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Ce n’était pas nécessaire ; nous savions tous déjà comment les personnages se comporteraient dans les situations voulues par l’auteur.

« Puis-je suggérer le thème ? »

Tout le monde s’est tourné vers moi. Il a semblé surpris.

« Qu’est-ce que c’est ? Une rébellion ?

— Écoute jusqu’au bout : nous allons créer une situation dans laquelle un homme, après beaucoup d’efforts, parvient à réunir un groupe de personnes pour célébrer un rite important dans la communauté. Disons, quelque chose qui ait à voir avec la récolte de l’automne suivant. Mais une étrangère arrive i ans la ville, et à cause de sa beauté et des légendes qui courent sur son compte – on dit que c’est une déesse déguisée –, le groupe que le brave homme avait réuni pour maintenir les traditions de son village se disperse bientôt, et va rejoindre la nouvelle venue.

— Mais cela n’a rien à voir avec la pièce que nous sommes en train de répéter ! » a dit une actrice.

Le directeur, lui, avait compris le message. « C’est une excellente idée. Nous pouvons commencer. »

Et, se tournant vers moi :

« Andréa, tu seras la nouvelle venue. Ainsi, tu comprendras mieux la situation du village. Et je serai le brave homme qui essaie de garder les coutumes intactes. Et le groupe sera composé de couples qui fréquentent l’église, se réunissent le samedi pour les travaux communautaires, et s’entraident. »

Nous nous sommes allongés par terre, nous nous sommes relaxés, et nous avons commencé l’exercice – qui en réalité est très simple : le personnage central (moi dans ce cas) crée des situations, et les autres réagissent à mesure qu’ils sont provoqués.

La relaxation terminée, je me suis transformée en Athéna. Dans mon fantasme, elle courait le monde comme Satan à la recherche de sujets pour son royaume, mais déguisée en Gaïa, la déesse qui sait tout et qui est l’origine de tout. Pendant quinze minutes, les « couples » se sont formés, se sont rencontrés, se sont inventé une histoire commune dans laquelle il y avait des enfants, des fermes, de la compréhension et de l’amitié. Quand j’ai senti que l’univers était prêt, je me suis assise dans un coin de la scène, et j’ai commencé à parler d’amour.

« Nous sommes ici dans ce petit village, et vous pensez que je suis une étrangère, alors vous vous intéressez à ce que j’ai à raconter. Vous n’avez jamais voyagé, vous ne savez pas ce qui se passe de l’autre côté des montagnes, mais je peux vous le dire : il n’est pas nécessaire de louer la terre. Elle sera toujours généreuse avec cette communauté. L’important est de louer l’être humain. Vous dites que vous aimez voyager ? Alors, vous ne vous servez pas du mot juste – l’amour est une relation entre les personnes.

« Vous désirez que la récolte soit fertile et pour cela vous avez décidé d’aimer la terre ? Autre sottise : l’amour n’est pas désir, ni connaissance, ni admiration. C’est un défi, un feu qui brûle sans que nous puissions le voir. Alors, si vous pensez que je suis une étrangère dans ce pays, vous vous trompez : tout m’est familier, parce que je viens avec cette force, avec cette flamme, et quand je partirai, aucun de vous ne sera plus le même. J’apporte le véritable amour, pas celui que vous ont enseigné les livres et les contes de fées. »

Le « mari » de l’un des couples a commencé à me regarder. La femme était désorientée par sa réaction.

Pendant le reste de l’exercice, le directeur – ou plutôt, le brave homme – faisait son possible pour expliquer aux gens qu’il était important de maintenir les traditions, louer la terre, lui demander d’être généreuse cette année comme elle l’avait été l’année précédente. Moi, je parlais seulement d’amour.

