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Que veut-on dire encore par cette qualification dernièrement inventée: le néocatholicisme? Le catholicisme ne peut être nouveau sans cesser d'être.

Il peut exister, il existe sans doute un grand nombre d'esprits, las de se laisser pousser à tous vents de doctrines, et qui se réfugient à l'abri du sanctuaire contre la tourmente des idées du siècle; on peut donner à ces nouveaux convertis le nom de néocatholiques; mais on ne saurait parler de néocatholicisme sans méconnaître l'essence même de la religion, car ce mot implique contradiction.

Rien de moins ambigu que notre foi; ce n'est pas un système de philosophie dont chacun peut prendre ou rejeter ce qu'il lui plaît. On est catholique tout à fait, ou on ne l'est pas du tout; on ne saurait l'être à moitié, ni d'une manière nouvelle. Un néocatholicisme serait une secte déguisée qui abjurerait bientôt l'erreur pour rentrer dans le sein de l'Église, sous peine de se voir condamnée par celle-ci, préoccupée qu'elle est à juste titre de la nécessité de conserver la pureté de la foi, bien plus que de l'ambition de grossir en apparence le nombre douteux de ses équivoques enfants. Quand le monde adoptera le christianisme sincèrement, il saura bien le prendre où il est. L'essentiel, c'est que le dépôt sacré reste pur d'alliage.

Néanmoins l'Église catholique peut se réformer quant aux mœurs, à la discipline du clergé, et même quant à la doctrine, sur les points qui ne touchent pas au fondement de la foi; que dis-je? son histoire, sa vie n'est qu'une réforme perpétuelle; mais cette réforme légitime et non interrompue, ne saurait s'opérer que sous la direction de l'autorité ecclésiastique et selon les lois canoniques.

Plus j'ai parcouru le monde, plus j'ai observé les races diverses et les divers États, et plus je me suis convaincu que la vérité est immuable: elle fut défendue avec barbarie par des hommes barbares dans des siècles barbares; elle sera défendue avec plus d'humanité dans l'avenir; mais sa pureté ne saurait être altérée ni par le prisme de l'erreur, dont ses adversaires sont éblouis, ni par les crimes de ses champions.

Je voudrais envoyer en Russie tous les chrétiens non catholiques pour leur montrer ce que peut devenir notre religion enseignée dans une église nationale, pratiquée sous la discipline d'un clergé national.

Le spectacle de l'avilissement où peut tomber le sacerdoce dans un pays où l'Église ne relève que de l'État, ferait reculer tout protestant conséquent. Une église nationale, un clergé nationaclass="underline" ces mots ne devraient jamais s'allier; l'Église est par essence supérieure à toute société humaine; quitter l'Église universelle pour entrer dans une église politique quelconque, c'est donc plus qu'errer dans la foi, c'est renier la foi, c'est retomber du ciel sur la terre.

Cependant combien d'hommes honnêtes, d'hommes excellents, à l'origine du protestantisme, ont cru purifier leur croyance en adoptant les nouvelles doctrines, et n'ont fait que se rétrécir l'esprit!… Depuis lors l'indifférence glorifiée et masquée sous le beau nom de tolérance, a perpétué l'erreur…

Ce qui fait de la Russie l'État le plus curieux du monde à observer aujourd'hui, c'est qu'on y trouve en présence l'extrême barbarie favorisée par l'asservissement de l'Église et l'extrême civilisation importée des pays étrangers par un gouvernement éclectique. Pour savoir comment le repos ou du moins l'immobilité peut naître du choc d'éléments si divers, il faut suivre le voyageur jusque dans le cœur de ce singulier pays.

Le procédé que j'emploie pour peindre les lieux et pour définir les caractères me paraît, sinon le plus favorable à l'écrivain, du moins le plus rassurant pour le lecteur, que je force à me suivre, et que je rends lui-même juge du développement des idées suggérées au voyageur.

