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Au vingt-cinquième coup elle demande grâce et jure de dire la vérité.

Elle est mariée à un homme qu'elle n'aime pas, et c'est pour ne pas travailler au profit de son mari, dit-elle, qu'elle a feint d'être possédée.

Cette comédie servait sa paresse en même temps qu'elle avait rendu la santé à une foule de malades, qui sont venus à elle pleins d'espoir et de confiance, et s'en sont retournés guéris.

Les sorciers ne sont pas rares parmi les paysans russes, auxquels ils tiennent lieu de médecins; ces fourbes font des cures nombreuses et fort belles, au dire même des gens de l'art!!

Quel triomphe pour Molière! et quel abîme de doutes pour tout le monde!… L'imagination!… qui sait si l'imagination n'est pas un levier dans la main de Dieu pour élever au-dessus d'elle-même une créature bornée? Quant à moi, je pousse le doute au point d'en revenir à la foi, car je crois, malgré ma raison, que le sorcier peut guérir même des incrédules, par un pouvoir dont je ne saurais nier l'existence, quoique je ne puisse le définir. Avec le mot imagination, nos savants se dispensent d'expliquer les phénomènes qu'ils ne peuvent nier ni comprendre. L'imagination devient pour certains métaphysiciens ce que sont les nerfs pour certains médecins.

L'esprit est continuellement forcé à réfléchir devant un spectacle aussi extraordinaire que celui qui lui est offert par la société constituée comme elle l'est ici. À chaque pas qu'on fait dans ce pays, on admire ce que les États gagnent à rendre l'obéissance forte; mais on regrette tout aussi souvent de n'y pas voir ce que le pouvoir gagnerait à rendre cette obéissance noble et morale.

À ce propos, je me rappelle un mot qui vous prouvera si je suis fondé à penser qu'il y a et même en assez grand nombre, des hommes dupes du culte que le serf rend ici au seigneur. La flatterie a tant de puissance sur le cœur humain, qu'à la longue les plus maladroits de tous les flatteurs, la peur et l'intérêt, trouvent le moyen d'arriver à leur but et de se faire écouter comme les plus malins: voilà pourquoi beaucoup de Russes se croient d'une autre nature que les hommes du commun.

Un Russe immensément riche, mais qui déjà devrait être éclairé sur les misères de l'opulence et du pouvoir, car la fortune de sa famille date de deux générations, passait d'Italie en Allemagne. Il tombe assez gravement malade dans une petite ville; et il fait appeler le meilleur médecin de l'endroit; d'abord il se soumet à ce qu'on lui ordonne, mais au bout de quelques jours de traitement le mal empirant, le patient s'ennuie de son obéissance, se lève avec colère, et déchirant le voile de civilisation dont il croit nécessaire de s'affubler dans l'habitude de la vie, il redevient lui-même, appelle l'aubergiste, et s'écrie tout en arpentant sa chambre à grands pas: «Je ne conçois pas la manière dont on me traite: voilà trois jours qu'on me drogue sans me faire le moindre bien; quel médecin m'avez-vous été chercher là? il ne sait donc pas qui je suis!»

Puisque j'ai commencé ma lettre par des anecdotes, en voici une moins piquante, mais qui peut vous servir à vous former une juste idée du caractère et des habitudes des personnes du grand monde en Russie. On n'aime ici que les gens heureux, et cet amour exclusif produit quelquefois des scènes comiques.

