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Un homme chauve intervint:

– A quoi cela nous servira-t-il de découvrir la politique idéale si nous n'avons pas les moyens de la mettre en route? Si nous voulons changer le monde, pour aller au bout de nos idées, il nous faut prendre légalement le pouvoir. Nous sommes à quelques mois des élections présidentielles. Entrons en campagne et présentons un candidat du parti «évolutionniste». Son programme sera consolidé par le programme VMV. Nous serons ainsi le premier parti à proposer une politique vraiment logique car basée sur l'observation scientifique des futurs possibles.

Il y eut un brouhaha de conversations entre partisans de la politique et ceux qui la rejetaient absolument. C'était le cas de David qui s'empressa de protester:

– Pas de politique. Ce qu'il y a de bien dans la Révolution des fourmis, c'est justement qu'il s'agit d'un mouvement spontané, dépourvu des ambitions politiques classiques. Nous n'avons pas de chef, donc pas de candidat à la présidence. Tout comme dans une fourmilière, nous avons bien sûr une reine, Julie, mais elle n'est pas notre chef, seulement notre figure emblématique. Nous ne nous reconnaissons en aucun groupe économique, ethnique, religieux ou politique existant. Nous sommes libres. Ne gâchons pas tout ça en entrant dans les manœuvres habituelles pour la conquête du pouvoir. Nous y perdrions notre âme.

Brouhaha encore plus fort. Visiblement l'homme chauve avait mis le doigt sur un point sensible.

– David a raison, ajouta Julie. Notre force, c'est de lancer des idées originales. Pour changer le monde, c'est bien plus efficace que d'être président de la République. Qui change vraiment les choses? Pas les États, mais le plus souvent de simples individus avec des idées neuves. Les Médecins du Monde qui, sans aucune aide gouvernementale, sont partis d'eux-mêmes secourir partout des gens en danger… Les bénévoles qui, en hiver, secourent et nourrissent les pauvres et les sans-abri… Que des initiatives privées venues d'en bas et non d'en haut… Que retiennent les jeunes? Les slogans politiques, ils s'en méfient. En revanche, ils connaissent par cœur les paroles de certaines chansons et c'est comme cela qu'a commencé la Révolution des fourmis. Des idées, de la musique et surtout pas d'idéologie de conquête du pouvoir. Le pouvoir nous abîmerait.

– Mais alors, nous ne pourrons jamais utiliser la VMV! s'offusqua l'homme chauve.

– La VMV, notre science de la VMV, existera quand même et sera à la disposition de tout politicien qui souhaitera la consulter.

– D'autres suggestions? demanda Ji-woong, qui ne voulait pas que des petits débats naissent un peu partout.

Une amazone se leva:

– J'ai un grand-père à la maison et ma sœur a un bébé dont elle n'a pas le temps de s'occuper. Elle a donc demandé à notre grand-père de s'en charger. Il est très content et l'enfant aussi. Il se sent utile et n'a plus l'impression d'être à la charge de la société.

– Et alors? fit Ji-woong pour qu'elle en vienne au fait.

– Alors, poursuivit la jeune fille, alors je me suis dit qu'il y a énormément de mamans qui ont des problèmes de nourrices, de places dans les crèches, de halte-garderie. En même temps, il y a plein de personnes âgées qui se désespèrent à ne rien faire, toutes seules devant leur poste de télévision. On pourrait les réunir, reproduire à une plus grande échelle l'histoire de mon grand-père et de mon neveu.

Dans l'assistance, on reconnaissait que les familles étaient disloquées, beaucoup de vieillards placés dans des hospices pour qu'on ne les voie pas mourir, des bébés garés dans des crèches pour qu'on ne les entende pas pleurer. Finalement, en début comme en fin de course, les humains étaient exclus.

– C'est une excellente idée, reconnut Zoé. Nous allons créer la première «crèche-hospice de vieillards».

Rien qu'à cette première assemblée inventive, quatre-vingt-trois projets furent proposés, dont quatorze furent ensuite directement transformés en filiales de la SARL «Révolution des fourmis».

