— En ce cas dors bien, et prends beaucoup de précautions.
Bisou ! J’ai horreur de ce mot. Les mecs qui me disent : « Hortense te fait un bisou », j’aimerais leur pisser contre, tellement les niaiseries me font honte !
Dix minutes plus tard, on va chercher l’autoroute du Soleil.
En pleine nuit !
C’est mézigue qui pilote. À pareille heure, un volant devient une arme qu’on ne peut mettre entre n’importe quelles mains. Tu objecteras que je suis un mec comme les autres et que je peux fort bien piquer du pif sur mon volant. Que nenni, dirait un Italien. J’ai un pote médecin, dont je tairai le nom, pas qu’on le fasse chier, qui me prescrit des petites pilules antidorme. T’en gobes deux, au moment du dernier journal TV, et t’es assuré de ne plus roupiller avant le lendemain soir.
Mes compagnons, moins bien équipés que moi, pharmacieusement parlant, en concassent sauvagement. Le Gravos, surtout, qui reproduit à s’y méprendre les halètements d’un remorqueur en train de remonter les chutes du Zambèse (et des moins belles).
Ça yoyotte sous ma coupole, la seule où tu peux être assuré de ne pas rencontrer de ramollis. Toujours ces événements brutaux qui se succèdent, puis s’imbriquent (de broc). Dieu retrouvera-t-Il les extrémités de l’écheveau ?
L’autoroute, à pareille heure, devient le fief presque exclusif des routiers.
Tiens, voilà des mecs bien ! Ils bandent dur, because les constantes trépidations, ont le vocabulaire imagé, cassent la graine de bon appétit et sont courageux. M’est arrivé de voyager avec eux, quand j’étais étudiant. On se marrait tels des boscos. Ils connaissaient des auberges où une dame pute te faisait dégorger Nestor dans un petit cabanon, au fond de la cour. Elle t’essorait pour pas cher. Après la cérémonie, te demandait d’aller lui chercher un broc d’eau, biscotte elle ne devait pas se montrer. La vie, quoi, comme je dis puis et, à mon unisson, tous les magnaux de Montcarrat, de Saint-Chef et de Bourgoin-Jallieu ! Un ravitaillement superbe, question fesses. Après, on en avait pour des heures à gamberger, à recommencer, à être heureux peut-être ?
De souvenir en souvenir, de kilomètre en kilomètre, nous atteignons la coquette localité de Pompechibre, nichée dans un verdoyant vallon, loin de toute agglomération importante. Il s’agit d’un minuscule village à flanc de coteau. La demeure de Rigobert Panoche est une ancienne maison de pierre, transformée en villa Mon Repos par un homme peu soucieux du patrimoine passé.
Je stoppe ma guinde de fonction à une centaine de mètres de la propriété. À distance, j’aperçois de la lumière au rez-de-chaussée. Je réveille Hanoudeux et Bérurier.
— Allons, messieurs, les secoué-je, nous voici à pied d’œuvre : réveillez-vous et ôtez le cran de sûreté de votre pétoire.
Ils déhottent de la carriole. Le Mastard s’approche d’une haie qu’il s’empresse de compisser, accompagnant sa miction d’une salve de vents rageurs et particulièrement miasmiques. Après avoir libéré un mètre cube de gaz, il se déclare prêt à donner l’assaut.
Marchant sur la bordure herbue du chemin, nous nous approchons de la résidence secondaire (voire tertiaire) du mandataire.
Devant la façade l’est une zone de stationnement entourée de rosiers « Madame Edouard Herriot ». Une baie vitrée donne sur un séjour pompelard, qu’on distingue à travers des voilages poupette. C’est cette pièce qui est éclairée.
Avant de lorgner l’intérieur, j’examine la bagnole stoppée et constate avec une accélération cardiaque inhérente à l’émotion que j’éprouve (dirait un terrassier albanais), qu’il s’agit probablement de celle de Pierre Cadoudal, l’ami — voire l’amant — d’Éléonore : Mercedes berline de couleur bleue.
Donc, la carburation est bonne.
