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— Deux Champions plus deux sul’dam – moi, j’arrive à douze chevaux.

— Plus deux pour Setalle. Je parie qu’elle partira avec nous.

— Quatorze.

— Deux de plus pour Teslyn. Même si elle n’a rien dit pour le moment, elle sera du voyage. Seize. Pour nos affaires, il nous faudra quatre chevaux de bât. Vingt. Et quatre de rechange pour ne pas les épuiser. Vingt-quatre.

— Et tu les nourriras comment ? Si tu veux chevaucher si vite, tes montures n’auront pas le temps de brouter. Et que brouteraient-elles, pour commencer ?

Un gros problème, ça. L’herbe printanière se faisait attendre. Dans les prairies qu’ils traversaient, à part un tapis de feuilles mortes, il n’y avait pas l’ombre d’un végétal comestible. Les équidés pouvaient survivre avec des feuilles mortes, bien entendu – et même de l’herbe desséchée de l’an passé –, mais les cerfs et les autres ruminants ne les avaient pas attendus pour dévorer presque tout.

Si la terre ne se décidait pas à être féconde… Eh bien, l’été serait très difficile. Un obstacle de plus…

— Il faudra que tu nous donnes de l’avoine, dit Joline, et de l’argent pour les auberges.

— Et qui s’occupera de ces chevaux ? Vous vous chargerez de les brosser chaque soir, de vérifier leurs sabots et leur donner la bonne ration d’avoine ?

— Eh bien, il faudra que quelques-uns de tes soldats nous accompagnent…, fit Joline, de plus en plus maussade. Un mal nécessaire.

— Ce que je souhaite à mes gars, riposta Mat, c’est d’être là où on les aime bien, pas là où ils sont un mal nécessaire. Tu n’en auras pas un seul. Et je ne te donnerai pas un sou.

» Si vous voulez partir, ce sera avec un cheval par personne et une seule bête de bât. En guise de dotation, vous aurez de l’avoine – parce que j’aime les équidés.

— Avec une seule monture, nous n’irons pas plus vite que la colonne, protesta Joline.

— Ce qu’il fallait démontrer, lâcha Mat, taquin. (Il se détourna de la sœur.) Vanin, file dire à Mandevwin de faire passer le mot. Nous camperons bientôt. Je sais qu’il est encore tôt, mais je veux être assez loin de ce village pour qu’il n’y ait aucun risque. Et assez près pour qu’un petit groupe puisse aller tâter la température du coin…

— Pigé, lâcha Vanin sans l’ombre du respect qu’il avait manifesté à la fichue Aes Sedai.

Il fit volter son cheval et commença à descendre la colonne.

— Vanin, l’appela Mat, fais bien comprendre à Mandevwin ce que signifie « petit groupe ». À savoir quelques hommes commandés par Talmanes et par moi-même. Je ne veux pas que sept mille types en quête de divertissement déboulent dans ce village. Mais j’y achèterai un chariot, et je leur ferai envoyer toute la bière disponible.

» Dans le camp, les ordres devront être stricts. Pas de petits malins qui « font le mur » pour aller découvrir le village. Compris ?

Vanin acquiesça, l’air de l’avoir mauvaise. Informer les hommes qu’ils n’auraient pas de permission n’était jamais agréable.

Mat se tourna vers les Aes Sedai.

— Alors, vous acceptez mon offre généreuse ?

Joline haussa les épaules, puis elle entreprit de redescendre la colonne – à l’évidence, il n’était pas question qu’elle parte seule.

Quel dommage ! Rien que d’y penser, Mat en aurait souri béatement jusqu’à Caemlyn.

La sœur aurait quand même pu tenter le coup. En moins de trois jours, elle aurait sans doute trouvé un crétin, dans l’un ou l’autre bourg, prêt à lui céder son cheval, histoire qu’elle puisse alterner entre ses montures.

Edesina aussi s’éloigna. Après avoir jeté un étrange regard à Mat, Teslyn la suivit. Elle semblait toujours déçue par le comportement du jeune flambeur.

Mat cessa de la regarder et se tança intérieurement. Qu’avait-il à faire de ce qu’elle pensait de lui ?

— Tu m’as sacrément étonné, Mat, dit soudain Talmanes.

