Il donna la boule en plastique au capitaine.
— Et je suis censé fermer les yeux pendant tout le voyage, pour ne pas deviner où nous sommes ?
— Non, bien entendu. Le Quartier Général de la F.I. se trouve sur Éros, qui est à environ trois mois d’ici à la vitesse la plus élevée qu’il soit possible d’atteindre. Vitesse que vous utiliserez, naturellement.
— Éros ? Mais je croyais que les doryphores avaient rendu cette petite planète totalement radioactive… Quand ai-je obtenu le niveau d’accréditation m’autorisant à savoir cela ?
— Vous ne l’avez pas. De sorte que, lorsque nous serons arrivés sur Éros, vous y serez nommé en poste permanent.
Le capitaine comprit immédiatement et cela ne lui plut pas.
— Je suis pilote, connard, et vous n’avez pas le droit de me coincer sur un rocher !
— Je ne tiendrai pas compte des injures adressées à un officier de grade supérieur. Je vous présente mes excuses sincères mais, selon mes instructions, je devais prendre le premier remorqueur militaire disponible. Au moment où je suis arrivé, c’était le vôtre. Ce n’était pas dirigé spécialement contre vous. Prenez les choses du bon côté. La guerre sera sans doute terminée dans quinze ans et, à cette époque, la position du Quartier Général de la F.I. n’aura plus besoin d’être secrète. À propos, vous devez savoir, au cas où vous auriez l’habitude d’apponter à vue, qu’Éros a été noircie. Sa luminosité est à peine supérieure à celle d’un trou noir. Vous ne la verrez pas.
— Merci, répliqua le capitaine.
Ce ne fut qu’un mois plus tard qu’il parvint à parler poliment au Colonel Graff.
L’ordinateur du vaisseau avait une bibliothèque limitée – elle était centrée davantage sur les loisirs que sur la culture. Ainsi, pendant le voyage, après le petit déjeuner et la gymnastique, Ender et Graff parlèrent. De l’École de Commandement. De la Terre. D’astronomie, de physique, de tout ce qui intéressait Ender.
Il s’intéressait surtout aux doryphores.
— Nous ne savons pas grand-chose, dit Graff. Nous n’avons jamais eu de prisonniers vivants. Même lorsque nous en prenions un désarmé et vivant, il mourait au moment où sa capture devenait indubitable. Le il lui-même n’est pas certain – il est plus probable, en réalité, que presque tous les soldats doryphores sont des femmes aux organes sexuels atrophiés ou résiduels. Nous n’avons pas d’éléments précis. C’est surtout leur psychologie qui te serait utile, et nous n’avons pas vraiment eu l’occasion de les interroger.
— Dites-moi ce que vous savez et je trouverai peut-être ce dont j’ai besoin.
Alors, Graff expliqua. Les doryphores étaient des êtres qui auraient parfaitement pu apparaître sur Terre, si les choses avaient tourné autrement un milliard d’années auparavant. Au niveau moléculaire, il n’y avait aucune surprise. Le matériel génétique lui-même était identique. Ce n’était pas par hasard si, aux yeux des êtres humains, ils évoquaient des insectes. Bien que leurs organes fussent beaucoup plus complexes et spécialisés que ceux des insectes, et possédassent un squelette interne, ayant renoncé presque complètement à leur squelette externe, leur structure physique rappelait toujours leurs ancêtres, qui devaient beaucoup ressembler aux fourmis de la Terre.
— Mais tu ne dois pas te laisser abuser par cela, précisa Graff. C’est à peu près aussi significatif que si je disais que nos ancêtres devaient beaucoup ressembler aux écureuils.
— Si c’est tout ce que nous avons, c’est quelque chose, dit Ender.
— Les écureuils n’ont jamais construit de vaisseaux spatiaux, souligna Graff. Il y a généralement quelques transformations sur le chemin qui conduit de la cueillette de noisettes et de graines à l’exploitation des astéroïdes et l’installation de centres de recherche permanents sur les lunes de Saturne.
