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— Avant tout, l’attaqué-je, je serais curieux d’apprendre comment vous êtes parvenu à me rejoindre à Louveciennes.

Il consent à tourner la tête vers moi. Ses yeux sont injectés de sang et expriment une profonde tristesse. Il cherche la méthode la plus rationnelle pour répondre à ma question.

— Prenez votre temps, my lord, lui fais-je, pensant le stimuler.

Il n’en a cure, comme dit un prêtre de mes amis. Conduit sa réflexion à terme (il la mènerait à thermes si nous nous rendions à Vichy). Puis, allègre, se prend à respirer fort en montrant l’aile arrière de l’auto où est logé le réservoir du carburant.

— Essence ? demandé-je.

Aboiement affirmatif.

Je me mets à gamberger. Pas très longtemps, à vrai dire. La transmission de pensée, ça existe, même entre homme et clébard, surtout lorsque le cador est un surdoué du règne animal.

— Mon bon Salami, insinueriez-vous que vous m’avez retrouvé grâce à l’essence particulière dont je me servais pour ma défunte Ferrari ?

Un jappement complimenteur est la réponse. Là, je dois préciser, pour ta comprenette, que j’utilisais un carburant réservé aux tires de Formule 1. Un pote garaco, travaillant dans l’univers fabuleux des grands prix, m’approvisionnait en tisane spéciale. J’en ai plusieurs barils dans le réduit du jardin, auxquels je puisais à l’aide d’une pompe à main. Ce diable de chien n’a pas été long à s’apercevoir que mon essence diffère de celle livrée par les pétroliers habituels. Cette particularité lui a permis de relever ma trace dans l’agglomération parisienne.

J’en reste baba. Assurément, ce basset-hound est absolument stupéfiant !

— À propos, fais-je, une fois revenu de ma surprise, que me vouliez-vous, mon bon ami, pour me courser lorsque je suis en galante compagnie ?

Ma question le laisse perplexe. À plusieurs reprises, il se gratte les oreilles, ce qui produit un bruit flasque, comme lorsqu’une matrone en chaleur tente de calmer ses ardeurs avec un pilon à ailloli. Se risque enfin…

Il tapote ma Pasha du bout de sa pattoune, puis ferme les yeux et craque une louise dont la sonorité est celle de l’hélicon basse.

— Je ne comprends pas, avoué-je, non sans un certain désarroi.

Patient, il réitère le manège, mais en forçant le trait. Ainsi, il rentre la tête dans ses épaules et rassemble une forte quantité de gaz avant de reloufer.

— Détonation ? demandé-je.

Il exulte.

J’approfondis ma déduction :

— Ma montre… Une forte détonation… Vous faites allusion à une bombe ?

Il acquiesce carrément.

— Vous parlez de celle qui a détruit ma Ferrari ?

Là, il place une roucoulante qui fait songer à une tyrolienne.

— Cher confrère, reprends-je, voudriez-vous me dire que vous aviez détecté la présence de l’engin dans ma voiture ?

— Vouahi ! Vouahi !

— Seulement, quand vous êtes arrivé, il venait d’exploser ?

Salami hausse une épaule avec fatalisme, me regarde. La tendresse qui brille dans son œil signifie : l’essentiel est que vous ayez réchappé à l’attentat.

— Comment avez-vous su ce qui se tramait ?

Sa réponse sera pour plus tard car nous voici arrivés à la Cabane Pébroque. Je réveille César et Jérémie qui, pendant le trajet, se sont payé un concerto de ronflette.

— J’ai fait un drôle de rêve, déclare la Vieillasse en clapotant du râtelier. Figure-toi que…

— Màs tarde, coupé-je ; en attendant, on a école !

* * *

Bien que l’heure soit avancée, le commissaire Mayeul est encore dans son burlingue. Je le découvre seul, en corps de chemise, un cigare planté entre ses lèvres arrondies, tel un thermomètre.

— Vous avez dîné ? lui demandé-je.

— Je n’y ai même pas pensé, monsieur le directeur.

