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— C’en est bien un, répondit Elinborg.

— Et qui était cet homme ? glissa Teddi.

— Il n’est pas connu de nos services.

— Comment a-t-il été tué ? demanda Valthor.

Elinborg lui lança un regard.

— Tu sais parfaitement que tu ne dois pas me poser ce genre de questions.

Valthor haussa les épaules.

— C’est pour une affaire de drogue qu’il a été… ? risqua Teddi.

— On ne pourrait pas parler d’autre chose ? demanda-t-elle. Pour l’instant, nous n’avons presque rien.

Ils savaient en effet qu’ils devaient se garder d’être trop pressants car elle préférait rester discrète sur son travail. Les hommes de la famille s’étaient toujours beaucoup intéressés aux activités de la police et quand ils la savaient sur une affaire importante, ils ne pouvaient s’empêcher de l’interroger sur les détails et allaient même jusqu’à donner leur point de vue. En général, leur curiosité faiblissait quand les enquêtes traînaient en longueur, alors ils la laissaient tranquille.

Ils étaient très friands de séries policières à la télé. Plus jeunes, les garçons avaient été aussi impressionnés qu’excités par le fait que leur mère travaille à la Criminelle, comme ces gens exceptionnels qu’on voyait dans les feuilletons. Ils n’avaient toutefois pas tardé à comprendre que ce qu’elle leur racontait ne correspondait en rien à ce qu’ils connaissaient. Les héros des séries avaient généralement un physique et des attitudes de mannequins, ils étaient excellents tireurs et leurs paroles faisaient mouche à chaque fois qu’ils se frottaient à des malfrats calculateurs. En outre, ils résolvaient les enquêtes les plus complexes à la vitesse de l’éclair et citaient la littérature mondiale entre deux courses-poursuites. Les plus atroces des meurtres étaient perpétrés à chaque épisode, parfois il y en avait même deux, trois ou quatre, le salaud était toujours attrapé à la fin et il recevait un châtiment amplement mérité.

Les garçons savaient qu’Elinborg travaillait énormément afin de doper un peu son salaire minable, comme elle disait. Elle leur avait affirmé n’avoir jamais pris part à aucune course-poursuite. Elle ne possédait pas de pistolet et encore moins de fusil automatique, du reste, la police islandaise n’utilisait pas d’armes à feu. Les malfrats, quant à eux, étaient généralement des malheureux, de pauvres types, pour reprendre l’expression de Sigurdur Oli, et la plupart étaient bien connus des services de police. La majorité des affaires concernait des cambriolages et des vols de voitures. La brigade des stupéfiants s’occupait du trafic de drogue et les crimes graves comme les viols atterrissaient régulièrement sur le bureau d’Elinborg. Les meurtres étaient rares, même si leur nombre variait d’une année à l’autre : parfois, il n’y en avait aucun, d’autres années, il pouvait y en avoir jusqu’à quatre. Ces derniers temps, la police avait remarqué une dangereuse évolution : les crimes étaient plus prémédités, le recours aux armes plus fréquent et la violence plus impitoyable.

En général, Elinborg rentrait éreintée dans la soirée et elle préparait le dîner, réfléchissait aux recettes sur lesquelles elle travaillait, car la cuisine était sa grande passion, ou bien elle s’allongeait sur le canapé et s’endormait devant la télévision.

À ces moments-là, les garçons quittaient parfois leurs séries policières des yeux pour regarder leur mère et se disaient que la police islandaise n’était décidément pas à la hauteur.

