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Il n'est donc pas mort, disaient les assistants! il va renaître, elle le ressuscitera!…

Puissance de l'amour!… qui peut vous assigner des bornes?

La mère de Fedor se reprochait sans cesse de n'avoir pas retenu Xenie dans la chaumière du vieil insensé; «elle n'aurait pas du moins été forcée d'assister au supplice de son père, disait la bonne Élisabeth.

—Vous lui auriez conservé la raison pour souffrir davantage», répondait

Fedor à sa mère, et leur morne silence recommençait.

La pauvre vieille femme avait paru longtemps résignée; ni les massacres, ni l'incendie ne lui avaient arraché une plainte; mais lorsqu'il fallut subir avec les autres Vologdiens la peine de l'exil, quitter la cabane où son fils était né, où le père de son fils était mort, lorsqu'on l'obligea d'abandonner son frère en démence, elle perdit courage: la force lui manqua tout à fait; elle se cramponnait aux madriers de leur chaumière, baisant, arrachant dans son désespoir la mousse goudronnée qui calfeutrait les fentes du bois. On finit par l'emporter et par l'attacher sur la téléga où nous venons de la voir pleurer le nouveau-né de son fils chéri.

Ce qu'on aura peine à croire, c'est que les soins, le souffle vivifiant de Xenie, peut-être sa prière, ont rendu la vie à l'enfant que Fedor avait cru perdu. Ce miracle de tendresse ou de piété la fait vénérer aujourd'hui comme une sainte, par les étrangers envoyés du Nord pour repeupler les ruines abandonnées de Vologda.

Ceux mêmes qui la croient folle n'oseraient lui enlever l'enfant de son frère; nul ne pense à lui disputer cette proie si précieusement ravie à la mort. Ce miracle de l'amour consolera le père exilé, dont le cœur s'ouvrira encore au bonheur, quand il saura que son fils a été sauvé et sauvé par elle!!…

Une chèvre la suit pour nourrir l'enfant. Quelquefois on voit la vierge mère, vivant tableau, assise au soleil sur les noirs débris du château où elle est née et souriant fraternellement au fils de son âme, à l'enfant de l'exilé.

Elle berce le petit sur ses genoux avec une grâce toute virginale et le ressuscité lui rend son ineffable sourire avec une joie angélique. Sans se douter de la vie, elle a passé de la charité à l'amour, de l'amour à la folie et de la folié à la maternité: Dieu la protège; l'ange et la folle s'embrassent au-dessus de la région des pleurs, comme les oiseaux voyageurs se rencontrent au delà des nuages.

Quelquefois elle paraît frappée d'un souvenir doux et triste: alors sa bouche, insensible écho du passé, murmure machinalement ces mystérieuses paroles, unique et dernière expression de sa vie et dont aucun des nouveaux habitants de Vologda ne peut deviner le sens: «C'est donc moi qu'il aimait!»

FIN DE L'HISTOIRE DE THELENEF.

Ni le poëte russe, ni moi, nous n'avons reculé devant l'expression de vierge mère pour désigner Xenie et nous ne croyons ni l'un ni l'autre avoir manqué de respect au sublime vers du poëte catholique:

O vergine Madre, figlio del tuo figlio.[45]

ni profané le profond mystère qu'il indique en si peu de mots.

FIN DU DEUXIÈME VOLUME.

NOTES

[1: Longue robe.]