J'arrive dans un pays nouveau sans autres préventions que celles dont nul homme ne peut se défendre: celles que nous donne l'étude consciencieuse de son histoire. J'examine les objets, j'observe les faits et les personnes en permettant ingénument à l'expérience journalière de modifier mes opinions. Peu d'idées exclusives en politique me gênent dans ce travail spontané où la religion seule est ma règle immuable; encore cette règle peut-elle être rejetée par le lecteur sans que le récit des faits et les conséquences morales qui en découlent soient entraînés dans la réprobation que j'encours et que je veux encourir aux yeux des incrédules.

On pourra m'accuser d'avoir des préjugés, on ne me reprochera jamais de déguiser sciemment la vérité.

Quand je décris ce que j'ai vu, je suis sur les lieux; quand je raconte ce que j'ai entendu, c'est le soir même que je note mes souvenirs du jour. Ainsi, les conversations de l'Empereur, reproduites mot à mot dans mes lettres, ne peuvent manquer d'un genre d'intérêt: celui de l'exactitude. Elles serviront, je l'espère, à faire bien connaître ce prince si diversement jugé parmi nous et dans le reste de l'Europe.

Les lettres qu'on va lire ne furent pas toutes destinées au public, plusieurs parmi les premières étaient de pures confidences; fatigué d'écrire, mais non de voyager, je comptais cette fois observer sans méthode, et garder mes descriptions pour mes amis; on verra, dans le cours de l'ouvrage, les raisons qui m'ont décidé à tout imprimer.

La principale, c'est que j'ai senti chaque jour mes idées se modifier par l'examen auquel je soumettais une société absolument nouvelle pour moi. Il me semblait qu'en disant la vérité sur la Russie, je ferais une chose neuve et hardie: jusqu'à présent la peur et l'intérêt ont dicté des éloges exagérés; la haine a fait publier des calomnies: je ne crains ni l'un ni l'autre écueil.

J'allais en Russie pour y chercher des arguments contre le gouvernement représentatif, j'en reviens partisan des constitutions. Le gouvernement mixte n'est pas le plus favorable à l'action; mais dans leur vieillesse, les peuples ont moins besoin d'agir; ce gouvernement est celui qui aide le plus à la production, et qui procure aux hommes le plus de bien-être et de richesses; il est surtout celui qui donne le plus d'activité à la pensée dans la sphère des idées pratiques: enfin il rend le citoyen indépendant, non par l'élévation des sentiments, mais par l'action des lois: certes, voilà de grandes compensations à de grands désavantages.

À mesure que j'ai appris à connaître le terrible et singulier gouvernement, régularisé, pour ne pas dire fondé par Pierre Ier, j'ai mieux compris l'importance de la mission que le hasard m'avait confiée.

L'extrême curiosité que mon travail inspirait aux Russes, évidemment inquiets de la réserve de mes discours, m'a fait penser d'abord que j'avais plus de puissance que je ne m'en étais attribué; je devins attentif et prudent, car je ne tardai pas à découvrir le danger auquel pourrait m'exposer ma sincérité. N'osant envoyer mes lettres par la poste, je les conservai toutes, et les tins cachées avec un soin extrême, comme des papiers suspects; par ce moyen, à mon retour en France, mon voyage était écrit, et il se trouvait tout entier dans mes mains. Cependant j'ai hésité trois années à le faire paraître: c'est le temps qu'il m'a fallu pour accorder, dans le secret de ma conscience, ce que je croyais devoir à la reconnaissance et à la vérité!!! Celle-ci l'emporte enfin parce qu'elle me paraît de nature à intéresser mon pays. Je ne puis oublier que j'écris pour la France avant tout, et je crois de mon devoir de lui révéler des faits utiles et graves.

Je me regarde comme le maître de juger, même sévèrement, si ma conscience l'exige, un pays où j'ai des amis, d'analyser sans tomber dans d'offensantes personnalités le caractère des hommes publics, de citer les paroles des personnes politiques, à commencer par celles du plus grand personnage de l'État, de raconter leurs actions, et de pousser jusqu'à leurs dernières conséquences les réflexions que cet examen peut me suggérer, pourvu toutefois qu'en suivant capricieusement le cours de mes idées, je ne donne aux autres mes opinions que tout juste pour la valeur qu'elles ont à mes propres yeux: voilà ce me semble ce qu'on peut appeler la probité de l'écrivain.