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– Un superordinateur? Tu m'intéresses, dit-elle en se mettant des gouttes de collyre sur la cornée.

Julie sourit.

– J'ai dit «mieux que tes ordinateurs». En plus, ça ne fait pas mal aux yeux.

Elle brandit l'épais volume de l'Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu.

– Un livre? s'étonna Francine.

– Pas n'importe quel livre. Je l'ai découvert au fond d'un tunnel en forêt. Il s'intitule l'Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, et il a été rédigé par un vieux sage qui sans doute a fait le tour du monde pour ainsi accumuler toutes les connaissances de son temps sur tous les pays, toutes les époques et dans tous les domaines.

– Tu exagères.

– Bon. Je reconnais tout ignorer de celui qui l'a écrit, mais lis-le un peu, tu seras vraiment surprise.

Elle le lui tendit et, ensemble, elles le feuilletèrent.

Francine découvrit un passage affirmant que l'informatique était un moyen de transformer le monde mais que, pour y parvenir, il fallait posséder un ordinateur de très grande puissance. Les ordinateurs de modèle courant n'étaient dotés que de capacités limitées parce qu'ils étaient hiérarchisés. Comme dans une monarchie, un microprocesseur central dirigeait des composants électro niques périphériques. Il était donc nécessaire de créer une démocratie au sein même des puces d'ordinateurs.

En lieu et place d'un gros microprocesseur central, le professeur Edmond Wells proposait d'utiliser une multitude de petits microprocesseurs qui travailleraient simultanément, se concerteraient en permanence et, à tour de rôle, prendraient des décisions. L'engin qu'il appelait de ses vœux, il le nommait «ordinateur à architecture démocratique».

Francine était intéressée. Elle examina les plans.

– Cette machine du futur, si elle tient ses promesses, reléguera au musée tous les ordinateurs existants. Ton type avait des idées marrantes. Il décrit là un ordinateur d'un genre nouveau, doté non pas d'un seul ou même de quatre cerveaux fonctionnant en parallèle, mais de cinq cents œuvrant ensemble. Tu t'imagines la puissance d'un tel appareil?

Francine comprit que l'Encyclopédie n'était pas qu'un recueil d'aphorismes mais un ouvrage en prise directe avec la vie, proposant des solutions tout à fait pratiques et réalisables.

– Jusqu'ici, on ne fabriquait que des ordinateurs à architecture parallèle. Mais avec la machine que décrit ton encyclopédie, cette «architecture démocratique», n'importe quel programme verra ses possibilités multipliées par cinq cents!

Les deux filles se regardèrent. Une complicité très forte venait de naître. À cet instant, sans se parler, toutes deux surent qu'elles pourraient toujours compter l'une sur l'autre. Julie se sentit moins seule. Elles éclatèrent de rire sans raison.

53. ENCYCLOPEDIE

RECETTE DE LA MAYONNAISE : Il est très difficile de mélanger des matières différentes. Pourtant, il existe une substance qui est la preuve que l'addition de deux substances différentes donne naissance à une troisième qui les sublime: la mayonnaise.

Comment composer une mayonnaise? Tourner en crème dans un saladier le jaune d'un œuf et de la moutarde à l'aide d'une cuillère en bois. Ajouter de l'huile progressivement, et par petites quantités, jusqu'à ce que l'émulsion soit parfaitement compacte. La mayonnaise montée, l'assaisonner de sel, de poivre et de 2 centilitres de vinaigre. Important: tenir compte de la température. Le grand secret de la mayonnaise: l'œuf et l'huile doivent être exactement à la même température. L'idéaclass="underline" 15 °C. Ce qui liera en fait les deux ingrédients, ce seront les minuscules bulles d'air qu'on y aura introduites juste en battant. 1 + 1 = 3.

Si la mayonnaise est ratée, on peut la rattraper en rajoutant une cuillerée de moutarde qu'on ajoutera peu à peu, en tournant, au mélange d'huile et d'œuf mal amalgamé dans le saladier. Attention: tout est dans la progression.