142. ENCYCLOPEDIE

NEUF MOIS: Pour des mammifères de type supérieur, le temps complet de gestation est normalement de dix-huit mois. C'est le cas notamment des chevaux, dont les poulains naissent capables de marcher. Mais le fœtus humain, lui, a un crâne qui grossit trop vite. Il doit être expulsé à neuf mois du corps de sa mère, sinon il n'en pourrait plus sortir. Il naît donc prématuré, inachevé et non autonome. Ses premiers neuf mois externes ne sont que des copies conformes de ses neuf mois internes. Seule différence: le bébé est passé d'un milieu liquide à un nilieu aérien. Pour ces neuf premiers mois à l'air libre, il a donc besoin d'un autre ventre protec-teu:: le ventre psychique. L'enfant naît déconcerté. Il fst ui peu comme ces grands brûlés qu'il faut placer sous tente artificielle. Pour lui, cette protection artificielle, c'est le contact avec la mère, le lait da la mère, le toucher de la mère, les baisers du père.

De même qu'un enfant a besoin d'un solide cocon protecteur durant les neuf mois qui suivent sa nais-sarce, un vieillard agonisant a besoin d'un cocon psycLologique de soutien durant les neuf mois qui précéderont sa mort. Il s'agit d'une période pour lui essentielle car, intuitivement, il sait que le compte à rebours a commencé. Durant ses neuf derniers mois, le mourant se déshabille de sa vieille peau et de ses connaissances, comme s'il se déprogrammait. Il accomplit un processus inverse à celui de la naissance. En fin de trajectoire, tout comme le bébé, le vieillard mange de la bouillie, porte des langes, n'a pas de dent;, n'a pas de cheveux et il babille un charabia difficilement compréhensible. Seulement, si on entoure généralement les bébés durant les neuf premiers mois suivant leur naissance, on pense rarement à entourer les vieillards les neuf derniers mois précédant leur mort. En toute logique, ils auraient pourtant besoin d'une nourrice ou d'une infirmière qui jouerait le rôle de la mère, «ventre psychique». Celle-ci devrait se montrer très attentionnée afin de leur fournir le cocon de protection indispensable à leur ultime métamorphose.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.

143. BEL-O-KAN ASSIÉGÉE

Ça sent le cocon grillé. La cité de Bel-o-kan ne fume plus. Les soldates belokaniennes sont parvenues à éteindre l'incendié. L'armée des révolutionnaires proDoigts, du moins ses rescapées, campe tout autour de la capitale fédérée. L'ombre de la mégapole fourmi se projette comme un grand triangle noir calciné sur les troupes assiégeantes.

Princesse 103e se dresse sur quatre pattes et 5e, s'ap-puyant lourdement sur une brindille-béquille, se hisse sur deux pattes afin de voir plus haut. Ainsi, la cité paraît plus petite et, pour tout dire, plus accessible. Elles savent qu'à l'intérieur les dégâts doivent être importants mais elles sont dans l'impossibilité de les mesurer.

Il faut donner l'assaut final maintenant, émet 15e.

Princesse 103e ne se montre pas enthousiaste. Encore la guerre! Toujours la guerre! Tuer est le moyen le plus compliqué et le plus fatigant de se faire comprendre.

Pourtant, elle est consciente que la guerre reste pour l'instant le meilleur accélérateur de l'Histoire.

7e suggère d'assiéger la Cité afin de se donner le temps de panser ses plaies et de se réorganiser.

Princesse 103e n'aime pas trop la tactique du siège. Il faut attendre, couper les voies de ravitaillement de la ville, placer des sentinelles autour des zones délicates. Rien de très prestigieux pour des guerrières.

S'approchant d'elle, une fourmi fourbue interrompt ses pensées. Princesse 103e bondit en reconnaissant Prince 24e, tout couvert de poussière.

Les deux insectes échangent mille trophallaxies. Princesse 103e dit qu'elle le croyait mort et Prince 24e lui raconte son aventure. En fait, il est parti dès le début de l'incendie. Quand l'écureuil a bondi vers la sortie, par réflexe, il s'est accroché à sa fourrure, de sorte qu'en galopant de branche en branche, le rongeur l'a entraîné fort loin.