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Elle ajoute des « tsst tssst » sans rouler les « r » et raccroche. Pardon : Rrrrrraccerrrrrroche !

Brrrouinggg !

Tu connais le père plexe ?

Non ? Eh bien, regarde-moi !

I l’am.

Ma mémoire de surdoué me permet d’enregistrer pour une longue durée les numéros téléphoniques traversant mon existence. J’ai encore dans un recoin de ma matière grise celui de la vieille puisque l’ayant dicté aux aminches de la table d’écoute. Je le réclame au aigus du standard.

— Occupé ! me répond-il.

J’attends. Il réitère, une fois, puis deux, puis trois, puis dix et finit par me déclarer qu’il se biche la crampe de l’écrivain vu que mon correspondant a dû mal raccrocher son turlu, à moins qu’il ne soit en dérangement.

Pour l’heure, j’ai l’impression que c’est moi qui suis en dérangement.

13

ELLE CONVIENT PARFAITEMENT

Journée fertile en incidents, comme on lit puis dans la presse. Chaque heure apporte sa provende d’ahurisseries. Les ultimes en date, si tu veux que je te repeigne la mémoire : Blanche-Neige n’est jamais allée rue Léo-Malet ; le père Féloche s’est pendu ; la mère Pistdeszky m’a téléphoné au Fouquet’s (comment pouvait-elle savoir que je m’y trouvais ?) pour me prier poliment de laisser tomber, ce qui constitue un aveu implicite de sa participation au micmac surnaturel qui est en train (à grande vitesse) de transformer ma matière grise en matière constituée à Fécamp. Te bile pas, Totor et laisse haler, t’en verras d’autres. Ce polar de merde, ça devient le Palais des Mirages ! Tu crois qu’on va s’en sortir, chérie ? Moi, passons : c’est mon métier de prendre des risques, mais toi, pauvrette innocente et salope qui, sans te gaffer, me fais emplette en allant acheter tes colin-tampons, te trouver embarquée dans cette boutiquerie de mes chères belles deux, hein dis, c’est horrible ! T’as pas mérité un aussi funeste sort ! Pas de ça, Lisette, je dois t’arracher coûte que coûte à cet envoûtement qui pernice de plus en plus vite !

Alors, bon, très bien : agissons !

Le préposé du turlu fouquetsien me regarde, comme à travers un halo d’inquiétude. Je suis là, dans cet antre vespaso-téléphonique, à danser d’un pied sur l’autre en visionnant des brouillards, un beau gosse comme moi, rutilant d’énergie, ça finit par l’impressionner, tu peux comprendre ?

— Quelque chose qui ne va pas, monsieur ? s’intéresse-t-il.

— Je cherche ce qui va bien, réponds-je, et je ne trouve pas.

Il sourit, demande :

— La santé ?

— D’airain !

— Alors ne vous tourmentez pas pour le reste.

Un sage ! Du coup, je me fais composer le numéro des écoutes et je tombe sur le grand Mulatier, celui qui a une cicatrice au menton et une montre digitale au poignet.

— Déjà ! s’exclame-t-il lorsque je me suis fait connaître.

— Combien de communications depuis tout à l’heure sur le numéro que je t’ai refilé ?

— Aucune, calme plat. D’ailleurs il est décroché.

— Tu veux dire que personne n’a jacté ?

— Textuel.

— Il y a longtemps qu’il est décroché ?

— Vingt-cinq minutes à peu près.

— Cinq clous véru moche, sœur, laissé-je tomber en même temps que sur sa fourche le combiné.

Plus hagard que Saint-Lazare, je remonte dans le brouhauhaut. Ça jacasse pis que chez un oiseleur : des dames, des messieurs : bon chic bon gendre. Ils papotent, parlotent (ou parlottent) charlottent (des dames qui se goinfrent de pâtisseries ; les vieilles, les rances, celles qu’ont raccroché l’adultère dans les oubliettes de leur chambre à coucher et qui ne jouissent plus qu’avec la bouche, mais maintenant elles avalent tout).

