Выбрать главу

Je te tuerai, chienne galeuse ! Je te retirerai tous les tendons – un à la fois, en utilisant le Pouvoir pour te guérir et te livrer ainsi à une éternité de souffrance. Non ! Pour toi, il faudra que je trouve quelque chose de nouveau ! Une douleur qui n’ait jamais été infligée à personne…

— Semirhage…, murmura une voix.

La Rejetée se pétrifia et sonda de nouveau les environs. La voix lui avait paru mordante et d’une dureté sans borne. Un tour de son imagination. Il ne pouvait pas être là, pas vrai ?

— Tu as commis une erreur tragique, Semirhage, continua la voix.

Un peu de lumière filtrait du couloir, mais la voix retentissait bel et bien dans la petite pièce où elle croupissait. Dehors, la lueur se fit plus forte puis vira au rouge, éclairant l’ourlet du manteau noir d’une haute silhouette. Levant les yeux, Semirhage découvrit un visage sans yeux au teint cireux de cadavre.

Aussitôt, elle se prosterna sur le parquet patiné par le temps. Si l’apparition ressemblait à un Myrddraal, elle était plus grande et beaucoup plus… importante. Se souvenant de la voix du Grand Seigneur, quand il s’était adressé à elle, la Rejetée trembla comme une feuille.

Quand tu obéis à Shaidar Haran, tu m’obéis… Quand tu désobéis…

— Tu devais capturer le garçon, pas le tuer, murmura l’apparition d’une voix sifflante comme la vapeur qui s’échappe du couvercle d’un chaudron. Mais tu lui as pris une main, et presque sa vie. Ce faisant, tu t’es démasquée, et tu as perdu des agents de valeur. Capturée par nos ennemis, voilà que tu es brisée.

Semirhage devina que Shadar Haran souriait. Le seul Myrddraal qui eût jamais fait ça. Mais en réalité, ça n’en était pas un…

La Rejetée ne répondit pas à ces accusations. Devant lui, nul ne mentait ni ne cherchait d’excuses.

Soudain le bouclier qui l’isolait de la Source disparut. Semirhage en eut le souffle coupé. Le saidar lui était revenu. Le Pouvoir, dans toute son extase. Pourtant, avant de s’en saisir, elle hésita. Les fausses Aes Sedai, dans le couloir, risquaient de sentir qu’elle canalisait.

Une main froide aux ongles très longs souleva le menton de la Rejetée. Ce contact, on eût dit celui du cuir, mais d’un cuir… mort.

Sa tête se souleva, ses yeux croisant le regard qui n’existait pas.

— Je te donne une dernière chance, murmurèrent les lèvres livides. Avec l’ordre de ne pas échouer.

La lumière disparut et la main lâcha le menton de la Rejetée. Elle resta prosternée, luttant contre une indicible terreur. Une dernière chance… L’échec, le Grand Seigneur le châtiait toujours de façons très… imaginatives. Ces châtiments, Semirhage les avait subis, et elle n’avait aucune envie de recommencer. À côté, toutes les tortures et les punitions que les Aes Sedai inventeraient seraient à peine plus qu’une piqûre d’insecte.

La Rejetée se releva péniblement, traversa la pièce à l’aveuglette, trouva la porte à tâtons et, en retenant son souffle, essaya la poignée.

Le battant s’ouvrit. Sans faire grincer les gonds, Semirhage se glissa dans le couloir. Là, trois femmes gisaient au pied de leur chaise. Les crétines de sœurs qui maintenaient le bouclier…

Agenouillée près des mortes, une autre Aes Sedai baissait humblement les yeux. Une femme en vert, ses cheveux bruns noués en queue-de-cheval.

— Je vis pour servir, Grande Maîtresse, murmura-t-elle. On m’a ordonné de te dire qu’il y a dans mon esprit une coercition dont tu dois me libérer.

Semirhage fronça les sourcils. Jusque-là, elle ne s’était pas doutée qu’une sœur noire s’était infiltrée parmi les Aes Sedai. Éliminer une coercition pouvait avoir un effet très désagréable sur une personne. Même si la contrainte était faible ou subtile, le cerveau risquait de subir de gros dommages. En cas d’une très forte contrainte… Eh bien, le processus était très intéressant à suivre.

