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Pour sa part, elle a décidé de s'intéresser aux Doigts géants et puis à elle-même. Cela lui suffit.

Elle reprend la route.

Tout autour d'elle, la colonne de la Révolution des Doigts ne cesse de grandir. Ils étaient trente-trois après l'incendie, ils sont bientôt cent insectes de différentes sortes. Loin de les effrayer, la fumée produite par le brasero attire en effet les curieux. Ils viennent voir le feu dont ils ont tant entendu parler et écouter les récits de l'odyssée de 103e.

Princesse 103e demande régulièrement aux nouveaux arrivants s'ils n'ont pas vu un mâle fourmi dont les odeurs passeport répondent au numéro de 24e. Personne n'a ce nom en tête. Tous veulent voir le feu.

Ce serait donc ça, le terrible feu.

Prisonnier dans sa gangue de pierre, le monstre semble assoupi, mais les mères coléoptères n'en avertissent pas moins leurs petits de ne pas s'approcher, c'est dangereux.

Comme le brasero est lourd, 14e, spécialiste des contacts avec les peuplades étrangères, propose de le faire porter par un escargot. Elle parvient à se faire comprendre d'un gastéropode et le convainc qu'avoir une chaleur sur le dos est très bon pour la santé. La bête accepte plus par peur des fourmis qu'autre chose. Satisfaite, 5e suggère qu'on charge de la même manière d'autres escargots de nourriture et de braseros.

L'escargot est un animal lent qui présente l'avantage d'être tout terrain. Son mode de locomotion est vraiment bizarre. Il lubrifie le sol de sa bave puis glisse sur la patinoire qu'il a ainsi créée devant lui. Les fourmis, qui jusque-là les mangeaient sans les observer, n'en reviennent pas de voir ces animaux produire de la bave à l'infini.

Évidemment, la substance pose un problème aux fourmis qui marchent derrière et se retrouvent à patauger dedans. Cela les oblige à avancer sur deux colonnes de chaque côté de la ligne de bave.

Cette procession de fourmis, où s'intercalent des escargots écarlates et fumants, impressionne. Des insectes, fourmis pour la plupart, sortent des fourrés, l'antenne interrogatrice, l'abdomen replié. Il n'existe pas de certitudes dans ce monde au ras des pierrailles, l'idée de marcher ensemble pour résoudre une énigme cosmique exalte quelques exploratrices étrangères blasées et quelques jeunes guerrières effrontées.

De cent, ils passent à cinq cents. La Révolution proDoigts prend figure de grande armée en transhumance.

Seul élément surprenant, le peu d'enthousiasme de la princesse héroïne. Les insectes ne parviennent pas à comprendre qu'on puisse accorder autant d'importance à un individu en particulier, fut-il prince 24e. Mais 10e entretient bien la légende et elle explique que c'est là encore une maladie typiquement doigtesque: l'attachement aux êtres particuliers.

134. UNE BELLE JOURNÉE

Tout en œuvrant à la construction de leur mini-révolution, Julie et ses compagnons goûtaient à cette sensation rafraîchissante: voir son esprit individuel s'élargir à un esprit collectif comme si, soudain, lui était révélé un extraordinaire secret: l'esprit n'est pas limité à la prison du corps, l'intelligence n'est pas limitée à la caverne de son crâne. Il suffisait que Julie le veuille pour que son esprit sorte du crâne et se transforme en un immense napperon de dentelle de lumière s'agrandissant sans cesse pour se répandre autour d'elle.

Son esprit était capable d'envelopper le monde! Elle avait toujours su qu'elle n'était pas qu'un gros sac rempli d'atomes, mais de là à percevoir cette sensation de toute-puissance spirituelle…

Simultanément elle ressentit une deuxième sensation forte: «Je ne suis pas importante.» S'étant élargie, s'étant réalisée dans le groupe des révolutionnaires fourmis, puis dans la capacité à étendre son esprit au monde, son individualité lui importait moins. Julie Pinson lui semblait quelqu'un d'externe dont elle suivait les agissements comme si elle n'était pas directement concernée. C'était une vie parmi tant d'autres. Elle n'avait plus le côté unique et tragique que comprend tout destin humain.