— Pourquoi ? Les restrictions visant nos gars ? Ce sont de braves types, mais je n’ai jamais connu de soldats qui ne se fichent pas dans la mouise dans les endroits où on peut trouver de l’alcool.

— Je ne parlais pas de ça… (Talmanes tapota sa pipe contre son étrier, puis il la secoua pour la vider.) J’évoquais ta façon de traiter les Aes Sedai. On aurait pu être enfin tranquilles, mon vieux ! Vingt-quatre chevaux et quelques pièces, ce n’est rien pour être débarrassés de ces fichues bonnes femmes.

— Je déteste qu’on me force la main, Talmanes. (Mat fit signe à la Compagnie de se remettre à avancer.) Même pour ne plus avoir Joline sur le dos… Quand elle veut quelque chose de moi, qu’elle se montre polie, au lieu d’essayer de me brusquer. Je ne suis pas son chien !

Pour sûr, qu’il ne l’était pas ! Et il n’avait rien d’un mari, quoi que ça puisse vouloir dire.

— Elle te manque vraiment, souffla Talmanes alors que leurs chevaux s’ébranlaient.

Le Cairhienien semblait surpris par cette constatation.

— Qu’est-ce que tu racontes encore ?

— Mat, tu n’es pas le plus raffiné des hommes, je dois l’admettre. Parfois, ton humour pique un peu, et tu prends souvent un ton trop sec. Mais tu es rarement brutal, et presque jamais volontairement insultant. Tu es vraiment à bout de nerfs, alors ?

Mat ne répondit pas, mais enfonça son chapeau sur sa tête.

— Je suis sûr qu’elle va très bien, Mat. C’est une reine, et ces gens-là savent prendre soin d’eux-mêmes, tu peux me croire. De plus, des Gardes de la Mort et des Ogiers l’escortent. Des guerriers ogiers, mon gars ! Qui aurait pensé que ça existait ? Elle s’en tirera très bien, tu verras…

— Cette conversation est terminée, annonça abruptement Mat.

Il dressa sa lance à la verticale, la lame incurvée en direction du soleil toujours invisible de leur position, puis cala l’embout dans un de ses étriers.

— Je…, commença Talmanes.

— Terminée, j’ai dit. Tu as encore un peu de ce tabac ?

Le Cairhienien soupira.

— C’étaient mes derniers brins. Une très bonne variété. Du Deux-Rivières tel que je l’aime. Comme la pipe, la blague à tabac est un cadeau du roi Roedran.

— Il devait t’estimer beaucoup.

— C’était un travail honnête et bien vu. Mais quel ennui, par le ciel ! En revanche, voyager avec toi… Au fait, ravi que tu sois de retour. Mais ta conversation sur la nourriture, avec l’Aes Sedai, m’a beaucoup inquiété.

— Où en sommes-nous vraiment ?

— Très bas, hélas…

— Au village, nous achèterons tout ce qui nous manque. Avec ce que Roedran t’a donné, nous sommes pleins aux as.

Un hameau n’aurait sûrement pas de quoi nourrir toute une armée. Mais selon les cartes, la Compagnie entrerait bientôt dans une zone plus peuplée. En voyageant avec des gars plutôt rapides, on devait traverser un ou deux villages par jour, dans le coin. À chaque occasion, on achetait et on réquisitionnait tout ce qui pouvait se révéler utile. Un chariot ou une charrette chargés jusqu’à la gueule, deux ou trois seaux de pommes… Sept mille bouches à nourrir, c’était beaucoup, mais un chef avisé ne négligeait pas la plus petite poignée de grain. Parce que les petits ruisseaux faisaient les grandes rivières, bien entendu.

— Les villageois voudront-ils nous vendre quelque chose ? demanda Talmanes. En chemin pour te rencontrer, nous avons eu un mal de chien à convaincre les bouseux de nous céder des vivres. En ce moment, il ne doit plus rester grand-chose à vendre, chez ceux-là. La nourriture manque, où qu’on aille, et quel que soit l’or qu’on ait en poche.

Génial, vraiment ! Mat serra les dents… puis s’en voulut de l’avoir fait. Bon, d’accord, il était un peu nerveux. Mais ça n’avait rien à voir avec Tuon.