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Prince 24e a alors longtemps marché. Il a ensuite pensé que, puisque c'était un écureuil qui l'avait égaré, un autre écureuil le réorienterait. Il s'est ainsi habitué à emprunter des écureuils pour mode de locomotion. Le problème, c'est qu'on ne peut communiquer avec ces rongeurs pour leur indiquer où on veut aller ou même savoir où ils vont. Si bien que chaque écureuil l'entraînait dans une direction inconnue. Ce qui explique son retard.

Princesse 103e lui narre à son tour comment tout a évolué ici. La bataille de Bel-o-kan. L'attaque du commando incendiaire. Et maintenant le siège.

Il y a vraiment là de quoi écrire un roman, remarque Prince 24e, et il sort sa phéromone mémoire sur laquelle il a commencé son récit et rédigé un nouveau chapitre.

On pourra lire ton roman? demande 13e.

Seulement quand il sera fini, répond 24e.

Il déclare que, plus tard, s'il constate que son roman phéromonal intéresse les fourmis, il écrira peut-être une suite. Il en a déjà le titre en tête: La Nuit des Doigts et si celui-là plaît aux gens, il conclura sa trilogie avec La Révolution des Doigts.

Pourquoi une trilogie? demande Princesse 103e.

24e explique que, dans son premier roman, il racontera le contact entre les deux civilisations, fourmi et Doigt, le second serait le récit de leur confrontation. Enfin, les uns et les autres n'ayant pu s'entre-détruire, le dernier roman serait celui de la coopération entre les deux espèces.

«Contact, confrontation, coopération», il me semble que ce sont les trois stades logiques d'une rencontre entre deux pensées différentes, indique Prince 24e.

Il a déjà une idée très précise de la manière dont il entend rédiger son histoire. Il compte la baser sur trois intrigues parallèles, représentant trois points de vue différents: celui des fourmis, celui des Doigts et celui d'un personnage connaissant les deux mondes parallèles, par exemple 103e.

Tout cela paraît un peu confus à Princesse 103e mais elle écoute attentivement car, visiblement, depuis que Prince 24e a vécu sur l'île du Cornigera, il est hanté par l'envie d'écrire une longue histoire.

Les trois intrigues convergeront vers la fin, précise doctement le jeune prince.

14e surgit alors, les antennes tout ébouriffées. Elle a espionné de près la Cité et découvert un passage. Elle pense qu'on pourrait envoyer un commando.

On peut encore tenter une offensive souterraine.

Princesse 103e décide de la suivre, Prince 24e aussi, ne serait-ce que pour trouver des idées pour les scènes d'action de son roman.

Une centaine de fourmis s'engouffrent ainsi dans le passage qui conduit à la Cité. Elles progressent à pas prudents.

144. MISE EN PRATIQUE

Les stands progressaient bien. Le plus spectaculaire était celui de Francine avec son monde virtuel.

Infra-World était aussi l'activité la plus lucrative de toutes. Par le réseau informatique, de plus en plus d'agences de publicité demandaient à le consulter pour sonder l'impact de leurs conditionnements de lessives ou de couches-culottes, de produits surgelés et de médicaments, ou encore de nouveaux styles de voitures.

Réussite aussi: le «Centre des questions» de David. Dès son lancement, ce carrefour du savoir était devenu une référence. Des gens s'y connectaient aussi bien pour connaître le nombre exact d'épisodes de Chapeau melon et bottes de cuir que des horaires de chemin de fer, le niveau de pollution de l'air dans telle ou telle ville, ou les meilleurs investissements boursiers du moment. Les questions d'ordre personnel étaient rares et David n'avait pas eu besoin d'avoir recours à des détectives privés.

Léopold, pour sa part, avait obtenu commande d'une villa incrustée dans une colline et, ne pouvant se déplacer physiquement, il en envoyait les plans par télécopieur à son client contre son numéro de carte de crédit.

Paul inventait de nouveaux arômes de miel en mêlant le produit des abeilles à des feuilles de thé et de plantes diverses trouvées dans les cuisines ou les jardins du lycée. Depuis qu'il avait réduit les doses de levure, son hydromel était devenu un nectar. Paul avait concocté une cuvée spéciale parfumée à la vanille et au caramel, laquelle était très prisée. Une étudiante des Beaux-Arts lui dessina des étiquettes somptueuses qui apportèrent un cachet supplémentaire à son produit: «Hydromel grand cru. Cuvée Révolution des fourmis. Appellation contrôlée».

Tout le monde s'en délecta. À un petit auditoire très intéressé, il raconta:

– Je savais déjà que l'hydromel était la boisson des dieux de l'Olympe et celle des fourmis qui, en faisant fermenter leur miellat de pucerons, obtiennent une sorte d'alcool qui les soûlent, mais ce n'est pas tout. Au «Centre des questions» de David, j'ai découvert encore un tas de choses sur l'hydromel. Les chamans mayas s'injectaient des lavements à base d'hydromel et de graines de belles-de-jour. Ainsi absorbées, ces substances hallucinogènes, sans susciter de nausées, provoquaient des transes beaucoup plus rapides et beaucoup plus puissantes que par voie orale.

– Quelle est la recette de l'hydromel? demanda un amateur.

– La mienne, je l'ai trouvée dans l'Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu.

Il lut.

– «Faire bouillir 6 kilos de miel d'abeille, écumer, recouvrir de 15 litres d'eau, ajouter 25 grammes de poudre de gingembre, 15 grammes de cardamone, 15 grammes de cannelle. Laisser bouillir jusqu'à réduction du mélange d'un quart environ. Arrêter la cuisson et laisser tiédir. Ajouter ensuite 2 cuillerées de levure de bière et laisser reposer le tout pendant 12 heures. Passer ensuite le liquide en le transvasant dans un tonnelet. Bien le fermer et laisser reposer.» Notre hydromel est, certes, un peu jeune. Il faudra attendre encore pour qu'il prenne du corps.

– Et savais-tu que les Égyptiens se servaient du miel pour désinfecter les plaies et calmer les brûlures? demanda une amazone.

L'information donna à Paul l'idée d'élaborer une ligne de parapharmacie en plus de sa ligne de produits alimentaires.

Plus loin, les vêtements de Narcisse étaient présentés. Des amazones faisaient office de mannequins devant les gens de la révolution et sous les objectifs d'une caméra vidéo qui retransmettait les images, via le serveur, sur le réseau informatique international.

Seules les deux machines compliquées de Julie et de Zoé ne présentaient pour l'heure que des résultats décevants. La machine à dialoguer avec les fourmis avait déjà tué une trentaine d'insectes cobayes. Quant aux prothèses olfactives de Zoé, elles blessaient si fort les narines que nul ne pouvait les supporter plus de quelques secondes.

Julie monta sur le balcon du proviseur et contempla la cour et sa révolution. Le drapeau flottait, la fourmi-totem trônait, des musiciens reggae jouaient dans un nuage de fumées de marijuana. Partout, autour des stands, des gens s'activaient.

– On a quand même réussi quelque chose de sympathique, dit Zoé qui l'avait rejointe.

– Au niveau collectif, c'est certain, acquiesça Julie. Maintenant, c'est au niveau individuel qu'il nous faudrait réussir.

– Que veux-tu dire?

– Je me demande si ma volonté de changer le monde n'est pas en fait le constat de mon incapacité à me changer moi-même.

– Voilà autre chose. Holà, Julie! je crois que tu fonctionnes un peu trop au carburateur neuronal. Tout marche bien, sois heureuse.