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— Avez-vous posé d’autres questions ?

— Évidemment, car, j’avais beau le nier, il savait que je n’étais pas satisfait de ce que je faisais. Mon protecteur a expliqué : "J’ai peur de faire des pas qui ne sont pas sur la carte, mais malgré mes terreurs, à la fin de la journée, la vie me paraît beaucoup plus intéressante. "

« J’ai voulu en savoir davantage sur la tradition, et il a dit quelque chose comme "tant que Dieu sera simplement homme, nous aurons toujours de la nourriture pour manger et une maison où habiter. Quand la Mère reconquerra enfin sa liberté, nous devrons peut-être dormir à la belle étoile et vivre d’amour, ou peut-être serons-nous capables de réaliser l’équilibre entre émotion et travail".

« L’homme qui allait devenir mon protecteur m’a demandé : "Si vous n’étiez pas biologiste, que seriez-vous ? "

« J’ai dit : "Forgeron, mais cela ne rapporte pas. " Il a répondu : "Alors, quand vous serez lassé d’être ce que vous n’êtes pas, allez vous amuser et célébrer la vie en frappant sur du fer avec un marteau. Avec le temps, vous le découvrirez, cela vous donnera plus que du plaisir : cela vous donnera un sens.

« — Comment suivre cette tradition dont vous avez parlé ?

« — Je vous l’ai dit : "par les symboles", a-t-il répondu. "Commencez à faire ce que vous voulez, et tout le reste vous sera révélé. Croyez que Dieu est mère, qu’elle veille sur ses enfants, qu’elle ne laisse jamais aucun mal leur arriver. J’ai fait cela, et j’ai survécu. J’ai découvert que d’autres personnes faisaient cela aussi – mais on les tient pour folles, irresponsables, superstitieuses. Elles cherchent dans la nature l’inspiration qui s’y trouve, depuis que le monde est monde. Nous avons construit des pyramides, mais nous avons aussi développé des symboles. "

« Après ces mots, il est parti, et je ne l’ai plus jamais vu.

« Je sais seulement que les symboles, à partir de ce moment, ont commencé à apparaître, parce que cette conversation m’avait ouvert les yeux. Il m’en a coûté, mais un après-midi j’ai dit à ma famille que, bien que j’eusse tout ce dont un homme peut rêver, j’étais malheureux – en réalité, j’étais né pour être forgeron. Ma femme a protesté, disant : "Toi qui es né tsigane, qui as dû affronter tellement d’humiliations pour arriver là où tu es, tu veux maintenant retourner en arrière ? " Mon fils était ravi, car lui aussi, il aimait voir les forgerons dans notre village, et il détestait les laboratoires des grandes villes.

« J’ai désormais partagé mon temps entre les recherches en biologie et le travail d’aide-forgeron. J’étais souvent fatigué, mais j’étais plus heureux qu’auparavant. Un jour, j’ai quitté mon emploi et j’ai monté ma propre forge – qui n’a pas du tout marché au début ; justement au moment où je commençais à croire à la vie, les choses se détérioraient sensiblement. Un jour, j’étais en train de travailler, et j’ai compris que là, devant moi, se trouvait un symbole.

« Je recevais le fer non travaillé, et je devais en faire des pièces pour automobiles, machines agricoles, ustensiles de cuisine. Comment ? D’abord, je chauffe la tôle dans une chaleur infernale, jusqu’à ce qu’elle devienne rouge. Ensuite, sans aucune pitié, je m’empare du marteau le plus lourd et j’applique plusieurs coups, jusqu’à ce que la pièce acquière la forme désirée.

« Aussitôt elle est plongée dans un seau d’eau froide, et tout l’atelier se remplit du bruit de la vapeur, tandis que la pièce craque et crie à cause du changement soudain de température.

