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— Oui, oui, je vous entends, dit Marguerite.

— Alors voici, reprit le géant, ce que Monseigneur de Valois a imaginé pour tirer Louis d’affaire.

Il prit un temps, se racla la gorge.

— Vous acceptez de reconnaître que votre fille Jeanne n’est point de Louis ; vous reconnaissez que vous vous êtes toujours refusée de corps à votre époux, et qu’ainsi il n’y a pas eu vraiment mariage. Vous déclarez cela tout benoîtement devant moi et devant votre chapelain qui contresigne. On trouvera sans peine, parmi vos anciens serviteurs ou familiers, quelques témoins de complaisance pour certifier la chose. De la sorte le lien ne peut plus être défendu, et l’annulation va de soi.

— Et que m’offre-t-on en échange ?

— En échange ? répéta d’Artois. En échange, ma cousine, on vous offre d’être conduite dans quelque couvent du duché de Bourgogne, jusqu’à ce que l’annulation soit prononcée, et ensuite de vivre comme il vous siéra ou comme il siéra à votre famille.

Dans le premier mouvement, Marguerite faillit répondre : « J’accepte ; je déclare et signe tout ce qu’on veut, à condition que je sorte d’ici. » Mais elle vit d’Artois qui l’épiait, paupières mi-closes sur ses yeux gris, avec une dureté fort peu accordée au ton débonnaire qu’il s’efforçait de prendre. « Je vais signer, pensa-t-elle, et ensuite on me maintiendra en geôle. » Puisqu’on venait lui proposer un marché, on avait besoin d’elle.

— C’est vouloir me faire professer un gros mensonge, dit-elle.

D’Artois éclata de rire.

— Eh là, ma cousine ! Vous en avez professé quelques autres, il me semble, et sans trop de scrupules !

— Il se peut que j’aie changé, et me sois repentie. Il me faut réfléchir avant de décider.

Robert d’Artois fit une curieuse grimace, tordant les lèvres de droite à gauche.

— Soit, dit-il, mais réfléchissez vite. Car je dois être à Paris le matin d’après-demain, pour la grand-messe de funérailles du roi Philippe, à Notre-Dame. Vingt-trois lieues à me caler dans les bottes. Avec ces chemins où l’on enfonce de deux pouces dans la crotte, le jour qui tombe tôt et se lève tard, je ne puis guère muser. Je m’en vais dormir une heure et vous viendrai retrouver pour manger avec vous. Il ne sera pas dit que je vous laisserai seule, ma cousine, le premier jour où vous ferez bonne chère. Vous aurez décidé comme il faut, j’en suis sûr.

Il sortit vivement, et manqua de renverser dans l’escalier l’archer Gros-Guillaume qui montait, suant et courbé sous un énorme coffre. D’autres meubles s’entassaient au bas des marches.

D’Artois s’engouffra dans le logement dévasté du capitaine de forteresse et se jeta sur la seule couche qui y restât.

— Bersumée, mon ami, que le dîner soit prêt dans une heure, dit-il. Et appelle mon valet Lormet, qui doit être parmi les écuyers, pour qu’il vienne veiller mon sommeil.

Car ce colosse ne craignait rien, sinon de s’offrir sans défense à ses ennemis pendant qu’il dormait. Et à tout varlet ou bachelier, il préférait, comme garde, le serviteur trapu, carré, grisonnant, qui le suivait partout et le servait en tout, aussi habile à le pourvoir de filles qu’à poignarder silencieusement un gêneur si quelque affaire tournait mal dans une taverne. Avec cela malicieux, mais jouant à merveille les niais, et d’autant plus dangereux qu’il ne payait pas de mine, Lormet était un espion excellent. Quand on lui demandait ce qui l’attachait si fort à Monseigneur Robert, le bonhomme, ses joues rondes traversées d’un sourire auquel manquaient trois dents, répondait :

— C’est parce que dans chacun de ses vieux manteaux, je peux m’en tailler deux.