La fille d’Elinborg n’était pas du même bois que ses frères. Il était vite apparu que Theodora était exceptionnellement douée, ce qui lui avait d’ailleurs valu un certain nombre de problèmes à l’école. Elinborg avait refusé de lui faire sauter une classe parce qu’elle voulait la voir grandir en compagnie d’enfants de son âge, mais le programme n’était absolument pas en adéquation avec ses capacités. Cette gamine avait constamment besoin d’être occupée : elle faisait du basket, étudiait le piano et allait chez les scouts. Elle ne regardait que peu la télévision et, contrairement à ses frères, ne s’intéressait pas spécialement au cinéma ou aux jeux vidéo. En revanche, c’était une véritable papivore qui lisait du matin au soir. Écumant les bibliothèques, Elinborg et Teddi avaient eu toutes les difficultés du monde à lui fournir des livres en quantité suffisante quand elle était plus jeune et, dès qu’elle avait atteint l’âge requis, elle s’était arrangée pour se les procurer elle-même. Aujourd’hui âgée de onze ans, elle avait, quelques jours plus tôt, tenté d’exposer à sa mère le contenu d’Une brève histoire du temps.

Il arrivait qu’Elinborg parle de ses collègues à Teddi quand elle pensait que les enfants ne l’entendaient pas. Ces derniers savaient cependant que l’un d’eux s’appelait Erlendur. Cet homme leur paraissait un peu énigmatique : parfois, ils avaient l’impression que leur mère n’avait aucune envie de travailler avec lui, parfois, il leur semblait qu’elle ne pouvait se passer de sa présence. Les gamins l’avaient bien souvent entendue s’étonner de voir qu’un aussi mauvais père de famille, solitaire et rigide, puisse être aussi bon policier. Elle l’admirait dans son travail, même si l’homme ne lui plaisait pas toujours. Un autre qu’elle mentionnait à l’oreille de Teddi s’appelait Sigurdur Oli. C’était apparemment un drôle d’oiseau, d’après ce que les enfants avaient compris. Quand son nom venait dans la conversation, leur mère poussait souvent un profond soupir.

Elinborg était sur le point de s’endormir quand elle entendit du bruit dans le couloir. Toute la famille était au lit à l’exception du fils aîné, toujours devant son ordinateur. Elle ignorait s’il était en train de faire ses devoirs ou s’il traînait sur les forums de discussion et autres blogs. Il ne s’endormirait sans doute qu’au milieu de la nuit. Valthor avait des horaires tout à fait personnels, il se couchait au petit matin et dormait régulièrement jusqu’au soir quand la chose était possible. C’était pour Elinborg une source d’inquiétude. Elle savait cependant qu’il était inutile d’en discuter avec lui. Elle avait essayé à maintes reprises, mais il s’était montré désagréable et intransigeant quant à son indépendance.

Elle avait pensé à l’homme du quartier de Thingholt toute la soirée. Même si elle l’avait voulu, elle n’aurait pu décrire à ses fils ce qu’elle avait vu. La victime avait été égorgée, les meubles du salon étaient maculés de sang. On attendait le rapport détaillé du médecin légiste. La police pensait que l’agresseur avait agi avec préméditation : il était venu sur les lieux dans le but précis de s’en prendre à cet homme. On n’avait pas vraiment décelé de traces de lutte. La blessure semblait avoir été pratiquée avec assurance en travers de la gorge, à l’endroit exact où elle causerait le plus de dégâts. Le cou de la victime portait également d’autres entailles, ce qui semblait indiquer que son agresseur l’avait maintenue immobile un certain temps. Il était très probable que l’agression avait été rapide et que l’homme avait été attaqué par surprise. La porte de l’appartement n’avait pas été forcée, ce qui pouvait signifier qu’il avait ouvert à son assassin. Cependant, il était également envisageable qu’une personne l’ait accompagné chez lui ou soit venue lui rendre visite et qu’elle l’ait attaqué de cette manière ignoble. Apparemment, rien n’avait été dérobé et aucun objet n’avait été renversé. Il était peu probable qu’il s’agisse de cambrioleurs, même si on ne pouvait pas exclure l’hypothèse qu’il les ait surpris, avec les conséquences que l’on sait.

Le corps de la victime s’était pour ainsi dire vidé de son sang, lequel avait séché sur le sol de l’appartement. Ce détail indiquait que son cœur avait continué de battre et qu’elle avait continué de vivre pendant un certain temps après l’agression.