donné la formule : « Panne se dit en terme de Marine. Mettre à panne, c’est faire pencher le navire d’un côté pour fermer quelque voye d’eau qui est de l’autre bord. On le dit aussi quand on retarde le vaisseau pour attendre ou laisser passer d’autres vaisseaux qui veulent gagner de l’avant. On appelle cela Être en panne. » (Furetière.) Littré fournit des explications plus techniques : « En panne, se dit de l’état où est un navire, lorsque, une partie de ses voiles tendant à le faire aller en avant et l’autre partie le poussant vers l’arrière, il reste, sinon absolument immobile, du moins s’agitant presque sur place, dérivant un peu et ne faisant pas de route. »

De là à tomber en panne sans l’avoir voulu, lorsque la voiture refuse d’aller de l’avant, il n’y a qu’un souffle. On croirait du moins que la bagnole a inventé la panne sèche, lorsque le réservoir est vide… Eh bien non, même pas : « Panne sèche, se dit lorsqu’on met en panne sans aucune voilure, et par le seul effet de la barre du gouvernail », précise Littré qui ajoute : « Dans les autres cas on dit panne courante. » C’est là un très bel exemple de récupération langagière, avec un changement total dans la motivation !

Avoir le vent en poupe

Il est plus agréable d’avoir le vent en poupe. On le sait, la poupe, de l’occitan popa, est l’arrière d’un navire. Bien que les voiliers puissent s’accommoder de toutes les directions du vent, rien ne vaut bien entendu une bonne brise arrière qui vous fait avancer avec une légèreté accrue. C’est une chose qui s’arrose ! Un auteur du XVe le signalait déjà :

Nous étions là bonne troupe Qui, ayant le vent en poupe, Tous l’un à l’autre buvions.

Veiller au grain

Cela dit, en mer, la prudence est toujours de rigueur : il faut veiller au grain. « En terme de Marine, on appelle un grain de vent, une tempête, un tourbillon qui se forme tout à coup & qui désempare la manœuvre. Il dure peu », précise Furetière. Le mot vient peut-être des « grains de grêle fréquents dans ces sortes d’orages. » Il apparaît pour la première fois dans la littérature lorsque Pantagruel « evada une forte tempeste en mer » : « Pantagruel restoit tout pensif et mélancholique. Frere Jan l’apperceut, et demandoit dout luy venoit telle fascherie non accoustumée, quand le pilot, consyderant les voltiges du peneau sus la pouppe, et prevoiant un tyrannique grain et fortunal nouveau [tempête], commanda tous estre à l’herte [alerte] tant nouchiers, fadrins et mousses que nous aultres voyagiers. » (Quart Livre, chap. XVIII.) Comme quoi il vaut mieux avoir un « pilote » vigilant !

Donner de la bande

« Bande, en terme de Marine, signifie côté. On dit aussi, Mettre son vaisseau à la bande, quand on le fait pencher sur un côté, pour lui donner le radoub ou le suiffer. » (Furetière.) Oui mais c’est mauvais signe, pour une goélette, de donner de la bande, cela traduit un déséquilibre qui peut rapidement se transformer en naufrage. C’est un peu comme un oiseau qui bat de l’aile.

Être du même bord

Bien que tout le monde soit embarqué sur la même galère, pour affronter les mêmes périls, il a toujours existé une nette ségrégation à bord des vaisseaux. Les premiers navires de guerre comprenaient l’équipage, qui naviguait mais ne se battait pas, et les soldats qui se battaient mais ne touchaient en rien à la manœuvre. Ces bateaux étaient en fait des transporteurs de troupe. L’Invincible Armada espagnole du XVIe siècle était organisée selon ce principe antique et méditerranéen. En réalité ce sont les pirates, lesquels jouaient les deux rôles à la fois, et le célèbre Drake en particulier, qui inventèrent la marine de guerre moderne et la notion de marins combattants — continuant par là la tradition nordique des Vikings.

Il s’ensuivit un sens de la solidarité sur un même navire, une notion d’équipe et de communauté déjà sensible au XVIIe siècle, où un « bord » désignait un bateau. « Bord, en terme de marine, signifie un navire. Il est allé au bord de l’Amiral. Il lui a donné à dîner sur son bord », dit Furetière. De là, « être dans le bord » de quelqu’un, c’est-à-dire de son parti : « Il verra M. de Seignelay dans son bord », écrit Mme de Sévigné. Il en découle une communauté d’opinion, sens figuré bien établi au début du XIXe. « Entre coquins du même bord, au bout d’un quart d’heure on est intimes. » (Vidocq, Mémoires, 1828.)

Ces notions ne se sont pas effacées avec la disparition de la marine à voile ; les navigateurs politiques peuvent aussi virer de bord, comme on tourne casaque.

Tirer une bordée

Après l’invention des canons la marine ne tarda pas à s’équiper de bouches à feu. « La bordée est toute la ligne d’artillerie qui est sur le flanc d’un vaisseau », et aussi la « décharge simultanée de tous les canons d’un même côté » (Littré). « L’amiral lui lâche une bordée à boulets rouges », dit Voltaire. On peut toujours répondre par une bordée d’injures, si l’on n’a plus de munitions !

La bordée est aussi le « chemin que fait un bâtiment, jusqu’à ce qu’il revire de bord… courir la même bordée, avancer du même bord. Faire plusieurs bordées, revirer plusieurs fois de bord. »

Les matelots eux en font des petites à terre, dès qu’ils en ont l’occasion. Littré donne également, avec une pointe de réprobation semble-t-il : « Courir des bordées, s’absenter sans permission, et, de là, s’amuser à courir cabarets et mauvais lieux… » La variante tirer une bordée apparaît en 1867, chez Delvau : « dans l’argot des ouvriers, qui se souviennent d’avoir été soldats de marine. » Celui-ci distingue du reste les deux expressions : « Courir une bordée. S’absenter de l’atelier sans permission. Tirer une bordée. Se débaucher. »