[2: La crainte de l'Empereur est en quelque sorte expliquée par le récit qu'on va lire, et qui m'a été envoyé de Rome au mois de janvier 1843 par une des personnes les plus véridiques que je connaisse. «Le dernier jour de décembre, je fus à l'église del Gesu, qui avait été décorée de superbes tapisseries. Une enceinte avait été formée devant le magnifique autel de saint Ignace, qui était resplendissant de lumières. Les orgues jouaient des symphonies très-harmonieuses; l'église était remplie de ce que Rome possède de plus distingué; deux fauteuils avaient été placés à gauche de l'autel. On vit bientôt arriver la grande-duchesse Marie, fille de l'Empereur de Russie, et son mari le duc de Leuchtenberg, accompagnés des principaux personnages de leur suite et des gardes suisses qui les escortent; ils prirent place sur les fauteuils réservés pour eux, sans se mettre à genoux sur les prie-Dieu qui étaient devant eux, et sans faire attention au saint sacrement qui était exposé. Les dames d'honneur s'assirent derrière le prince et la princesse, ce qui obligeait ceux-ci à reverser la tête de côté pour faire la conversation comme s'ils eussent été dans un salon. Deux chambellans étaient restés debout, comme c'est l'usage, auprès des grands. Un sacristain crut que c'était parce qu'ils n'avaient pas de siéges; il s'empressa de leur en porter, ce qui excita le rire du prince, de la princesse et de leur entourage d'une manière tout à fait inconvenante. À mesure que les cardinaux arrivaient, ils prenaient leur place; le pape est arrivé ensuite, et est allé s'agenouiller sur un prie-Dieu où il est resté tout le temps de la cérémonie. Le Te Deum fut chanté en action de grâces pour les faveurs obtenues dans le courant de l'année qui vient de s'écouler; un cardinal donna la bénédiction. Sa Sainteté était toujours prosternée; le prince de Leuchtenberg s'était mis à genoux, mais la princesse était restée assise.»]

[3: Ce reproche ne s'adresse qu'aux monuments construits depuis Pierre Ier; les Russes du moyen âge, quand ils bâtissaient le Kremlin, avaient bien su trouver l'architecture qui convenait à leur pays et à leur génie.]

[4: L'autre jour un Russe revenait de Pétersbourg à Paris; une femme de son pays lui dit: «Comment avez-vous trouvé le maître?—Très-bien.—Et l'homme?—L'homme, je ne l'ai pas vu.» Je ne cesse de le répéter: les Russes sont de mon avis, mais c'est ce qu'ils ne diront pas.]

[5: Les quais de la Néva sont de granit, la coupole de Saint-Isaac est de cuivre, le palais d'hiver, la colonne d'Alexandre sont de belle pierre, de marbre et de granit, la statue de Pierre Ier est d'airain.]

[6: Cette conversation est reproduite mot à mot.]

[7: Quelques jours après que cette lettre fut écrite, il se passa dans l'intérieur de la cour une petite scène qui fera connaître les manières des jeunes gens les plus à la mode aujourd'hui en Angleterre, ceux-ci n'ont rien à reprocher ni à envier aux agréables les plus impolis de Paris: il y a loin de ce genre d'élégance brutale à la politesse des Buckingham, des Lauzun et des Richelieu.—L'Impératrice voulait donner un bal intime à cette famille près de quitter Pétersbourg. Elle commence par inviter elle-même le père qui danse si bien avec une jambe de bois. «Madame, répond le vieux marquis ***, on m'a comblé à Pétersbourg, mais tant de plaisirs surpassent mes forces: j'espère que Votre Majesté me permettra de prendre congé d'elle ce soir et de me retirer demain matin sur mon yacht pour retourner en Angleterre; sans cela je mourrais de joie en Russie.—Eh bien, je renonce à vous,» reprend l'Impératrice, satisfaite de cette réponse polie, et digne de l'époque où le vieux lord dut entrer dans le monde; puis se retournant vers les fils du marquis qui devaient prolonger leur séjour à Pétersbourg: «Je compte au moins sur vous,» dit-elle à l'aîné.—«Madame, répond celui-ci, nous avons pour ce jour-là une partie de chasse aux rennes.» L'Impératrice qu'on dit fière, ne se décourage pas, et s'adressant au cadet: «Vous, du moins, vous me resterez,» lui dit-elle. Le jeune homme, à bout d'excuses, ne sait que répondre, mais dans son dépit il appelle son frère et lui dit tout haut: «C'est donc moi qui suis la victime?» Cette anecdote a fait la joie de la cour.]