J’imite, avec le coin de ma bouche, le mélodieux appel de la fauvette en rut pour alerter mes troupes ; d’un geste péremptoire, je leur ordonne de se rendre devant l’entrée.
Tandis qu’ils s’exécutent, je m’approche de la fenêtre. Le salon est désert. Sur une table basse placée perpendiculairement à la cheminée, on peut voir une boutanche de whisky avec quatre verres contenant encore du breuvage. Un seau de cristal dans lequel des glaçons ont fondu et plusieurs bouteilles d’eau minérale à peine entamées leur tiennent compagnie. Un journal du soir et une gazette sportive gisent sur la moquette.
À pas de loup, je rallie mes sbires, pistolet au poing. La porte massive ornée ( ?) d’une grille en fer forgé comporte un loquet ouvragé représentant un écureuil en train d’en sodomiser un autre. Je l’actionne et, ô miracle, il tourne dans le sens des aiguilles d’une montre, ce qui fait que la lourde s’ouvre avec une docilité silencieuse.
Nous laissons nos chaussures à l’extérieur et entrons. Qu’aussitôt, nous sommes saisis à la gorge par une effroyable odeur de brûlé.
— Ils ont fait un barbe-cul ! chuchote l’homme par qui le scandale arrive !
Nous nous guidons (de course) à l’odorat et enquillons l’escadrin du sous-sol. Ça pue de plus en plus fort. Et cette puanteur est tellement insoutenable que je dois appliquer mon tire-gomme sur mon tarbouif pour continuer de respirer.
En bas, nous percevons le sourd ronflement d’une chaudière fonctionnant à tout berzingue. L’air est délétère, tant à cause de la chaleur que de l’odeur.
Et c’est la chaufferie.
Vision d’horreur !
Tu veux que je raconte ? Pas raisonnable, car c’est franchement dégueu, tu sais ? Si ? Bon !
Alors, donc, puisque tu insistes, figure-toi que l’énorme chaudière du chauffage central est portée au rouge. À côté de ce foyer, un tas de fringues féminines et masculines gisent pêle-mêle. Dans le fond de la chaufferie, le corps d’un gus au crâne défoncé. Son visage est barbouillé de sang coagulé. Je suis prêt à te parier le prépuce de Louis XVII contre une boîte de sardines, que ce cadavre est celui de Pierre Cadoudal, l’aminche de la belle Éléonore.
Fort de cette certitude, je m’empare d’un tisonnier posé sur le sol et m’en sers pour ouvrir la porte de fonte. Ce que j’aperçois, au milieu de l’incandescence, ce sont des reliefs presque entièrement calcinés.
On les a tronçonnés pour mieux les faire pénétrer dans le brasier. Je crois distinguer un bassin noirci, une tête devenue celle d’un squelette carbonisé, un genou, d’autres lambeaux épurés par le feu. Mes deux compagnons, dont les faciès paraissent illuminés de l’intérieur, demeurent abasourdis.
« Mon Dieu ! m’exclamé-je en appartement (selon Béru qui croit dire : en aparté) dans quelle extraordinaire affaire ai-je fourré mon nez aquilin ! Nous étions réunis pour mon annif, tout baignait dans le beurre et les crus prestigieux, et il a fallu qu’un dérangement téléphonique me précipite dans le meurtre et l’extravagance ! »
— Tu croives quoi ? balbutie l’homme qui a le cul à la place de la figure.
M’abstiens de répondre. Trop tôt pour déterminer quoi que soit.
— Bien, au charbon ! décidé-je ; et c’est le mot qui convient, il colle pile-poil à la situation. Hanoudeux, enchaîné-je, vous aller essayer d’éteindre cette chierie afin que les restes récupérés soient encore identifiables. Je ne vous conseille pas de verser de l’eau sur le foyer, mais de l’étouffer, peut-être en jetant de la terre dessus.
« Toi, Alexandre-Benoît, rassemble les hardes entassées ainsi que le moindre objet que tu trouveras et grimpe le tout au salon, nous serons mieux que dans cet enfer pour les examiner. Quant à ma pomme, je vais procéder à une étude approfondie de la maison et de ses dépendances. »
Mes péones ne pipent mot et mettent mes ordres (en anglais : my orders) à exécution.