Je traverse le parloir en état d’hypnose, les mains en avant, bien parallèles, comme les médiums en transe sur les dessins moristiques.

— Où est la greluse ? je questionne à Béru, le trouvant seul.

— Elle a été acheter Françoise.

— Quoi ?

— J’veux dire Franç’Soir ; pour lire si on causerait d’son p’tit jules qu’est déchiré av’c sa gr’nade.

— Y a longtemps qu’elle s’est trissée ?

— Derrière ta pomme.

— Hé, dis : elle se sera navalée, la gueuse !

Le faciès du Mastodonte prend une teinte rubis.

— Tu crois ?

— Voyons : il y a un kiosque à baveux pile devant le Fouquet’s !

Par acquisition de conscience, comme il le déclare, Brutus va mater sur le trottoir et revient la queue basse, ce qui le fait ressembler à une pompe à essence au bec décroché.

— Tu m’avais pas dit d’la garder au frais, objecte-t-il, sinon, j’m’eusse t’eu méfié.

— On n’en est plus à une bricole près, soupiré-je. Et de lui rapporter mon coup de grelot avec la vieille Russe blanche.

Alexandre-le-Gros prend son air matois, celui qu’avait son regretté père lorsqu’il allait vendre une vache à la foire du chef-lieu.

— Tu comptes faire quoi t’est-ce ?

— Retourner rue Léo-Malet pour voir ce qu’il en est.

— Tu coinces des cellotes en prenant du carat, dit l’hargneux bonhomme. Y a une chose dont à laquelle tu n’t’rends pas compte : on t’manoeuv’, mec ! On t’manœuv’. Ces mirontons t’épillent comm’ du lait su’l’feu. En c’moment, j’sus certain qu’y t’matent à la loupe. C’coup d’turlu, c’est just’ pour qu’tu vas retourner chez mémé. Y z’ont prévu ta rédaction, et toi, crème de jean-foutre, de tomber à pieds dans l’ panneau !

Je suis trop flic pour ne pas comprendre qu’il parle d’or, mon Valeureux.

Je carme nos consos.

— Caisse tu décides ? insiste le potamochère.

— On va au burlingue se recueillir sur la dépouille du père Vignalet. Je pars le premier et j’arpente un peu les Champs-Zé avant que de. Toi, tu me filoches à longue distance en dégoupillant bien tes vasistas ; essaie de repérer si l’on me suit. Dans l’affirmative, tu essaies de me cueillir le petit malin sur sa branche, sans l’abîmer.

Je me casse donc, glandochant sur l’avenue jusqu’à la rue de Marignan. Parvenu devant le 1515, je traverse sagement sur les clous, lesquels n’empêchent plus désormais les fougueux chauffards de traquer les téméraires piétons, puis remonte en musant, mains aux poches, nez au vent fraîchissant du soir. Les lumières me paraissent livides et les passants déshumanisés. Faut une refonte ! Et ça urge. C’est pas une question de régime, mais d’état d’esprit. On est allés trop loin, tous, et on ne peut plus rebrousser chemin. Cette fuite en avant éperdue nous mine. On n’en peut plus d’être nous-mêmes dans le monde que nous avons bâti parce que, justement, sur la lancée, il se bâtit tout seul à présent, le monde.

L’autre jour, j’utilise un rasoir électrique neuf. Une fois rasé, je débranche l’engin, et voilà qu’à ma stupide stupeur, il continue de ronfler tout seul, à pleine vibrure. Le monde, c’est du kif. T’as beau débrancher, il fonctionne. Plus mèche de le foutre en veilleuse, ça s’emballe, s’emballe ! Au secours !!!

Et eux : nous autres, ils s’en rendent bien compte que c’est foutu ; en route pour les abîmes. Ils sont glacés de chiasse, font mine de gaffer de rien, ils pinent, ils boivent, dorment avec des cachets, soignent leur cholestérol, regardent la télé, causent de la pluie et du Bottin ; mais tu verrais le fond de leurs slips, ma doué ! Ariel, où es-tu, je t’attends !