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Quoi qu’il en soit, il avait besoin de détente. Et ce village, devant eux, semblait prometteur. Comment Vanin l’avait-il appelé, déjà ? Hinderstap ?

— Combien d’argent as-tu sur toi, Talmanes ?

— Deux marks d’or et une bourse pleine de couronnes d’argent. Pourquoi ?

— Insuffisant, fit Mat en se grattant le menton. Il va falloir piocher dans un de mes coffres personnels. Ou en emporter un. (Il fit volter Pépin.) Suis-moi.

— Minute, Mat ! lança Talmanes en emboîtant le pas à son chef. Qu’allons-nous faire ?

— Pour commencer, tu vas accepter ma proposition d’aller nous détendre à la taverne. Une fois en ville, on en profitera pour se réapprovisionner. Et si ma chance ne me tourne pas le dos, ça ne nous coûtera rien.

Egwene ou Nynaeve lui auraient chauffé les oreilles, affirmant qu’il n’allait surtout pas faire ça. Tuon, elle, l’aurait probablement regardé avec curiosité – avant de lâcher une remarque qui lui aurait fait monter au front le rouge de la honte. Talmanes talonna simplement son cheval. Le brave homme !

— J’ai hâte de voir ça, mon ami ! lança-t-il, visage de marbre mais regard brillant de malice.

21

Des braises et des cendres

Perrin ouvrit les yeux et s’aperçut qu’il flottait dans les airs. Perdu dans le ciel, il éprouva une terreur sans nom. Au-dessus de lui, des nuages noirs bouillonnaient. Au-dessous, une plaine d’herbe jaunie battue par le vent se déroulait à l’infini. Pas une âme qui vive. Aucune tente, pas de route, même pas l’ombre d’une empreinte de botte.

Perrin n’était pas en train de tomber. Il planait dans le vide. Comme s’il voulait nager, il battit des bras. Désorienté, il tenta de lutter contre la panique qui le submergeait.

Le Rêve des Loups, pensa-t-il. Je suis dans le Rêve des Loups. En m’endormant, j’espérais y aller.

Il se força à inspirer puis à expirer. Ensuite, il essaya de ne plus battre des bras. Mais se calmer était difficile quand on se trouvait à des centaines de pieds au-dessus du plancher des vaches.

Soudain, une silhouette grise passa devant lui, sautant dans l’air. Comme si c’était naturel, ce loup piqua vers le sol et s’y posa en douceur.

— Sauteur !

Viens me rejoindre, Jeune Taureau. Tu ne risques rien.

Comme toujours, les « propos » du loup étaient un mélange d’odeurs et d’images. Ces dernières, Perrin les interprétait de mieux en mieux. La terre meuble représentant le sol, une bourrasque symbolisant le saut… Quant aux odeurs, celles de la détente et du calme indiquaient qu’il n’y avait rien à craindre.

— Mais comment te rejoindre ?

Par le passé, tu fonçais toujours tête baissée, comme un louveteau à peine sevré. Saute ! Saute près de moi !

À des centaines de pieds plus bas, Sauteur s’assit sur les pattes arrière et sourit à Perrin.

Le jeune homme serra les dents, puis lâcha quelques jurons à l’intention de ces têtes de mule de loups. Ceux qui étaient morts, lui semblait-il, se révélaient encore plus têtus que les autres. Cela dit, Sauteur ne disait pas vraiment n’importe quoi. Perrin avait déjà… sauté à cet endroit, mais sans venir du ciel.

Il s’emplit les poumons, ferma les yeux et s’imagina en train de bondir. L’air siffla à ses oreilles, puis ses pieds se posèrent sur le sol.

Là, il ouvrit les yeux. Dans la vaste plaine semée de millet sauvage et de hautes herbes, un grand loup gris, couvert de cicatrices récoltées lors d’épiques batailles, se tenait devant lui.

Agitées par le vent, les herbes frôlaient les bras du jeune homme, lui donnant envie de se gratter. Ces végétaux semblaient trop secs, comme du foin resté longtemps dans une grange pendant l’hiver.