Julie se sentait légère.

Elle vivait, elle mourrait, la belle, rapide et inintéressante affaire. Par contre, il restait ça: son esprit pouvait traverser l'espace et le temps, s'envoler comme un immense napperon de lumière! Ça, c'était un savoir immortel.

«Bonjour, mon esprit», murmura-t-elle.

Mais comme elle n'était pas préparée à gérer une telle sensation avec son cerveau fonctionnant uniquement à 10 % de ses capacités comme celui de tout un chacun, elle revint dans le petit appartement exigu de son crâne. Là, son napperon de lumière se tint tranquille, serré froissé au fond de son crâne tel un vulgaire Kleenex.

Julie montait des tables, transportait des chaises, liait des cordes de tente, plantait des fourchettes-piquets, saluait les amazones, courait pour aider d'autres révolutionnaires à tenir un édifice en équilibre, buvait un petit coup d'hydromel pour se redonner chaud au ventre, chantonnait en besognant.

Quelques gouttes de sueur perlaient à son front et au-dessus de sa bouche. Lorsque ces dernières glissèrent aux commissures des lèvres, elle les aspira d'un coup.

Les révolutionnaires des fourmis passèrent le troisième jour d'occupation du lycée à construire des stands pour présenter leurs projets. Ils avaient d'abord songé à les aménager dans les salles de classe mais Zoé déclara qu'il serait plus convivial de les installer en bas, sur la pelouse de la cour, à proximité des tentes et du podium. Ainsi, tout le monde pourrait les visiter et participer.

Une tente tipi, un ordinateur, un fil électrique et un fil de téléphone suffisaient à créer une cellule économique viable.

Grâce aux ordinateurs, en quelques heures, la plupart des huit projets étaient prêts à fonctionner. Si la révolution communiste, c'était «les Soviets plus l'électricité», leur révolution, c'était «les fourmis plus l'informatique».

Dans son stand d'architecture, Léopold exhibait une maquette en trois dimensions en pâte à modeler de sa demeure idéale et expliquait le principe des courants d'air chauds et froids circulant entre la terre et les murs pour régler la thermie comme dans une fourmilière.

Le stand «Centre des questions» de David présentait un ordinateur à large écran et un gros disque dur ronronnant où les informations étaient stockées et regroupées. David se livrait à des démonstrations de sa machine et de son réseau. Des gens se proposaient pour l'aider à constituer les tentacules de recherche d'informations.

Au stand «SARL Révolution des fourmis», Ji-woong mettait en ordre les ardeurs révolutionnaires et disséminait les informations sur leurs activités. Déjà, un peu partout dans le monde, des lycées, des universités et même des casernes se portaient volontaires pour organiser des expériences similaires dans leurs établissements respectifs.

Ji-woong tirait pour eux les leçons de leur expérience de trois jours: commencer par faire la fête puis enchaîner avec la constitution d'une SARL et créer des filiales à l'aide des instruments informatiques.

Ji-woong espérait qu'en se répandant géographique-ment, la Révolution des fourmis s'enrichirait de nouvelles initiatives. Il suggérait d'ailleurs à chaque révolution des fourmis étrangère de les imiter.

Le Coréen donnait le plan de la disposition du podium, des tipis, du feu. Et surtout il exposait les symboles de leur révolution: les fourmis, la formule «1+1 = 3», l'hydromel, la pratique du jeu d'Eleusis.

Au stand «Mode», Narcisse s'était entouré d'amazones en guise de mannequins ou de petites mains. Certaines présentaient ses vêtements imprimés de motifs d'insectes. D'autres en peignaient sur des draps blancs,' en suivant les directives du styliste.