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Le problème, c 'est que certains Doigts ont voulu nous inculquer cette même notion et donc se faire passer pour les dieux des fourmis! émet Prince 24e.

Princesse 103e acquiesce.

Elle reconnaît que tous les Doigts ne sont pas dénués de la volonté de contrôler toutes les espèces voisines. Comme chez les fourmis, il y a parmi eux des durs et des doux, des imbéciles et des intelligents, des généreux et des profiteurs. Ces fourmis-là ont dû tomber sur des profiteurs.

Mais il ne faut pas juger négativement les Doigts sur le fait que certains d'entre eux se sont présentés comme les dieux des fourmis. Cette diversité de comportement montre au contraire leur richesse d'esprit.

Les douze exploratrices ayant maintenant vaguement compris la notion de Dieu, elles demandent naïvement si les Doigts ne seraient pas vraiment… leurs dieux.

Princesse 103e dit que, selon elle, les deux espèces suivent des trajectoires parallèles et que donc, les Doigts ne peuvent avoir créé les fourmis. Ne serait-ce que pour des raisons d'antériorité, les fourmis étant apparues sur la Terre bien avant les Doigts. De même, il lui paraît peu probable que les fourmis aient créé les Doigts.

Un doute subsiste quand même dans l'assemblée.

L'avantage de la croyance en Dieu, c'est qu'elle permet d'expliquer l'inexplicable. Certaines fourmis sont déjà toutes prêtes à prendre la foudre ou le feu pour des manifestations de leurs dieux doigts.

Princesse 103e répète que les Doigts sont une espèce récente apparue il y a environ trois millions d'années alors que les fourmis sont là depuis cent millions d'années.

Comment les sujets seraient-ils apparus avant leurs créateurs?

Les douze exploratrices demandent comment elle le sait et Princesse 103e répète qu'elle l'a entendu dans un de leurs documentaires à la télévision.

L'assistance est perplexe. Même si toutes les fourmis présentes ne sont pas convaincues que les Doigts sont leurs créateurs, toutes sont bien obligées de reconnaître que ce «jeune» animal est surdoué et qu'il connaît bien des choses que les insectes ignorent.

Prince 24e est seul à ne pas être d'accord. Pour lui, le peuple des fourmis n'a rien à envier aux Doigts; en cas de rencontre, les fourmis auront vraisemblablement plus de connaissances à enseigner aux Doigts que les Doigts aux fourmis. Quant aux trois mystères: l'art, l'humour et l'amour, dès que les fourmis auront compris de quoi il s'agit exactement, elles sauront aussitôt les reproduire et les améliorer. Il en est convaincu.

Dans un coin, des fourmis cornigériennes, que l'usage de la lance de feu a impressionnées lors de la bataille des roseaux, ont traîné une braise sur une feuille. Elles testent l'effet de la braise sur plusieurs matériaux. Elles brûlent tour à tour une feuille, une fleur, de la terre, des racines. 6e se fait leur mentor. Ensemble, elles obtiennent des fumées bleuâtres et des odeurs immondes; c'est sans doute comme cela qu'ont procédé aussi les premiers inventeurs dans le monde des Doigts.

Les Doigts doivent quand même être des animaux compliqués…, soupire une fourmi cornigérienne qui commence à en avoir un peu ras les antennes de toutes ces histoires de monde supérieur. Elle se recroqueville et se rendort, laissant les autres discuter tout leur soûl et jouer avec le feu.

113. ENCYCLOPÉDIE

GÂTEAU D'ANNIVERSAIRE: Souffler des bougies à l'occasion de chaque anniversaire est l'un des rites les plus révélateurs de l'espèce humaine. L'homme se rappelle ainsi, à intervalles réguliers, qu'il est capable de créer le feu puis de l'éteindre de son souffle. Le contrôle du feu constitue un des rites de passage pour qu'un bébé se transforme en être responsable. Que les personnes âgées n'aient plus le souffle nécessaire à l'extinction des bougies prouve en revanche qu'elles sont désormais socialement exclues du monde humain actif.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.