Outre l'aliment, la technique de la mayonnaise est à la base du fameux secret de la peinture à l'huile flamande. Ce sont les frères Van Eyck qui au quinzième siècle eurent l'idée d'utiliser ce type d'émulsion pour obtenir des couleurs d'une opacité parfaite. Mais en peinture on utilise non plus un mélange eau-huile-jaune d'œuf, mais un mélange eau-huile-blanc d'œuf.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.

54. TROISIEME VISITE

Pour sa troisième visite à la pyramide, le commissaire Maximilien Linart s'était muni d'un matériel de détection qu'il sortit de sa besace. Parvenu au pied de la construction, il en tira un micro amplificateur. Il l'appliqua contre la paroi et écouta.

Des détonations encore, des rires, une sonatine au piano, des applaudissements.

Il tendit mieux l'oreille. Des gens parlaient.

– …omment avec seulement six allumettes dessiner non pas quatre, ni six mais bien huit triangles équilateraux de taille égale, sans coller, plier, ni casser les allumettes?

– Pouvez-vous me donner une nouvelle phrase pour m'aider?

– Bien sûr. Vous connaissez le principe de notre jeu. Vous avez le droit de revenir plusieurs jours de suite et, à chaque fois, nous vous fournirons un nouvel élément pour vous aider. Aujourd'hui, la phrase est la suivante: «Pour trouver… il suffit de réfléchir.»

Maximilien reconnut l'énigme des six allumettes que proposait actuellement l'émission «Piège à réflexion». Tous ces sons ne provenaient que d'une télévision allumée!

Celui, celle ou ceux qui se trouvaient à l'intérieur de cette pyramide sans porte ni fenêtres regardaient tout bonnement la télévision. Le policier se livra à diverses conjectures. La plus probable, c'était encore un ermite emmuré là afin de pouvoir passer le restant de ses jours face à un téléviseur, sans être dérangé. Il devait disposer de réserves de nourriture, peut-être même était-il sous perfusion, et il restait là, face à son écran, le volume au maximum.

«Dans quel monde de fous nous vivons», songea le commissaire. Certes, la télévision prenait de plus en plus d'importance dans la vie des gens, partout fleurissaient des antennes sur les toits, mais de là à s'enfermer dans une prison sans porte ni fenêtres pour mieux la regarder… Quel être humain était assez dément pour choisir semblable forme de suicide?

Maximilien Linart mit ses mains en porte-voix et se colla contre la paroi.

– Qui que vous soyez, ordonna-t-il, vous n'avez pas le droit de rester là. Cette pyramide a été bâtie dans une zone protégée, interdite à la construction.

Instantanément, les bruits cessèrent. Le son avait été coupé. Plus d'applaudissements. Plus de rires. Plus de crépitements de mitrailleuse. Plus de «Piège à réflexion». Mais pas de réponse non plus.

Le commissaire réitéra son appeclass="underline"

– Police! Sortez! C'est un ordre!

Il entendit un bruit sourd, comme une petite trappe qui s'ouvrait quelque part. À tout hasard, il sortit son revolver, inspecta les environs, refît le tour de la pyramide.

Sentir la crosse d'acier dans sa main lui donnait un sentiment d'invincibilité. Mais le revolver n'était pas un atout: c'était un handicap. Il le rendait moins attentif. Maximilien ne perçut donc pas l'infime bourdonnement derrière lui.

Bzzz… bzzz.

Il ne prit pas garde non plus à la petite piqûre dans son cou, une fraction de seconde plus tard.

Il fit encore trois pas et sa bouche s'ouvrit toute grande, sans qu'il parvienne à proférer un son. Ses yeux s'écar-quillèrent. Il s'effondra sur les genoux, lâcha son arme et, tête en avant, s'étala de tout son long.