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Elle s’était occupée du reste en attendant patiemment leur feu vert pour entrer dans l’appartement. Des journalistes de la presse écrite, de la télévision et de la radio s’étaient rassemblés sur place et elle les observait en plein travail. Ils se montraient insistants, certains étaient même insultants envers les policiers qui leur barraient l’entrée du périmètre. Elle en avait reconnu deux ou trois qui travaillaient pour la télévision, un présentateur minable récemment promu journaliste et un autre qui animait une émission politique. Elle se demandait ce qu’il fabriquait en compagnie de cette clique. Elinborg se souvenait qu’à ses débuts, lorsqu’elle était l’une des rares femmes dans les rangs de la Criminelle, les journalistes étaient plus polis et, surtout, nettement moins nombreux. Elle préférait ceux des quotidiens. Les représentants de la presse écrite s’accordaient plus de temps, ils étaient plus discrets et moins présomptueux que ceux qui avaient leur caméra à l’épaule. Certains étaient même de bonnes plumes.

Les voisins épiaient depuis leurs fenêtres ou étaient sortis sur le pas de leur porte, les bras croisés dans la fraîcheur de l’automne. L’expression de leur visage affichait clairement qu’ils n’avaient aucune idée de ce qui avait pu se passer. Les policiers avaient commencé à les interroger et à leur demander s’ils avaient remarqué des choses inhabituelles dans la rue, des mouvements suspects aux abords de la maison, des allées et venues, s’ils connaissaient la victime, s’ils étaient déjà allés chez elle.

Elinborg avait autrefois loué un appartement dans Thingholt, avant que l’endroit ne devienne à la mode. À l’époque, ce vieux quartier construit sur la colline au-dessus du centre lui avait beaucoup plu. Les constructions datant d’époques diverses retraçaient l’histoire de l’architecture sur tout un siècle, certaines étaient de simples maisons de prolétaires, d’autres d’imposantes bâtisses construites par des négociants. La classe ouvrière et la bourgeoisie y avaient toujours vécu en bonne intelligence jusqu’à ce que le quartier se mette à attirer des jeunes qui refusaient l’extension perpétuelle de l’agglomération et préféraient venir se nicher au plus près du cœur de la capitale. Des artistes et toutes sortes de bobos étaient venus s’y installer. Quant aux nouveaux riches, démesurément riches, ils avaient acquis les anciens palais des grossistes d’autrefois. Désormais, les habitants arboraient le code postal du quartier comme signe de reconnaissance. C’était le 101 Reykjavik.

Le chef de la Scientifique apparut au coin de la maison d’où il appela Elinborg. Il lui demanda d’être vigilante et lui rappela de ne toucher à rien.

— Ce n’est vraiment pas beau à voir, précisa-t-il.

— Ah bon ?

— On se croirait dans un abattoir.

L’appartement disposait d’une entrée séparée donnant sur le jardin et invisible depuis la rue. Situé au rez-de-chaussée, on y accédait directement par une allée recouverte de dalles qui menait vers l’arrière de la maison. La première chose qui apparut à Elinborg fut le cadavre d’un homme jeune, gisant au milieu du salon, et dont le pantalon était baissé sur les chevilles. Il n’avait pour vêtement qu’un t-shirt maculé de sang portant l’inscription « San Francisco ». Du F dépassait une toute petite fleur.

2

Sur le chemin du retour, Elinborg s’arrêta dans un magasin d’alimentation. En général, elle accordait assez de temps aux courses et évitait les chaînes à prix cassés, qui n’offraient qu’un choix restreint de produits dont la qualité était, par ailleurs, à la hauteur de la dépense. Mais là, elle était pressée. Ses deux fils l’avaient appelée pour lui demander si elle allait leur cuisiner le dîner qu’elle leur avait promis, ce qu’elle avait confirmé en précisant toutefois qu’il serait un peu tardif. Elle s’efforçait de faire à manger chaque soir. Cela lui permettait de s’asseoir autour d’une table et de passer un moment avec sa famille, même si cela ne durait que le quart d’heure au cours duquel les gamins engloutissaient leur repas. Elle savait également que si elle ne préparait rien, les garçons s’achèteraient des saletés hors de prix avec le peu d’argent qu’ils étaient parvenus à gagner en travaillant pendant l’été ou même qu’ils s’arrangeraient pour que leur père le fasse. Teddi, son compagnon, n’était vraiment pas doué pour la cuisine, il était tout juste capable de cuire des œufs sur le plat et de préparer quelque chose qui ressemblait à de la bouillie de flocons d’avoine, mais cela n’allait pas plus loin. En revanche, il ne rechignait pas à débarrasser et ne renâclait pas devant les tâches ménagères. Elinborg était en quête d’un plat qui ne nécessiterait que peu de préparation ; elle trouva une farce de poisson qui lui semblait correcte, attrapa un paquet de riz, des oignons, prit divers autres produits qui manquaient à la maison et retourna à sa voiture au bout de dix minutes.

Une heure plus tard, la famille s’installa à la table de la cuisine. Le fils aîné râla devant les boulettes de poisson en précisant qu’ils en avaient déjà mangé la veille au soir. Il n’aimait pas les oignons qu’il tria soigneusement sur le bord de son assiette. Le cadet tenait plus de son père et avalait tout ce qu’on lui donnait. La fille, la benjamine, prénommée Theodora, avait téléphoné pour demander l’autorisation de manger chez son amie avec laquelle elle faisait ses devoirs.

— Il n’y a pas autre chose que cette sauce au soja ? s’enquit l’aîné.

Il s’appelait Valthor et venait d’entrer au lycée. Il avait tout de suite su à quoi il se destinait et choisi la voie commerciale au terme de sa scolarité obligatoire. Elinborg pensait qu’il s’était récemment trouvé une petite amie même s’il n’avait pas abordé le sujet : il restait plutôt secret. Il n’avait toutefois pas été nécessaire à sa mère de mener une longue enquête pour confirmer ses soupçons. Un préservatif était tombé de la poche d’un des pantalons du jeune homme alors qu’elle mettait une machine en route. Elle ne lui avait posé aucune question, c’était le cycle de la vie, mais elle avait été soulagée de voir qu’il se comportait de façon raisonnable. Elle n’était jamais parvenue à l’amener à se confier à elle. Leurs relations étaient assez tendues, ce gamin avait toujours été très indépendant, parfois jusqu’à l’insolence. C’était là un trait de caractère qu’Elinborg ne supportait pas et elle se demandait de qui il le tenait. Teddi s’en tirait mieux avec lui. Le père et le fils partageaient la passion des voitures.

— Non, répondit-elle tout en versant ce qui restait de vin blanc dans son verre. Je n’ai pas eu le courage d’en préparer une autre.

Elle regarda son fils et se demanda si elle devait l’informer de sa découverte, mais se fit la réflexion qu’elle était trop fatiguée pour supporter une dispute avec lui. Sans doute ne serait-il pas franchement ravi d’apprendre qu’elle était au courant.

— Tu nous avais promis du steak pour ce soir, rappela-t-il.

— Et ce cadavre que vous avez trouvé, c’est qui ? demanda le cadet, prénommé Aron.

Il avait suivi le journal télévisé et brièvement aperçu sa mère devant la maison du quartier de Thingholt.

— Un homme d’une trentaine d’années, répondit Elinborg.

— Il a été assassiné ? interrogea l’aîné.

— Oui.

— Aux infos, ils ont dit qu’ils n’étaient pas encore certains qu’il s’agisse d’un meurtre, précisa Aron. Ils ont seulement dit qu’on soupçonnait que c’en était un.