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J’ai cherché moi-même des branches plus grosses, et je les ai mises par-dessus les brindilles ; ainsi était la vie. Pour qu’elles prennent feu, les brindilles devaient d’abord se consumer. Pour que nous puissions libérer l’énergie du fort, il fallait que le faible ait la possibilité de se manifester.

Pour que nous puissions comprendre les pouvoirs que nous portons en nous et les secrets qui ont déjà été révélés, il était d’abord nécessaire de laisser la surface – les attentes, les peurs, les apparences – se consumer. Alors, nous entrions dans cette paix que je trouvais maintenant dans la forêt, avec le vent soufflant sans trop de violence, la lumière de la lune derrière les nuages, les bruits des animaux qui sortaient la nuit pour chasser, accomplissant le cycle de naissance et de mort de la Mère, sans être jamais critiqués parce qu’ils suivent leurs instincts et leur nature.

J’ai allumé le feu.

Aucune de nous deux n’a eu envie de dire quoi que ce soit – nous avons simplement contemplé la danse du feu pendant un temps qui a semblé une éternité, sachant qu’au même moment des centaines de milliers de personnes devaient être devant leur cheminée, dans divers endroits du monde, même si elles disposaient chez elles des systèmes de chauffage les plus modernes ; elles faisaient cela parce qu’elles se trouvaient en présence d’un symbole.

Il m’a fallu un gros effort pour sortir de cette transe, qui ne me disait rien de spécifique, ne me faisait pas voir des dieux, des auras ou des fantômes, mais me laissait dans l’état de grâce dont j’avais grand besoin. Je me suis de nouveau concentrée sur le présent, sur la jeune fille à côté de moi, sur le rituel que je devais réaliser.

« Comment est ta disciple ? ai-je demandé.

— Difficile. Mais si ce n’était pas le cas, je n’apprendrais peut-être pas ce dont j’ai besoin.

— Et quel pouvoir développe-t-elle ?

— Elle parle avec les entités du monde parallèle.

— Comme tu parles avec Sainte Sophie ?

— Non. Tu sais que Sainte Sophie et la Mère se manifestent en moi. Elle, elle parle avec les êtres invisibles. »

J’avais déjà compris, mais je voulais être certaine. Athéna était anormalement silencieuse. Je ne savais pas si elle avait parlé avec Andréa des événements de Londres, mais cela n’avait pas d’importance. Je me suis levée, j’ai ouvert le sac que je portais avec moi, j’ai pris une poignée d’herbes spécialement choisies, et je l’ai jetée dans les flammes.

« Le bois a commencé à parler », a dit Athéna, comme si elle était en présence d’un phénomène absolument normal, et c’était bien, les miracles faisaient maintenant partie de sa vie.

« Que dit-il ?

— Pour le moment, rien, ce sont seulement des bruits. »

Quelques minutes plus tard, elle entendait une chanson venant du bûcher. « C’est merveilleux ! »

Ce n’était plus la femme ou la mère qui se trouvait là, mais la petite fille.

« Reste comme tu es. N’essaie pas de te concentrer, ou de me suivre, ou de comprendre ce que je dis. Détends-toi, sens-toi bien. C’est parfois tout ce que nous pouvons attendre de la vie. »

Je me suis agenouillée, j’ai pris une brindille incandescente, j’ai fait un cercle autour d’elle, laissant une petite ouverture pour pouvoir entrer. J’entendais moi aussi la même musique qu’Athéna, et j’ai dansé autour d’elle – invoquant l’union du feu masculin et de la terre qui maintenant le recevait bras et jambes ouverts, qui purifiait tout, qui transformait en énergie la force contenue dans ces brindilles, troncs, êtres humains, entités invisibles. J’ai dansé tant qu’a duré la mélodie du feu, et j’ai fait les gestes de protection vers la créature qui était à l’intérieur du cercle, souriante.

Quand les flammes se sont éteintes, j’ai pris un peu de cendre et je l’ai répandue sur la tête d’Athéna ; ensuite, j’ai éteint avec mes pieds le cercle que j’avais formé autour d’elle.