Dans le Rêve des Loups, certaines choses changeaient très vite. Les feuilles mortes qui tapissaient le sol, par exemple, disparurent en un clin d’œil. Tout sentait un peu le rance, comme si ce décor n’était pas vraiment réel.

Levant les yeux, Perrin découvrit un ciel orageux. Normalement, en ce lieu, les nuages étaient aussi éphémères que le reste. En un clin d’œil, on passait d’un ciel plombé à un océan d’azur. Mais là, les nuages s’incrustaient. Tourbillonnants, ils étaient zébrés par des éclairs qui ne s’abattaient jamais sur le sol et ne faisaient aucun bruit.

Au-dessus de la plaine silencieuse, les nuages envahissaient le ciel, et ils ne semblaient pas disposés à disparaître.

La Dernière Chasse approche, dit Sauteur en regardant le ciel. Alors, nous pourrons courir ensemble. Sauf si nous dormons.

— Dormir ? répéta Perrin. Et la Grande Chasse ?

Elle approche, confirma Sauteur. Si le Tueur d’Ombre périt pendant la tempête, tout s’endormira pour toujours. S’il survit, nous chasserons ensemble. Toi et nous…

Perrin tenta de faire le tri dans un flot d’images, d’odeurs, de sons et d’émotions. Tout ça n’avait guère de sens pour lui.

Au moins, il était là, à présent. Il avait désiré venir, résolu à obtenir des réponses de Sauteur, si c’était possible.

Quelle joie de le revoir, ce vieil ami !

Courir, lui transmit Sauteur.

Cette transmission n’avait rien d’inquiétant. Une invitation à courir ensemble.

Perrin acquiesça et se mit à courir au milieu des hautes herbes. Sauteur bondit à côté de lui, lui transmettant de l’amusement.

Deux jambes, Jeune Taureau ? Avec ça, on est très lent.

Perrin reçut une image d’hommes qui se bousculaient les uns les autres, finissant par tomber à cause de leurs stupides pattes trop droites et trop longues.

Perrin hésita.

— Sauteur, je dois garder le contrôle. Quand je laisse le loup prendre le dessus, eh bien… je fais des choses dangereuses.

Le loup inclina la tête puis trottina à côté de Perrin. Après un moment, ils s’engagèrent sur une piste étroite sans doute ménagée par des animaux sauvages.

Cours ! insista Sauteur, désorienté par la réaction de Perrin.

— Je ne peux pas, dit Perrin en s’arrêtant net.

Sauteur le dépassa, se retourna et revint vers lui en quelques bonds. Dans son odeur, Perrin reconnut de la confusion.

— Quand je perds le contrôle, je m’effraie moi-même. La première fois que ça m’est arrivé, c’était juste après avoir rencontré les loups. Tu dois m’aider à comprendre.

Sauteur continua à le regarder, sa langue dardée entre les crocs.

Pourquoi ai-je essayé ? se demanda Perrin.

Les loups ne pensaient pas comme les hommes. Qu’importait l’opinion que Sauteur pouvait avoir sur tout ça ?

Nous chasserons ensemble ! « dit » le vieux loup.

— Et si je ne veux pas chasser avec toi ? demanda Perrin.

Prononcer ces mots lui arracha le cœur. Si dangereux qu’il fût, il aimait cet endroit et le Rêve des Loups. Dans tout ce qui lui était arrivé depuis son départ de Deux-Rivières, il y avait des choses extraordinaires, et celle-là en était une.

Mais il ne pouvait pas continuer à perdre le contrôle. Il devait trouver l’équilibre. Se débarrasser de la hache avait eu un très bon effet. Entre une hache de guerre et un marteau de forgeron, il y avait une différence. L’une ne pouvait servir qu’à tuer, alors que l’autre lui laissait le choix.

Mais ce choix, il devait le prolonger en conservant son contrôle. Et pour ça, le premier pas était de dominer le loup qui se tapissait en lui.

Cours avec moi, Jeune Taureau, insista Sauteur. Oublie tes raisonnements. Cours comme un loup.

— Je ne peux pas, répéta Perrin. (Il pivota sur lui-même, sondant la plaine.) Mais je dois connaître cet endroit, Sauteur. Il faut que j’apprenne à l’utiliser et à le contrôler.