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Le jeu était une image holographique et son chasseur était représenté par un petit point lumineux. L’ennemi était un autre point, d’une couleur différente, et ils dansaient, tournoyaient et manœuvraient dans un cube d’espace faisant approximativement dix mètres de côté. Les commandes étaient extrêmement efficaces. Il pouvait faire pivoter l’image dans toutes les dimensions et, par conséquent, regarder sous tous les angles ; il pouvait déplacer le centre, afin que le duel se déroulât plus ou moins loin de lui.

Progressivement, à mesure qu’il contrôlait plus adroitement la vitesse, la trajectoire, l’orientation et les armes du chasseur, le jeu devint plus complexe. Il lui arrivait de combattre contre deux ennemis ; il arrivait qu’il y ait des obstacles dans l’espace, des débris ; il dut se préoccuper du carburant et des limites des armes ; l’ordinateur lui confia des missions précises, de sorte qu’il devait éviter les distractions et atteindre un objectif pour gagner.

Lorsqu’il domina le jeu avec un chasseur, on lui confia une escadrille de quatre appareils. Il donnait des ordres aux pilotes simulés de quatre chasseurs et, au lieu d’exécuter simplement les instructions de l’ordinateur, il fut autorisé à déterminer lui-même la tactique, décidant de l’importance relative des objectifs et dirigeant son escadrille en conséquence. À tout moment, il pouvait prendre personnellement les commandes d’un chasseur pendant une brève période et, au début, il le fit souvent ; lorsqu’il le faisait, toutefois, les trois autres chasseurs de son escadrille étaient rapidement détruits et, à mesure que les difficultés augmentaient, il dut consacrer de plus en plus de temps au commandement de l’escadrille. Dans ces conditions, il gagna de plus en plus souvent.

Après une année à l’École de Commandement, il savait faire fonctionner le simulateur sur quinze niveaux, depuis le contrôle d’un chasseur jusqu’au commandement d’une flotte. Il avait rapidement compris que le simulateur était à l’École de Commandement ce que la salle de bataille était à l’École de Guerre. Les cours avaient leur importance, mais la formation véritable était le jeu. De temps en temps, des gens venaient voir jouer. Ils ne parlaient jamais – personne, pratiquement, ne le faisait, sauf lorsqu’on devait lui enseigner des choses précises. Les spectateurs restaient, en silence, le regardant travailler sur une simulation difficile, puis s’en allaient dès qu’il avait terminé. Que faites-vous ? avait-il envie de demander. Vous me jugez ? Vous décidez si vous pouvez me confier la flotte ? N’oubliez surtout pas que je n’ai rien demandé.

Il constata qu’une part importante de ce qu’il avait appris à l’École de Guerre s’appliquait au simulateur. Il prit l’habitude de réorienter le simulateur toutes les quelques minutes afin de ne pas tomber dans le piège d’une orientation verticale de haut en bas, reconsidérant continuellement sa position du point de vue de l’ennemi. Il était passionnant de dominer ainsi la bataille, d’être en mesure d’en voir tous les aspects.

Il était également frustrant d’avoir un pouvoir aussi limité, car les chasseurs de l’ordinateur n’étaient forts que dans la mesure où l’ordinateur le leur autorisait. Ils ne prenaient pas d’initiatives. Ils n’avaient pas d’intelligence. Il regretta ses chefs de cohorte, ce qui lui aurait permis de compter sur l’efficacité de quelques escadrilles sans être obligé de superviser continuellement l’ensemble.

Au terme de la première année, il gagnait toutes les batailles sur le simulateur et jouait comme si la machine faisait partie intégrante de son corps. Un jour, prenant son repas avec Graff, il demanda :

— Est-ce tout ce que fait le simulateur ?

— Quoi, tout ?

— La façon dont il joue en ce moment. C’est facile et, depuis quelque temps, la difficulté n’augmente pas.

— Oh.

Graff parut indifférent. Mais Graff paraissait toujours indifférent. Le lendemain, tout changea. Graff s’en alla et un compagnon fut attribué à Ender.