« Merci beaucoup, a-t-elle dit. Je me suis sentie chérie, aimée, protégée.

— N’oublie pas ça dans les moments difficiles.

— Maintenant que j’ai trouvé mon chemin, il n’y aura pas de moments difficiles. Je crois que j’ai une mission à accomplir, n’est-ce pas cela ?

— Oui, nous avons tous une mission à accomplir. » Elle a perdu de son assurance.

« Tu ne m’as pas répondu au sujet des moments difficiles.

— Ce n’est pas une question intelligente. Souviens-toi de ce que tu as dit tout à l’heure : tu es aimée, chérie, protégée.

— Je ferai mon possible. »

Ses yeux se sont emplis de larmes. Athéna avait compris ma réponse.

Samira R. Khalil, maîtresse de maison

« Mon petit-fils ! Qu’est-ce que mon petit-fils a à voir avec ça ? Dans quel monde vivons-nous, mon Dieu ? Sommes-nous encore au Moyen Âge, à faire la chasse aux sorcières ? »

J’ai couru vers lui. Le petit avait le nez en sang, mais il ne semblait pas se soucier de mon désespoir, et il m’a aussitôt repoussée :

« Je sais me défendre. Et je me suis défendu. »

Bien que je n’aie jamais porté un enfant dans mon ventre, je connais le cœur des enfants ; j’étais beaucoup plus inquiète pour Athéna que pour Viorel – ce n’était qu’une des nombreuses bagarres qu’il allait affronter dans sa vie, et ses yeux gonflés ne manquaient pas de montrer une certaine fierté.

« Une bande de garçons à l’école a dit que maman était une adoratrice du diable ! »

Sherine est arrivée tout de suite après – à temps pour voir le gamin encore en sang, et faire un vrai scandale. Elle voulait sortir, retourner à l’école parler au directeur, mais je l’ai prise dans mes bras. J’ai attendu qu’elle ait versé toutes les larmes de son corps, exprimé toute sa frustration – à ce moment-là, je ne pouvais rien faire d’autre que me taire, essayer de lui transmettre mon amour en silence.

Quand elle s’est un peu calmée, je lui ai expliqué prudemment qu’elle pourrait revenir vivre avec nous, nous nous occuperions de tout – son père avait parlé avec des avocats quand il avait lu dans le journal qu’on lui intentait un procès. Nous ferions notre possible, et même l’impossible, pour la tirer de cette situation, nous supporterions les commentaires des voisins, les regards ironiques de nos connaissances, la solidarité feinte de nos amis.

Rien ne comptait plus au monde que le bonheur de ma fille, même si je ne comprendrais jamais pourquoi elle choisissait toujours des voies aussi difficiles et douloureuses. Mais une mère ne doit pas comprendre – seulement aimer et protéger.

Et être hère. Sachant que nous pouvions presque tout lui donner, elle avait très tôt cherché son indépendance. Elle avait connu des obstacles, des échecs, toujours voulu affronter seule les turbulences. Elle était allée voir sa mère, consciente des risques qu’elle courait, et cela l’avait finalement rapprochée davantage de notre famille. Je me rendais compte qu’elle n’avait jamais accepté mes conseils – obtenir un diplôme, se marier, admettre les difficultés d’une vie en commun sans se plaindre, ne pas chercher à aller plus loin que la société le permettait.

Et pour quel résultat ?

En accompagnant l’histoire de ma fille, j’étais devenue une meilleure personne. Évidemment, je ne comprenais rien à la Déesse Mère, à cette manie de toujours réunir autour d’elle des gens bizarres, et ne jamais se résigner à ce qu’elle avait obtenu après beaucoup de travail.

Mais au fond, j’aurais beaucoup aimé être comme elle, même s’il était un peu tard pour y penser.

J’allais me lever et préparer quelque chose à manger, mais elle m’en a empêchée.

« Je veux rester un peu là, contre toi. C’est tout ce dont j’ai besoin. Viorel, va dans la chambre regarder la télévision, j’aimerais parler avec ta grand-mère. »