Belle leçon de conscience professionnelle : le flic faisant passer le turbin avant son estomac !

— Du nouveau ? coupé-je-t-il court.

— Contre toute attente, nous ne sommes pas encore parvenus à identifier le meurtrier de la vieille domestique. Il semblerait que cet homme n’ait aucun dossier dans les services policiers européens.

— Pour une pointure de sa trempe c’est quasiment impossible !

Mayeul renifle, amer.

— Je vous rappelle que bien des tueurs, en France, en Angleterre, voire aux States, possédaient des casiers vierges alors que leur tableau de chasse était impressionnant. Par contre, l’équipe qui s’est attachée à la pseudo-Éléonore pense avoir retrouvé l’identité du type venu la prendre devant la gare de Saint-Cloud : un certain Pierre Cadoudal, attaché de presse d’une importante maison de couture. Divorcé, sans enfant, 38 ans, demeurant 28, avenue Kennedy, propriétaire d’une Mercedes berline bleu foncé dont on va me communiquer le numéro minéralogique. Sitôt que je l’aurai, je lancerai un avis de recherche du véhicule. Et de votre côté, monsieur le directeur ? Des détails ?

— À peine, dis-je. On a pulvérisé ma voiture et flanqué une grenade dans mon pavillon de Saint-Cloud ; mais à cela près, tout va bien.

Il blafarde, mon subordonné.

— Votre voiture ? balbutie-t-il. Vous parlez de la Ferrari ?

— Je n’en ai pas d’autre, avoué-je en grande humilité.

Il reste coi.

— Du côté de la mémé qui s’est fait révolvériser dans les tartisses d’Éléonore, enchaîné-je-t-il, des informations ?

— Elle a un fils qui habite Londres et travaille dans la banque. On l’a prévenu, il sera là demain matin.

Je gamberge.

— Il faut attendre, décidé-je courageusement.

— Et en ce qui vous concerne, monsieur le directeur ?

— Mes dynamiteurs sont à la morgue. J’ai leurs fafs…

Je les jette sur son bureau.

— Un ancien taulard et un piqueur de bagnoles. Pas des malfrats de haut niveau, mais des sous-fifres pour actions de branques.

— Ce sont eux qui ont craqué votre Ferrari ?

— Eux ou des copains d’écurie.

— Ne faudrait-il pas organiser la surveillance de votre villa ?

— Merci, je m’en suis occupé.

Un temps. Salami, exténué, s’est allongé sur le tapis râpé du burlingue. Ses pattes épaisses constituent des sortes de moignons plissés. Je remarque qu’il y a du sang sur le caoutchouc de ses semelles. Pas étonnant, avec les kilomètres de ruban qu’il se paie, le pauvre ! Un chien héroïque, dans son genre ! Qu’on citera demain à l’ordre de la nation.

— Il serait intéressant de bûcher sur le passé de Mme Maubec de Pré-Benit, rêvassé-je. C’est rare, une vieille personne qui dort sur une pétoire de fort calibre…

— Je vais mettre du monde là-dessus.

— C’est bizarre, cette enquête éclatée, vous ne pensez pas, Mayeul ?

— Pourquoi « éclatée » ? questionne l’éminent fonctionnaire.

Je voudrais lui expliquer le fond de ma pensée.

— Parce qu’elle foire dans tous les sens, me décidé-je. Dès que je me pointe quelque part, je trouve un cadavre, ou la foudre se déclenche.

Je puise l’heure à ma Cartier. Bientôt minuit !

— Demain, il fera jour, fais-je en me levant.

Poignées de main, style accueil de l’hôte illustre sur le perron de l’Élysée. Je hèle Salami. Groggy, il ressemble à un phoque, avec son train arrière qui tarde à se mettre à l’unisson du reste.

— Allons, mon cher ami, courage ! l’exhorté-je. Vous avez grand besoin de récupérer.

Dans le couloir : deux hommes. Mais il ne s’agit plus de Pinaud et Blanc. Cette fois, j’ai droit à Pinaud et Béru.