Les doryphores percevaient approximativement le même spectre lumineux que les êtres humains, et leurs vaisseaux, ainsi que leurs installations au sol, étaient dotés d’un éclairage artificiel. Cependant, leurs antennes paraissaient presque résiduelles. Rien, dans leur corps, ne permettait d’affirmer que l’odorat, le goût et l’ouïe soient particulièrement importants.
— Bien entendu, nous ne pouvons pas en être certains. Mais nous n’avons trouvé aucun indice d’utilisation du bruit pour les transmissions. Le plus étrange est que leurs vaisseaux ne comportaient pas d’appareils de transmission. Pas de radios, rien qui puisse émettre ou capter des signaux.
— Ils communiquaient entre les vaisseaux. J’ai vu les vidéos, ils se parlaient.
— Exact. Mais par le corps, par l’esprit. C’est notre découverte la plus importante. Leurs transmissions, quelle que soit la technique utilisée, sont instantanées. La vitesse de la lumière n’est pas un obstacle. Quand Mazer Rackham a vaincu leur flotte d’invasion, ils ont tous fermé boutique. Immédiatement. Il n’y a pas eu le temps d’envoyer un signal. Tout s’est arrêté d’un coup.
Ender se souvint des images montrant les doryphores indemnes, morts à leur poste.
— Nous avons compris alors que c’était possible. Communiquer plus vite que la lumière. C’était il y a soixante-dix ans et, lorsque nous avons su que cela était réalisable, nous l’avons réalisé. Pas moi, naturellement, je n’étais pas encore né.
— Comment est-ce possible ?
— Je ne peux pas t’expliquer la physique philotique. De toute manière, personne ne la comprend. Ce qui compte, c’est que nous avons construit l’ansible. Le nom officiel est : Émetteur Instantané à Parallaxe Philotique, mais quelqu’un a exhumé : ansible, d’un vieux livre, et le mot est resté. En réalité, l’immense majorité des gens ignore l’existence de cette machine.
— Cela signifie que les vaisseaux pouvaient communiquer même s’ils se trouvaient aux extrémités opposées du Système Solaire, déduisit Ender.
— Cela signifie qu’un vaisseau pouvait communiquer avec un autre même s’ils se trouvaient aux extrémités opposées de la Galaxie. Et les doryphores peuvent le faire sans machines.
— Ainsi, ils ont été avertis de leur défaite au moment même où elle se produisait, estima Ender. Je me suis toujours demandé… Tout le monde dit qu’ils ne savent certainement pas qu’ils ont perdu la bataille depuis plus de vingt-cinq ans.
— Cela empêche les gens de paniquer, expliqua Graff. Je te dis des choses que tu ne peux pas savoir, à propos, si tu quittes le Quartier Général de la F.I. avant la fin de la guerre.
Ender se mit en colère.
— Si vous me connaissez, vous savez que je peux garder un secret !
— C’est le règlement. Les gens âgés de moins de vingt-cinq ans constituent un risque. C’est tout à fait injuste vis-à-vis de nombreux enfants parfaitement responsables, mais cela permet de réduire le nombre de gens susceptibles de laisser échapper quelque chose.
— À quoi sert le secret, de toute façon ?
— Nous avons pris des risques terrifiants, Ender, et nous ne voulons pas que tous les réseaux de la Terre mettent ces décisions en doute. Tu vois, dès que nous avons eu un ansible en état de fonctionner, nous l’avons installé à bord de nos meilleurs vaisseaux interstellaires et nous les avons lancés à l’attaque des Systèmes des doryphores.
— Savons-nous où ils sont ?
— Oui.
— Dans ce cas, nous n’attendons pas la Troisième Invasion ?
— Nous sommes la Troisième Invasion.
— Nous les attaquons. Personne ne le sait. Tout le monde croit que nous avons une flotte gigantesque de vaisseaux de guerre derrière le bouclier de comètes…