« Il dit que la terre veut des rites ? Eh bien, je vous l’assure : si vous avez assez d’amour entre vous, la récolte sera abondante, parce que c’est un sentiment qui transforme tout. Mais qu’est-ce que je vois ? L’amitié. La passion s’est éteinte depuis longtemps, parce que vous vous êtes habitués les uns aux autres. C’est pour cela que la terre donne seulement ce qu’elle a donné l’année dernière, ni plus ni moins. Et c’est pour cela que, dans le noir de vos âmes, vous vous plaignez en silence que rien ne change dans vos vies. Pourquoi ? Parce que vous avez voulu contrôler la force qui transforme tout, pour que vos vies puissent continuer sans grands défis. »

Le brave homme expliquait :

« Notre communauté a toujours survécu parce qu’elle a respecté les lois, qui guident même l’amour. Celui qui tombe amoureux sans tenir compte du bien commun vivra dans une angoisse constante : de blesser sa compagne, d’irriter sa nouvelle passion, de perdre tout ce qu’il a construit. Une étrangère sans attaches et sans histoire peut dire ce qu’elle veut, mais elle ne sait pas les difficultés que nous avons connues avant d’arriver là où nous sommes arrivés. Elle ne sait pas le sacrifice que nous avons fait pour nos enfants. Elle ignore le fait que nous travaillons sans repos pour que la terre soit généreuse, que la paix soit avec nous, que les provisions soient engrangées pour le lendemain. »

Pendant une heure, j’ai défendu la passion qui dévore tout, tandis que le brave homme parlait du sentiment qui apporte paix et tranquillité. A la fin, je parlais toute seule, tandis que la communauté entière se réunissait autour de lui.

J’avais joué mon rôle avec un enthousiasme et une foi que je n’aurais jamais imaginé posséder ; malgré tout, l’étrangère quittait le petit village sans avoir convaincu personne.

Et j’en étais très, très contente.

Héron Ryan, journaliste

Un vieil ami me disait souvent : « On acquiert vingt-cinq pour cent de ses connaissances avec un maître, vingt-cinq pour cent en s’écoutant soi-même, vingt-cinq pour cent avec les amis, et vingt-cinq pour cent avec le temps. » Lors de la première rencontre chez Athéna, où elle prétendait terminer le cours inter-! rompu au théâtre, nous avons tous appris avec… je ne sais pas.

Elle nous attendait dans le petit salon de son appartement, avec son fils. J’ai observé que la pièce était totalement blanche, vide, excepté un meuble sur lequel se trouvait un appareil de son, et une pile de CD. J’ai trouvé bizarre la présence de l’enfant, qu’une conférence devait ennuyer ; j’espérais qu’elle reprendrait au moment où elle s’était arrêtée – des commandements par des mots. Mais elle avait d’autres projets ; elle a expliqué qu’elle allait mettre une musique venue de Sibérie, et que tous devaient simplement écouter.

Rien de plus.

« Je ne peux arriver nulle part par la méditation, a-t-elle dit. Je vois ces personnes assises les yeux fermés, un sourire aux lèvres, l’air sérieux, la posture arrogante, superconcentrées sur absolument rien, convaincues qu’elles sont en contact avec Dieu ou avec la Déesse. Au moins, nous écouterons de la musique ensemble. »

De nouveau, cette sensation de malaise, comme si Athéna ne savait pas exactement ce qu’elle faisait. Mais presque tous les acteurs du théâtre étaient là, y compris le directeur – qui d’après Andréa était venu espionner le camp ennemi.

La musique était terminée.

« Cette fois, dansez sur un rythme qui n’ait rien, absolument rien à voir avec la mélodie. »

Athéna a remis la musique, le volume beaucoup plus haut, et elle a commencé à déplacer son corps sans aucune harmonie. Seul un vieux monsieur, qui ; dans la pièce jouait un roi ivre, a fait ce qui avait été ordonné. Personne n’a bougé ; tout le monde paraissait un peu gêné. Quelqu’un a regardé sa montre – il ne s’était passé que dix minutes.