— Je dois aussi te donner ça, ajouta la sœur en tendant un paquet à la Rejetée.

Semirhage l’ouvrit et dévoila un collier métallique de couleur terne et deux bracelets. Le Cercle de Domination. Inventé pendant la Dislocation, cet artefact ressemblait de très près à l’a’dam que Semirhage avait passé tellement de temps à étudier.

Avec ce ter’angreal, un homme capable de canaliser devenait un pantin dont on tirait les ficelles. Malgré l’angoisse qui lui serrait la gorge, la Rejetée sentit ses lèvres s’étirer pour former un sourire.

Rand ne s’était aventuré qu’une seule fois dans la Flétrissure. Pourtant, il se rappelait vaguement être venu en plusieurs occasions dans cette zone, avant qu’elle soit dévastée. Des souvenirs de Lews Therin. Rien qui fût à lui.

Alors que Tai’daishar, à contrecœur, se frayait un passage dans la végétation ratatinée du Saldaea, le spectre dément marmonnait des imprécations en sifflant comme un serpent.

Le Saldaea était un pays de broussailles et de terre noire. Très loin du désert des Aiels, en matière de désolation, mais tout aussi loin d’un territoire luxuriant et accueillant. Les habitations n’étaient pas rares, mais elles ressemblaient toutes à des fortins, et les enfants en bas âge avaient des allures de vétérans endurcis. Dans les Terres Frontalières, selon Lan, un gamin devenait un homme le jour où il gagnait le droit de porter une épée.

— T’est-il venu à l’esprit que ce que nous faisons là pourrait être assimilé à une invasion ?

Chevauchant à côté du Dragon Réincarné, Rodel Ituralde semblait sincèrement inquiet.

Rand désigna Bashere, qui avançait sur son autre flanc.

— J’ai avec moi des troupes du cru. Le Saldaea est mon allié.

Davram Bashere éclata de rire.

— Je doute que la reine voie les choses comme ça, mon ami ! Voilà des mois que je n’ai plus daigné m’enquérir de ses ordres. Entre nous, je ne serais pas étonné qu’elle réclame ma tête.

— Je suis le Dragon Réincarné. Marcher à la rencontre des forces du Ténébreux n’est pas une invasion.

Devant la colonne s’étendaient les contreforts de la chaîne de Dhoom. Des pics aux versants très sombres, comme s’ils étaient maculés de suie.

Rand se demanda comment il réagirait si un autre monarque utilisait un portail pour introduire près de cinquante mille hommes sur son territoire. C’était bel et bien un acte de guerre, mais les forces des Frontaliers étaient toujours la Lumière seule savait où, et il n’était pas question de laisser ces royaumes sans défense. À moins d’une heure de cheval, les Domani d’Ituralde avaient établi un camp fortifié près d’un fleuve qui prenait sa source dans les hautes terres de Bout-du-Monde. Après que Rand eut inspecté les installations et passé en revue les officiers, Bashere avait suggéré qu’il aille jeter un coup d’œil dans la Flétrissure.

Les éclaireurs avaient été surpris de la vitesse à laquelle la dévastation avançait. Pour Bashere, il semblait important que Rand et Ituralde voient par eux-mêmes ce qu’il en était.

Le jeune homme souscrivait à cette démarche. Sur les cartes, on ne se faisait jamais une idée exacte…

Comme un œil qui se ferme, lourd de sommeil, le soleil sombrait déjà à l’horizon. Raclant le sol d’un sabot, Tai’daishar secoua la tête. Rand leva aussitôt une main, immobilisant la petite colonne. Lui, deux généraux, cinquante soldats et autant de Promises. Fermant la marche, Narishma était là pour ouvrir des portails.

Au nord, sur la pente peu inclinée, des plantes à grandes feuilles et des buissons massifs oscillaient au vent. Aucun signe spécifique ne marquait le commencement de la Flétrissure. En revanche, on distinguait un point souillé sur une feuille, ou une tache maladive sur une tige. Chaque manifestation en soi était anodine, mais il y en avait tellement. Au sommet de la première colline, on ne trouvait déjà plus une plante qui ne fût pas flétrie. Sous les yeux de Rand, la pourriture semblait s’étendre sans cesse.