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L'information fait réfléchir 103e. La princesse s'interroge depuis longtemps sur la pensée exotique doigtesque. Elle s'est figuré un moment que leur haute taille en était responsable, mais les arbres eux aussi sont très grands et ils n'ont pas de télévision ni de voiture. Elle a cru ensuite que la configuration de leurs mains, qui leur permet de fabriquer des objets compliqués, était à l'origine de leur civilisation, mais les écureuils ont également des mains pleines de doigts et ils ne fabriquent rien de vraiment intéressant.

Peut-être que la drôle de façon de penser des Doigts provient de ce maintien en équilibre sur les deux pattes postérieures. Ainsi perchés, ils voient plus loin. Ensuite, tout s'est adapté: leurs yeux, leur cerveau, leur manière de gérer leurs territoires et jusqu'à leurs ambitions.

En effet, à sa connaissance, les Doigts sont les seuls animaux à marcher en permanence sur leurs deux pattes arrière. Même les lézards ne demeurent pas plus de quelques secondes en cette position précaire.

Du coup, Princesse 103e essaie à son tour de se dresser sur ses deux pattes arrière. C'est très pénible, ses articulations de chevilles se tordent et blanchissent sous la pression. Surmontant la douleur, elle tente quelques pas. Ses pattes la font souffrir horriblement et s'incurvent. 103e perd l'équilibre et part en avant. Elle bat vainement de ses quatre bras pour se stabiliser et tombe sur le flanc, réussissant tout juste à amortir le choc de ses bras antérieurs.

Elle se dit qu'elle ne recommencera plus.

5e, elle, appuyée à un tronc, arrive à se maintenir debout un peu plus longtemps.

Sur deux pattes, c 'est fantastique, annonce-t-elle à la cantonade avant de s'effondrer à son tour.

125. ÇA BOUILLONNE

– Tout ça est trop instable!

Ils étaient d'accord. Il fallait maintenant étayer la révolution: poser une discipline, des objectifs, une organisation.

Ji-woong suggéra de dresser un inventaire complet de tout ce que contenait le lycée. Combien de draps, combien de couverts, combien de provisions, tout était important.

Ils commencèrent par se compter. Cinq cent vingt et une personnes occupaient le lycée alors que les dortoirs n'avaient été conçus que pour deux cents élèves. Julie proposa de dresser des tentes au centre de la pelouse avec des draps et des balais. Heureusement, ces deux articles abondaient dans l'établissement. Chacun s'empara de draps et de balais et entreprit de monter sa tente. Léopold leur apprit à fabriquer des tentes, genre tipis navajos dont l'avantage était que l'on disposait à l'intérieur d'une bonne hauteur de plafond et que l'on pouvait y régler l'aération à l'aide d'un seul manche. Il expliqua également pourquoi il est intéressant de bâtir des maisons de forme ronde.

– La terre est ronde. En choisissant sa forme pour notre demeure, nous faisons osmose avec elle.

Chacun se mit à coudre, à coller et à nouer, retrouvant une adresse manuelle qu'il ignorait, n'ayant jamais eu l'occasion d'accomplir des gestes précis dans un monde de «boutons-poussoirs».

Aux jeunes gens qui voulaient aligner leurs tentes comme dans n'importe quel camping, Léopold conseilla de les placer en cercles concentriques. L'ensemble forma une spirale avec au centre le feu, le mât porteur du drapeau et le totem de la fourmi en polystyrène.

– Ainsi, notre village aura son centre. C'est plus facile pour se situer. Le feu est comme le soleil de notre système solaire.

L'idée plut et chacun construisit son tipi de la manière préconisée par Léopold. Partout, on coupait et on liait des balais. On utilisait des fourchettes comme piquets. Léopold enseignait l'art des nœuds pour tendre les toiles. Par chance, la pelouse centrale du lycée était suffisamment vaite. Les frileux allaient près du feu, les autres préféra enf la périphérie.

Sur le côté droit du lycée, on installa un podium en joignant des bureaux de professeurs. Il servirait aux discours et bien sûr, aux concerts.