Il était dans sa chambre quand Ender se réveilla. C’était un vieillard assis en tailleur par terre. Ender le regarda, attendant qu’il prenne la parole. Il ne dit rien. Ender se leva, prit une douche et s’habilla, acceptant le silence de l’homme, si tel était son désir. Il savait depuis longtemps que, lorsqu’il se produisait un événement exceptionnel faisant partie des projets de quelqu’un d’autre et non des siens, on apprenait davantage en attendant qu’en posant des questions. Les adultes perdaient pratiquement toujours patience avant Ender.

L’homme n’avait toujours pas parlé quand Ender fut prêt et se dirigea vers la porte afin de sortir de la pièce. La porte ne s’ouvrit pas. Ender se tourna vers l’homme assis par terre. Il paraissait avoir une soixantaine d’années et était, à la connaissance d’Ender, l’homme le plus âgé d’Éros. Il n’était pas rasé, ce qui rendait son visage très légèrement moins gris que ses cheveux courts. Son visage était légèrement affaissé et ses yeux étaient entourés d’un réseau de rides. Il regardait Ender avec une expression trahissant l’apathie.

Ender se tourna à nouveau vers la porte et tenta une nouvelle fois de l’ouvrir.

— Très bien, dit-il, abandonnant. Pourquoi la porte est-elle fermée ?

Le vieillard continua de le fixer avec un regard vide.

Alors, c’est un jeu, se dit Ender. Eh bien, s’ils veulent que j’aille en cours, ils ouvriront la porte. S’ils ne veulent pas, ils ne le feront pas. Je m’en fiche.

Ender n’aimait pas les jeux où l’objectif pouvait être n’importe quoi et où les autres étaient seuls à connaître les règlements. De sorte qu’il refusa de jouer. Il refusa également de se mettre en colère. Il fit des exercices de relaxation, appuyé contre la porte, et eut bientôt retrouvé son calme. Le vieillard continua de le regarder impassiblement.

Cela parut durer des heures, Ender refusant de parler, le vieillard paraissant être un débile muet. Parfois, Ender se demandait si c’était un malade mental échappé d’une infirmerie quelconque, réalisant un rêve dément dans la chambre d’Ender. Mais, plus cela continua, personne ne venant ouvrir la porte et personne ne le cherchant, plus il acquit la certitude qu’il s’agissait d’un acte délibéré, destiné à le déconcerter. Ender ne voulut pas laisser la victoire au vieillard. Pour passer le temps, il fit de la gymnastique. Certains exercices étaient irréalisables sans le matériel du gymnase mais d’autres, surtout ceux qui étaient liés à l’autodéfense, pouvaient être réalisés sans appareils.

Les exercices l’obligeaient à se déplacer dans la pièce. Il travaillait les coups de pied. Un mouvement le conduisit près du vieillard, comme cela était déjà arrivé plusieurs fois mais, cette fois, la vieille griffe jaillit et saisit la jambe d’Ender au milieu d’un coup de pied. Ender fut déséquilibré et tomba lourdement.

Ender se redressa immédiatement, furieux. Il trouva le vieillard calmement assis, respirant régulièrement, comme s’il n’avait pas bougé. Ender était en position de combat, mais l’immobilité de l’autre rendait toute attaque impossible. Que faire ? Arracher la tête du vieillard d’un coup de pied ? Puis expliquer à Graff : Oh, le vieux m’a frappé, je voulais rétablir l’équilibre.

Il reprit ses exercices ; le vieillard continua de le regarder.

Finalement, fatigué et furieux à cause de cette journée gâchée, prisonnier de sa chambre, Ender regagna son lit dans l’intention de sortir son bureau. Au moment où il se penchait pour le prendre, une main glissa brutalement entre ses cuisses et une autre le saisit par les cheveux. En un instant, il fut retourné. Son visage et ses épaules étaient pressés contre le sol par le genou du vieillard, tandis que son dos était douloureusement arqué et que ses jambes étaient immobilisées par le bras du vieillard. Ender était dans l’impossibilité d’utiliser son bras, il ne pouvait plier le dos afin de se procurer la marge de manœuvre lui permettant d’utiliser les jambes. En moins de deux secondes, le vieillard avait totalement vaincu Ender Wiggin.