« Je dois répéter ce processus jusqu’à ce que j’obtienne la pièce parfaite : une seule fois ne suffit pas. »

Le forgeron a fait une longue pause, il a allumé une cigarette, et il a poursuivi :

« Parfois, le fer qui arrive dans mes mains ne peut supporter ce traitement. La chaleur, les coups de marteau et l’eau froide finissent par le fissurer. Et je sais qu’il ne se transformera jamais en une bonne lame de charrue, ou en essieu de moteur. Alors, je le mets simplement sur le tas de ferraille que vous avez vu à l’entrée de ma forge. »

Encore une pause, et le forgeron a conclu :

« Je sais que Dieu me fait subir des tourments. J’ai accepté les coups de marteau que la vie me donne, et parfois je me sens aussi froid et insensible que l’eau qui fait souffrir le fer. Mais je ne demande qu’une chose : "Mon Dieu, ma Mère, ne renoncez pas, jusqu’à ce que je parvienne à prendre la forme que vous attendez de moi. Faites tous les efforts que vous jugerez bon, prenez le temps que vous voudrez – mais ne me mettez jamais sur le tas de ferraille des âmes. " »

Après ma conversation avec cet homme, malgré mon ivresse, je savais que ma vie avait changé. Il y avait une tradition derrière tout ce que nous apprenons, et je devais aller à la recherche de personnes qui, consciemment ou inconsciemment, parvenaient à manifester ce côté féminin de Dieu. Plutôt que de rester à pester contre mon gouvernement et les manipulations politiques, j’ai décidé de faire ce dont j’avais vraiment envie : soigner les gens. Le reste ne m’intéressait plus.

Comme je ne disposais pas des ressources nécessaires, je me suis rapprochée de femmes et d’hommes de la région, qui m’ont guidée dans le monde des herbes médicinales. J’ai appris qu’il existait une tradition populaire qui remontait à un lointain passé – elle se transmettait de génération en génération à travers l’expérience, et non les connaissances techniques. Grâce à cette aide, j’ai pu aller beaucoup plus loin que mes possibilités ne me le permettaient, car je n’étais pas là seulement pour remplir une fonction universitaire, ou aider mon gouvernement à vendre des armes, ou faire inconsciemment la propagande de partis politiques.

J’étais là parce que j’étais contente de soigner les gens.

Cela m’a rapprochée de la nature, de la tradition orale, et des plantes. De retour en Angleterre, j’ai décidé de parler aux médecins, et je demandais : « Savez-vous exactement quels médicaments vous devez prescrire, ou… êtes-vous quelquefois guidés par l’intuition ? » La quasi-totalité d’entre eux, une fois la glace rompue, disaient que très souvent ils étaient guidés par une voix et que, lorsqu’ils ne respectaient pas ses conseils, ils finissaient par commettre des erreurs de traitement. Évidemment, ils utilisent toute la technique disponible, mais ils savent qu’il existe un coin, un coin obscur, dans lequel se trouve réellement le sens de la cure, et la meilleure décision à prendre.

Mon protecteur a déséquilibré mon univers – bien qu’il ne fût qu’un forgeron tsigane. J’avais l’habitude de me rendre au moins une fois par an dans son village, et nous discutions de la vie qui s’ouvre devant nos yeux quand nous osons regarder les choses différemment. Lors de certaines de ces visites, j’ai rencontré d’autres disciples de cet homme, et ensemble nous commentions nos peurs et nos conquêtes. Le protecteur disait : « Moi aussi il m’arrive d’être effrayé, mais dans ces moments-là, je découvre une sagesse qui est supérieure, et je vais de l’avant. »

Je gagne aujourd’hui une fortune comme médecin à Édimbourg, et je gagnerais encore plus d’argent si je décidais de travailler à Londres, mais je préfère profiter de la vie et avoir des moments de repos à moi. Je fais ce qui me plaît : j’associe les méthodes de soin des anciens, la Tradition Secrète, et les techniques les plus modernes de la médecine actuelle – la Tradition d’Hippocrate. Je suis en train d’écrire un traité à ce sujet, et beaucoup de gens de la communauté « scientifique », quand ils verront mon texte publié dans une revue spécialisée, oseront faire des pas que, au fond, ils ont toujours voulu faire.