Dès que Lormet fut entré, Robert ferma les yeux et s’endormit dans l’instant, bras ouverts, pieds écartés, le ventre soulevé d’un bon souffle d’ogre.

Lormet s’assit sur un tabouret, sa dague posée en travers des genoux, et se mit en surveillance devant le sommeil du géant.

Une heure plus tard Robert d’Artois s’éveilla de lui-même, s’étira comme un gros tigre, et se dressa, reposé de muscles et frais d’esprit.

— À toi d’aller dormir maintenant, mon bon Lormet, dit-il ; mais auparavant, va me quérir le chapelain.

III

LA DERNIÈRE CHANCE D’ÊTRE REINE

Le dominicain en disgrâce arriva aussitôt, tout agité d’être mandé en particulier par un si haut baron.

— Mon frère, lui dit d’Artois, vous connaissez bien Madame Marguerite puisque vous la confessez. Quel est le faible de sa nature ?

— La chair, Monseigneur, répondit le chapelain en baissant modestement les yeux.

— Grande nouvelle en vérité ! Mais encore… Y a-t-il quelque sentiment chez elle sur lequel on puisse peser, pour lui faire entendre certaines choses qui sont dans son intérêt comme dans celui du royaume ?

— Je ne vois pas, Monseigneur. Je ne vois rien en elle qui puisse fléchir… sauf sur le point que je vous ai dit. Cette princesse a l’âme dure comme une épée, et même la prison n’en a pas émoussé le tranchant. Ah ! Ce n’est point, croyez-le, une pénitente facile !

Les mains dans les manches, le front incliné, il essayait de se montrer à la fois pieux et habile. Il n’avait pas été tondu récemment, et son crâne, au-dessus de la couronne de cheveux, se couvrait d’une rase fourrure beige. Son froc blanc était marbré de taches de vin mal effacées au lavage.

D’Artois resta silencieux un instant, se frottant la joue parce que la tonsure du chapelain le faisait songer à sa barbe qui commençait à pousser.

— Et sur le point que vous m’avez dit, reprit-il, qu’a-t-elle trouvé ici pour satisfaire… sa faiblesse, puisque c’est ainsi que vous nommez cette sorte de vigueur ?

— À ma connaissance, rien, Monseigneur.

— Bersumée ? Il ne lui fait jamais de visite un peu longue.

— Jamais, Monseigneur ; je puis en répondre, s’écria le chapelain.

— Et… avec vous ?

— Oh ! Monseigneur !

— Allons, allons ! dit l’Artois. Cela s’est déjà vu, et l’on connaît plus d’un de vos pareils qui, son froc ôté, se sent homme autant qu’un autre. Pour ma part je n’y vois pas offense, et même, pour vous dire franc, j’y verrais plutôt matière à louange… Et avec sa cousine ? Les deux dames ne se consolent point un peu entre elles ?

— Monseigneur ! dit le chapelain, affectant de plus en plus un pieux effarouchement. C’est un secret de confession que vous me demandez là !

D’Artois lui adressa une bourrade amicale.

— Allons, allons, messire chapelain, ne plaisantez point. Si l’on vous a mis desservant de prison, ce n’est pas pour garder les secrets, c’est pour les répéter… à qui de droit.

— Ni Madame Marguerite, ni Madame Blanche, ne se sont jamais accusées à moi d’être coupables de rien de semblable, sinon en rêve, dit le chapelain en baissant les yeux.

— Ce qui ne prouve pas qu’elles sont innocentes, mais qu’elles sont prudentes. Savez-vous écrire ?

— Certes, Monseigneur.

— Ah bah ! fit d’Artois d’un air étonné. Tous les moines ne sont donc pas d’aussi fieffés ignorants qu’on le dit !… Alors, mon petit frère, vous allez prendre du parchemin, des plumes, et tous les ingrédients qu’il faut pour gratter une lettre, et vous tenir au bas de la tour des princesses, prêt à grimper dès que je vous appellerai.