114. MANQUE D'AIR

Julie affalée sur son épaule, Ji-woong fut content de constater que cette cave débouchait loin des cars de CRS. Il se précipita en quête d'une pharmacie de garde encore ouverte à trois heures du matin.

Alors que Ji-woong, en désespoir de cause, tambourinait à la porte d'un établissement clos, une fenêtre s'ouvrit au-dessus et un homme en pyjama s'y pencha:

– Inutile d'ameuter le voisinage. La seule pharmacie encore ouverte à cette heure-ci, c'est celle qui se trouve dans la boîte de nuit.

– Vous plaisantez?

– Pas du tout. C'est un service nouveau. Ne serait-ce que pour la vente de préservatifs, ils se sont aperçus que c'était plus simple de mettre les pharmacies dans les boîtes de nuit.

– Et où est-elle, cette boîte de nuit?

– Au bout de la rue à droite, il y a une petite impasse, c'est là. Vous ne pouvez pas vous tromper, ça s'appelle «L'Enfer».

Effectivement «L'Enfer» clignotait en lettres de feu avec, autour, de petits diablotins aux ailes de chauves-souris.

Julie était à l'agonie.

– De l'air! Par pitié, de l'air!

Pourquoi y avait-il si peu d'air sur cette planète?

Ji-woong la posa à terre et paya leurs deux entrées comme s'ils n'étaient qu'un couple de danseurs parmi d'autres. Le portier, le visage garni de piercings et de tatouages, ne fut nullement surpris de voir une fille en si triste état. La plupart des clients qui fréquentaient «L'Enfer» arrivaient déjà à demi sonnés par la drogue ou l'alcool.

Dans la salle, la voix d'Alexandrine susurrait «I loveuue you, mon amour, je t'aimeeue» et des couples s'enlaçaient dans les halos des fumigènes. Le dise-jockey haussa le volume et plus personne ne put s'entendre. Il baissa les lumières jusqu'à ne plus laisser que de petites loupiotes rouges qui clignotaient. Il savait ce qu'il faisait. Dans cette obscurité et ce vacarme assourdissant, ceux qui n'avaient rien à dire et ceux qui n'étaient pas très avantagés par la nature avaient les mêmes chances que les autres de profiter du slow pour séduire.

«Mon amour, je t'aiaiaimmmmeuuuuue, my loveeuuue», scandait Alexandrine.

Ji-woong traversa la piste en bousculant les couples sans ménagement, uniquement soucieux de tramer Julie au plus vite jusqu'à la pharmacie.

Une dame en blouse blanche y était plongée dans une revue glamour et mâchait du chewing-gum. Quand elle les aperçut, elle ôta l'un des tampons qui protégeaient son conduit auditif. Ji-woong hurla pour dominer la sono et elle lui fît signe de fermer la porte. Une partie des décibels restèrent à l'extérieur.

– De la Ventoline, s'il vous plaît. Vite, c'est pour mademoiselle. Elle est en pleine crise d'asthme.

– Vous avez une ordonnance? demanda calmement la pharmacienne.

– Vous voyez bien que c'est une question de vie ou de mort. Je paierai ce que vous voudrez.

Julie n'avait pas besoin de faire d'efforts pour susciter la compassion. Sa bouche béait comme celle d'une daurade sortie de l'océan. La femme n'en fut pas attendrie pour autant.

– Désolée. Ce n'est pas une épicerie, ici. Il nous est interdit de délivrer de la Ventoline sans ordonnance, ce serait illégal. Vous n'êtes pas les premiers à me faire cette comédie. Chacun sait que la Ventoline est un vasodilatateur très utile pour les messieurs défaillants!

C'en fut trop pour Ji-woong qui explosa. Il attrapa la pharmacienne par le col de sa blouse et, ne disposant d'aucune arme, il saisit la clef de son appartement et en appuya l'extrémité pointue sur son cou.

D'un ton menaçant, il articula:

– Je ne plaisante pas. De la Ventoline, je vous prie, ou c'est vous, madame la pharmacienne, qui aurez bientôt besoin de médicaments vendus avec ou sans ordonnance.