Dès que tout fut en place, on s'intéressa de nouveau à la musique. Il y avait là nombre de musiciens amateurs de fort bon niveau, spécialisés dans des genres différents. Ils se relayèrent sur l'estrade.

Les filles du club de aïkido s'étaient improvisées service d'ordre et contribuaient au bon fonctionnement de la révolution. Leur victoire sur les CRS les avait embellies. Avec leurs tee- shirts «Révolution des fourmis» artistiquement déchirés, leurs chevelures en bataille, leurs airs farouches de tigresses et leurs aptitudes au close-combat, elles ressemblaient de plus en plus à de véritables amazones.

Paul se chargea d'évaluer les réserves de la cantine. Les assiégés ne souffriraient pas de la faim. Le lycée disposait d'immenses congélateurs où s'entassaient des tonnes de nourritures diverses. Paul comprit l'importance qu'aurait leur premier vrai repas «officiel» en commun et décida d'en soigner tout particulièrement le menu. Tomates-mozzarella-basilic-huile d'olive en hors-d'œuvre (il y en avait à profusion), brochettes de coquilles Saint-Jacques et de poisson accompagnées de riz au safran en plat principal (il y avait de quoi en confectionner de pleines marmites pendant plusieurs semaines), et salade de fruits ou charlotte au chocolat amer pour dessert.

– Bravo! le complimenta Julie. Nous allons faire, la première révolution gastronomique.

– C'est parce que, avant, on n'avait pas encore inventé les congélateurs, éluda Paul, modeste.

En guise de cocktail, Paul proposa de l'hydromel, la boisson des dieux de l'Olympe et des fourmis. Sa recette: mélanger de l'eau, du miel et de la levure. Il en fit une première cuvée qui, quoique très jeune (on peut considérer que vingt-cinq minutes c'est un peu court pour le vieillissement d'un bon cru), s'avéra délicieuse.

– Trinquons.

Zoé raconta que l'habitude de trinquer en entrechoquant les verres remontait à une tradition médiévale. En trinquant, chacun recevait une goutte de l'autre, lui prouvant ainsi qu'il ne contenait pas de poison. Plus on frappait fort et plus il y avait de chances que de la boisson s'échappe et donc plus on était considéré comme digne de confiance.

Le repas fut servi dans la cafétéria. Un lycée, c'était vraiment pratique pour faire la révolution: il y avait l'électricité, le téléphone, des cuisines, des tables pour manger, des dortoirs pour dormir, des draps pour faire des tentes et tous les outils de bricolage nécessaires. Jamais ils n'auraient accompli autant de choses en plein air dans un champ.

Ils mangèrent de bon cœur, avec une pensée émue pour les révolutionnaires précédents, qui avaient été sûrement contraints de se contenter de haricots blancs en conserve et de biscuits secs.

– Rien que par ça on innove, dit Julie, qui en oubliait son anorexie.

Ensemble, ils firent la vaisselle en chantant. «Si ma mère me voyait, elle n'en reviendrait pas», pensa Julie. Jamais elle n'avait pu l'obliger à faire la vaisselle. Or, là, elle y prenait du plaisir.

Après le déjeuner, un garçon gratta de la guitare sur le podium et susurra des airs langoureux. Des couples dansèrent lentement sur la pelouse. Paul invita Elisabeth, une fille bien en chair, que les amazones du club de aïkido s'étaient donnée spontanément pour leader.

Léopold s'inclina devant Zoé et eux aussi dansèrent, serrés l'un contre l'autre.

– Je ne sais pas si on a bien fait de le laisser chanter, s'agaça Julie en fixant le chanteur de charme. Ça donne un côté mièvre à notre révolution.

– Ici, tous les genres de musique ont le droit de s'exprimer, rappela David.

Narcisse plaisantait avec un grand type musclé qui lui expliquait comment il entretenait son corps en pratiquant le body-building. Ayant encore en bouche le goût du hors-d'œuvre, il lui demanda s'il n'avait jamais eu l'idée de s'enduire le corps d'huile d'olive pour mettre en valeur ses muscles les plus saillants.