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Ses jambes bougeant contre son gré, Rand se leva, approcha de Min et posa sa main droite sur sa gorge, juste au-dessus du collier.

Affolé, le jeune homme tenta encore de saisir le saidin.

Il n’avait jamais souffert ainsi. On eût dit qu’on l’avait jeté dans un bain géant d’huile bouillante, puis qu’on lui avait injecté de la drogue dans le sang.

— Tu vois ? dit la voix si lointaine de Semirhage. Bon sang, j’avais oublié à quel point c’est jubilatoire !

Rand aurait juré que des milliers de fourmis s’enfonçaient dans sa chair, en route vers ses os. Il se débattit – en pure perte.

Nous revoilà dans la caisse ! cria Lews Therin.

Et soudain, ce fut exactement ça. Les ténèbres, l’impossibilité de bouger… Tout son corps douloureux à force de recevoir des coups. Son esprit luttant pour ne pas basculer dans la folie. Durant cette captivité, Lews Therin avait été son seul compagnon. Pour la première fois, Rand avait parlé au dément. Et peu après, celui-ci avait commencé à lui répondre.

Rand avait refusé de voir Lews Therin comme une part de lui-même. Une part mentalement dérangée, capable de supporter la torture parce qu’elle avait déjà été tellement maltraitée. Pour une telle âme, un surplus de douleur et de tourment n’avait aucun sens. On ne pouvait pas remplir une tasse qui débordait déjà.

Rand cessa de crier. La douleur était toujours là, il en pleurait à chaudes larmes, mais il ne crierait plus.

Un lourd silence s’abattit sur la pièce.

Semirhage se pencha pour regarder sa proie, du sang coulant de son menton. Une autre vague de douleur déferla en… Eh bien, en lui, qui qu’il puisse être.

Sans un cri, il leva les yeux sur la Rejetée.

— Que fais-tu donc ? demanda-t-elle. Parle !

Elle tissa une coercition – en vain.

— Aucun mal ne peut plus m’être fait, murmura Rand.

La douleur, encore. Elle le tétanisa, et quelque chose en lui gémit, mais il n’en laissa rien transparaître. Pas parce qu’il retenait ses cris, mais parce qu’il ne parvenait plus à éprouver quelque chose.

La caisse, les deux blessures sur son flanc qui corrompaient son sang, les coups, les humiliations, la tristesse et son propre suicide. Se supprimer. Désormais, il s’en souvenait avec une force incroyable…

Après tout ça, que pouvait lui infliger de plus une Rejetée ?

— Grande Maîtresse, dit Elza en se tournant vers Semirhage, le regard encore voilé. Maintenant, nous devrions peut-être…

— Silence, vermine ! siffla Semirhage en essuyant le sang qui maculait son menton. (Elle regarda ses doigts rougis.) C’est la deuxième fois qu’une de ces lames entaille ma chair. (Elle secoua la tête, puis sourit à Rand.) On ne peut plus rien te faire de mal, dis-tu ? Tu oublies à qui tu parles, Lews Therin. La douleur est ma spécialité, et tu restes toujours un petit garçon. Des hommes dix fois plus forts que toi, j’en ai brisé des légions. Debout !

Rand obéit. La douleur ne cessait pas. À l’évidence, Semirhage comptait lui en infliger jusqu’à ce qu’elle obtienne une réaction.

Le jeune homme (ou le spectre) se retourna, obéissant à sa marionnettiste, et découvrit que Min flottait dans le vide, tenue et liée par des flux invisibles. Bras attachés dans le dos, un bâillon d’Air toujours sur les lèvres, elle écarquillait les yeux de terreur.

— Je ne peux rien te faire, as-tu dit ?

Pas de son propre gré, mais sous l’influence de la Rejetée, Rand se connecta au saidin. Le Pouvoir se déversa en lui, amenant l’étrange nausée dont il ne s’était jamais expliqué la nature. Tombant à quatre pattes, il vida son estomac tandis que la pièce tournait follement autour de lui.

— Comme c’est étrange, dit Semirhage, sa voix bizarrement lointaine.

