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Tous parvinrent à Marseille, où la mer ne s'ouvrit pas. Vainement ils attendirent sur le port, jusqu'à ce que deux Siciliens leur proposent de les conduire en bateau à Jérusalem. Les enfants crurent au miracle. Il n'y eut pas de miracle. Les deux Siciliens étaient liés à une bande de pirates tunisiens qui les menèrent non pas à Jérusalem mais à Tunis, où ils furent tous vendus comme esclaves, à bon prix, sur le marché.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.

100. LE GRAND CARNAVAL

– N'attendons plus. Allons-y! lança une voix, parmi les spectateurs.

Julie ne savait pas où cet élan les mènerait, mais sa curiosité fut la plus forte.

– En avant! approuva-t-elle.

Le directeur du centre culturel pria tout le monde de rester sagement à sa place.

– Du calme, du calme, je vous en prie, ce n'est qu'un concert.

Quelqu'un lui coupa le micro.

Julie et les Sept Nains se retrouvèrent dans la rue, cernés par une petite foule enthousiaste. Il fallait vite donner un but, une direction, un sens à cette foule en marche.

– Au lycée, clama Julie. On va faire la fête!

– Au lycée, répétèrent les autres.

L'adrénaline montait toujours dans les veines de la chanteuse. Nulle cigarette de marijuana, nul alcool, nul stupéfiant n'était capable de produire un tel effet. Elle était véritablement dopée.

À présent qu'elle n'était plus séparée de son public par les feux de la rampe, Julie distinguait les visages. Il y avait là des gens de tout âge, autant d'hommes que de femmes, autant de très jeunes que de personnes mûres. Ils étaient peut-être cinq cents à se presser autour d'eux en une grande procession multicolore.

Julie entonna la «Révolution des Fourmis». Autour d'eux, on chanta et on se trémoussa tout au long de l'artère principale de Fontainebleau en une sarabande de carnaval.

Nous sommes les nouveaux inventeurs.

Nous sommes les nouveaux visionnaires! clamèrent-ils en chœur.

Les filles du club de aïkido improvisèrent un service d'ordre qui empêcha aussitôt de passer les voitures qui auraient pu troubler la fête. Très vite, la grande avenue fut bloquée et le groupe de rock et ses fans avancèrent librement.

La foule ne cessait de s'accroître. Il n'y avait pas tant de distractions que cela, le soir, à Fontainebleau. Des badauds rejoignaient la troupe et s'informaient de ce qui se passait.

Aucune pancarte. Aucune banderole à l'avant de la marche, seulement des filles et des garçons qui se balançaient sur des solos de harpe et de flûte.

La voix chaude et puissante de Julie scandait:

Nous sommes les nouveaux inventeurs,

Nous sommes les nouveaux visionnaires!

Elle était leur reine et leur idole, leur sirène enchanteresse et leur Pasionaria. Mieux encore, elle les mettait en transe. Elle était leur chaman.

Julie s'enivrait de sa popularité, elle s'enivrait de la foule qui l'entourait et la portait en avant. Jamais elle ne s'était sentie aussi «peu seule».

Un premier cordon de policiers surgit tout à coup devant eux et les filles des premiers rangs s'avancèrent et imaginèrent une stratégie étrange: elles les couvrirent de baisers.

Comment donner des coups de matraque dans ces conditions? Le cordon des défenseurs de l'ordre établi se dispersa. Plus loin, un car de police s'approcha mais renonça à intervenir devant l'ampleur que prenait l'événement.

– C'est la fête, criait Julie. Mesdames, messieurs, mesdemoiselles, sortez dans la rue, oubliez vos tristesses et rejoignez-nous.

Des fenêtres s'ouvrirent, des gens se penchèrent pour contempler la longue cohorte bariolée.

– Qu'est-ce que vous revendiquez? demanda une vieille dame.

– Rien. On ne revendique rien du tout, répondit une amazone du club de aïkido.

– Rien? Si vous ne revendiquez rien, ce n'est pas une révolution!

– Mais si, justement, madame. C'est ça qui est original. Nous sommes la première révolution sans revendications.

C'était comme si les spectateurs refusaient que la fête se limite à deux heures de musique payées cent francs la place. Tous voulaient qu'elle s'étende dans le temps et dans l'espace. À tue-tête, ils reprenaient:

Nous sommes les nouveaux visionnaires,

Nous sommes les nouveaux inventeurs!

Parmi ceux qui accouraient, certains s'étaient munis de leurs propres instruments de musique pour participer à la fanfare. D'autres avaient apporté des ustensiles de cuisine en guise de tambours, de baguettes. D'autres, des serpentins et des confettis.

Comme le lui avait enseigné son vieux professeur de chant, elle donna le maximum d'ampleur à sa voix et, autour d'elle, chacun reprit ses paroles. Ensemble, ils réussirent presque un Egrégor de cinq cents voix et la ville entière résonna de leur chœur:

Nous sommes les nouveaux visionnaires,

Nous sommes les nouveaux inventeurs!

Nous sommes les petites fourmis qui grignoteront le vieux monde sclérosé.

101. ENCYCLOPEDIE

LA RÉVOLUTION DES ENFANTS DE CHENGDU: Jusqu'en 1967, Chengdu, capitale de la province chinoise du Sichuan, était une ville tranquille. À 1 000 mètres d'altitude sur le flanc de la chaîne himalayenne, cette cité ancienne fortifiée comptait trois millions d'habitants qui, pour la plupart, étaient dans l'ignorance de ce qui se passait à Pékin ou à Shanghai. Or, à l'époque, ces grandes métropoles commençaient à être surpeuplées et Mao Tsé-Toung avait décidé de les vider. On sépara les familles, envoyant les parents s'échiner à la campagne dans les champs et les enfants dans des centres de formation de Gardes rouges afin d'en faire de bons communistes. Ces centres étaient de véritables camps de travail. Les conditions de vie y étaient très pénibles. Les enfants y étaient mal nourris. On expérimentait sur eux des aliments cellulosiques à base de sciure de bois et ils mouraient comme des mouches. Cependant, Pékin était agité par des disputes de palais; il advint que Lin Piao, dauphin officiel de Mao et responsable des Gardes rouges, tomba en disgrâce. Les cadres du Parti incitèrent alors les enfants Gardes rouges à se révolter contre leurs geôliers. Subtilité toute chinoise: c'était au nom du maoïsme que les enfants avaient dorénavant le devoir de s'évader de camps maoïstes et de rouer de coups leurs instructeurs.

Libérés, les enfants Gardes rouges se répandirent à travers le pays sous le prétexte de prêcher la bonne parole maoïste contre l'État corrompu; en fait, la plupart cherchaient surtout à s'évader de Chine. Ils prirent d'assaut les gares et partirent vers l'ouest où des rumeurs assuraient qu'il existait une filière permettant aux enfants de traverser clandestinement la frontière et de passer en territoire indien. Or, tous les trains se dirigeant vers l'ouest avaient pour terminus Chengdu. C'est donc dans cette ville montagneuse que débarquèrent des milliers de «scouts» âgés de treize à quinze ans. Au début, cela ne se passa pas trop mal. Les enfants racontèrent comment ils avaient souffert dans les camps de Gardes rouges et la population de Chengdu les prit en pitié. On leur offrit des friandises, on les nourrit, on leur donna des tentes où dormir, des couvertures pour se réchauffer. Mais le flot continuait à se déverser dans la gare de Chengdu. De mille qu'ils étaient d'abord, il y eut bientôt deux cent mille fugitifs.