Un jeune Français avait parfaitement réussi dans une société de personnes réunies à la campagne. C'était à qui lui ferait fête: des dîners, des promenades, des chasses, des spectacles de société, rien n'y manquait; l'étranger était enchanté. Il vantait à tout venant l'hospitalité russe et l'élégance des manières de ces barbares du Nord tant calomniés! À quelque temps de là le jeune enthousiaste tombe malade dans la ville voisine; tant que le mal se prolonge et s'aggrave, ses amis les plus intimes ne lui donnent pas signe de vie. Plusieurs semaines, deux mois se passent ainsi, à peine envoie-t-on de loin en loin savoir de ses nouvelles; enfin la jeunesse triomphe, et malgré le médecin du lieu, le voyageur guérit; sitôt qu'il est rétabli, on afflue chez lui pour fêter sa convalescence, comme si l'on n'eût pensé qu'à lui durant tout le temps de sa maladie; il faut voir la joie de ses anciens hôtes; vous diriez que ce sont eux qui viennent de ressusciter!… on le comble de protestations d'intérêt, on l'accable de nouveaux projets de divertissements, on le caresse à la manière des chats; la légèreté, l'égoïsme, l'oubli, font patte de velours; on vient jouer aux cartes près de son fauteuil, on lui propose doucereusement de lui envoyer un canapé, des confitures, du vin… depuis qu'il n'a plus besoin de rien, tout est à lui… Cependant sans se laisser prendre à cet appât usé désormais, il met à profit la leçon, et fort de son expérience, il monte en voiture à la hâte, pressé qu'il est, dit-il, de fuir une terre qui n'est hospitalière que pour les gens heureux, amusants ou utiles!…

Une dame française émigrée, âgée et spirituelle, était établie dans une ville de province. Un jour elle alla faire une visite à une personne du pays. Il y a dans plusieurs maisons russes des escaliers couverts de trappes et qui sont dangereux. La dame française qui n'avait pas remarqué une de ces soupapes trompeuses, tombe d'une quinzaine de pieds de haut sur des marches de bois. Que fait la maîtresse de la maison? vous auriez peine à le deviner. Sans même vouloir s'assurer si la malheureuse est morte ou vivante, sans courir à elle pour s'informer de son état, sans appeler du secours, sans envoyer au moins chercher un chirurgien, elle plante là l'accident, et court dévotement s'enfermer à son oratoire pour y prier la sainte Vierge de venir en aide à la pauvre morte… morte ou blessée, selon ce qu'il aura plu au bon Dieu d'en ordonner. Cependant la blessée, non morte, et qui n'avait rien de cassé, eut le temps de se relever, de remonter dans l'antichambre et de se faire ramener chez elle, avant que sa pieuse amie eût quitté son prie-Dieu. On ne put même arracher celle-ci de cet asile qu'en lui criant à travers la porte que l'accident n'avait eu aucune suite grave, et que la malade était retournée chez elle, où elle venait de se coucher, mais par pure précaution. Aussitôt la charité active se réveille dans le cœur désolé de la bonne dévote russe, qui, reconnaissante de l'efficacité de ses prières, court officieusement chez son amie, insiste pour entrer, arrive auprès du lit de la patiente et l'accable de protestations d'intérêt qui la privent pendant une heure au moins du repos dont elle a besoin.

Ce trait d'enfantillage m'a été conté par la personne même à qui l'accident est arrivé. Si elle se fût cassé la jambe ou évanouie, elle aurait pu mourir sans secours à la place où l'avait laissée sa pieuse amie.

Après cela on s'étonne de voir des hommes tomber dans la Néva, et s'y noyer sans que personne pense à leur porter secours, sans même qu'on ose parler de leur mort!!!

Les bizarreries de sentiment abondent en Russie dans tous les genres chez les personnes du grand monde, parce que les cœurs et les esprits y sont blasés sur toutes choses. Une grande dame de Pétersbourg a été mariée plusieurs fois; elle passe les étés dans une maison de campagne magnifique à quelques lieues de la ville, et son jardin est rempli des tombeaux de tous ses maris, qu'elle commence à aimer avec passion, sitôt qu'ils sont morts; elle leur élève des mausolées, des chapelles, pleure sur leurs cendres, elle charge leurs tombes d'épitaphes sentimentales… en un mot, elle rend aux morts un culte offensant pour les vivants. C'est ainsi que le parc de la dame devient un vrai Père Lachaise, et ce lieu paraît tant soit peu triste à quiconque n'a pas, comme la noble veuve, l'amour des maris défunts et des tombeaux.