Toujours connecté au Pouvoir – et luttant contre lui, comme d’habitude, pour le plier à sa volonté –, Rand secoua la tête. Pour lui, c’était comme devoir dominer une tempête, et ça n’avait jamais été facile, même quand il était fort et en bonne santé. Aujourd’hui, ça lui était presque impossible.

Sers-toi du saidin ! cria Lews Therin. Tue-la tant que nous le pouvons encore.

Pas question que je tue une femme, pensa Rand, inflexible.

Dans son esprit, un lambeau de souvenir s’éveilla.

C’est la ligne rouge que je ne franchirai pas.

Lews Therin rugit et tenta de s’emparer du saidin, mais sans succès. Car Rand, pour canaliser, avait besoin de la permission de Semirhage – comme pour marcher, oui.

Lui obéissant, il se leva, et la pièce parut tourner moins vite. Alors que la nausée diminuait, il commença à tisser de l’Esprit et de l’Air en une configuration très complexe.

— C’est ça, fit Semirhage comme si elle parlait toute seule. Maintenant, si je me souviens bien… La manière masculine de faire ça est si étrange…

Rand propulsa ses tissages sur Min.

— Non ! cria-t-il sans pouvoir s’empêcher de continuer. Pas ça !

— Tu vois ? triompha Semirhage. Te briser n’est pas si difficile.

Les flux touchèrent Min, qui se tordit de douleur. Des larmes aux yeux, Rand continua à canaliser, incapable de s’opposer à la volonté de Semirhage.

Les tissages se contentaient de faire souffrir Min, mais ça, ils le faisaient bien. Quand la Rejetée dissipa le bâillon, la jeune femme cria :

— Par pitié, Rand ! Assez !

Rugissant de rage, Rand essaya d’arrêter, mais sans y parvenir. À travers le lien, il sentait la souffrance de Min, conscient que c’était lui qui la provoquait.

— Arrête ça ! cria-t-il à l’intention de la Rejetée.

— Implore-moi…, lâcha Semirhage.

— Par pitié… Je t’en supplie !

Soudain, les flux sadiques se dissipèrent. Min resta en lévitation, les yeux révulsés.

Rand se retourna pour faire face à Semirhage et à Elza, campée à ses côtés. La sœur noire semblait terrorisée, comme si elle s’était fourrée dans des ennuis auxquels elle n’était pas préparée.

— À présent, dit la Rejetée, saisis-tu qu’il a toujours été prévu que tu serves le Grand Seigneur ? Nous allons sortir d’ici et régler leur compte aux soi-disant Aes Sedai qui m’ont emprisonnée. Ensuite, nous Voyagerons jusqu’au mont Shayol Ghul, et tout pourra se terminer.

Rand inclina la tête. Il devait y avoir un moyen d’échapper à ça. Sous les ordres de Semirhage, il s’imaginait faisant un massacre parmi ses propres hommes. Ou il les voyait hésiter à attaquer, de peur de le blesser.

Un instant, il contempla la mort et la désolation qu’il sèmerait. À l’intérieur, il devint plus glacé qu’un mort.

Ils ont gagné.

Semirhage jeta un coup d’œil à la porte, puis elle se tourna vers Rand et sourit.

— Mais d’abord, il faut en finir avec cette femme. Allez, occupons-nous d’elle.

Contre sa volonté, Rand avança vers Min.

— Non ! Si je t’implorais, tu as promis que…

— Je n’ai rien promis du tout ! Tu m’as suppliée avec ferveur, Lews Therin, mais je choisis d’ignorer tes propos. Cela dit, coupe-toi donc du saidin. Une chose pareille doit être faite d’une manière plus… intime.

Le saidin reflua et Rand le sentit s’enfuir de lui, la gorge serrée par le regret. Autour de lui, le monde redevint terne.

Il atteignit Min, qui l’implora du regard. Puis il prit entre les doigts de sa main droite le cou de la jeune femme et commença à serrer.

— Non…, murmura-t-il, horrifié de sentir sa main étrangler sa compagne.

Min vacillant, il la fit basculer sur le sol sans se soucier de sa faible résistance. Penché sur elle, la main sur son cou, il l’étouffait.