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Elle le regarda, ses yeux déjà exorbités.

Non, ce n’est pas en train d’arriver !

Semirhage éclata de rire.

Ilyena ! gémit Lews Therin. Je l’ai tuée, par la Lumière !

Rand serra plus fort, se penchant davantage pour mieux étrangler une proie qu’il n’avait pas choisie. Comme si c’était son propre cœur qu’il serrait, tout devint noir autour de lui, à part le visage et le corps de Min. Sous ses doigts, il sentait battre le pouls de la moribonde.

Ses magnifiques yeux noirs le regardaient, pleins d’amour alors qu’il la tuait.

Ça ne peut pas arriver !

Je l’ai tuée !

Je suis fou !

Ilyena !

Il devait y avoir un moyen d’échapper à ça. Rand aurait voulu fermer les yeux, mais il en était incapable. Elle ne voulait pas le laisser faire. Pas Semirhage, mais Min. Avec ses yeux, elle capturait les siens, l’obligeant à voir les larmes qui coulaient sur ses joues.

Elle était si belle.

Rand tenta de saisir le saidin, mais il n’y parvint pas. Mobilisant sa volonté, il essaya d’ouvrir ses doigts. En vain, car ils continuèrent à serrer. Horrifié, il sentit la douleur de son aimée. Le visage déjà bleu, les yeux presque révulsés…

Ça ne peut pas arriver ! Je ne veux pas refaire ça !

En lui, quelque chose se brisa. Un grand froid l’envahit, puis disparut. Alors, il n’y eut plus rien. Ni émotion ni colère.

À cet instant, il prit conscience d’une étrange… force. On eût dit un réservoir d’eau qui bouillait et sifflait juste au-delà de son champ de vision. Avec son esprit, il tenta de l’atteindre.

Un visage flou passa devant le sien, sans qu’il puisse distinguer ses traits. En un éclair, l’image se volatilisa.

Alors, Rand sentit en lui un pouvoir étranger. Pas le saidin et encore moins le saidar, mais une puissance qu’il n’identifiait pas.

Lumière ! cria soudain Lews Therin. C’est impossible ! Nous ne pouvons pas utiliser ça ! Bannis cette horreur ! C’est la mort que nous tenons. La mort et la trahison. C’est LUI !

Rand ferma les yeux et canalisa l’étrange pouvoir. Un torrent d’énergie et de vie déferla en lui, comme avec le saidin, mais en dix fois plus doux et cent fois plus violent.

Se sentant vivant, il comprit qu’il ne l’avait jamais été avant. En lui s’accumulait une puissance qu’il n’aurait pas imaginée. Plus forte, même, que le Pouvoir dont il avait disposé par l’intermédiaire des Choedan Kal.

D’extase comme de colère, il cria puis tissa de gigantesques lances de Feu et d’Air qu’il propulsa sur le collier. Dans la pièce, une gerbe de flammes et des éclats de métal jaillirent – chacun nettement visible pour Rand.

Sans effort, il sentit chaque fragment du collier se détacher de son cou, zébrer l’air puis s’écraser sur le sol dans un vortex de fumée et de chaleur.

Rouvrant les yeux, il lâcha Min, qui toussa puis tenta de reprendre son souffle.

De la lave en fusion dans les veines, Rand se redressa et se tourna vers Semirhage. Dans son corps, la lave faisait des ravages semblables à ceux provoqués par la Rejetée, mais là, il y avait de l’extase mêlée à la douleur.

— Mais… c’est impossible…, balbutia Semirhage. Je n’ai rien senti… Tu ne peux pas… (Elle leva sur Rand des yeux écarquillés.) Le Vrai Pouvoir ! Grand Seigneur, pourquoi m’as-tu abandonnée ? Pourquoi ?

Rand leva sa main. Empli d’une puissance à laquelle il ne comprenait rien, il tissa un simple flux. Une barre de lumière blanche purificatrice jaillit de sa main et frappa la Rejetée à la poitrine. Ses contours devenant brillants, la légende du mal se volatilisa, ne laissant qu’une image imprimée sur les rétines de Rand.

Le bracelet qu’elle portait tomba sur le sol.

Elza fonça vers la porte, mais une autre barre de lumière la désintégra. Son bracelet aussi tomba sur le sol…

La sœur noire qui le portait, elle, avait été définitivement effacée de la Trame.

Qu’as-tu fait ? demanda Lews Therin. Lumière ! Lumière ! Il aurait mieux valu tuer de nouveau que… Nous sommes maudits !

Rand savoura le Pouvoir quelques secondes de plus, puis, à regret, le laissa se dissiper. Moins fatigué, il n’aurait pas agi ainsi. De nouveau « seul », il eut le sentiment d’être paralysé.

Non… Cette sensation n’avait rien à voir avec ce que Semirhage avait appelé le Vrai Pouvoir. Se tournant vers Min, Rand vit qu’elle toussait encore un peu et se massait le cou. Levant les yeux sur lui, elle sembla… terrifiée.

Sans nul doute, elle ne le verrait plus jamais de la même façon.

Il s’était trompé. Il restait une dernière chose que Semirhage pouvait lui infliger. Il s’était vu en train de tuer une femme qu’il aimait. La fois d’avant, quand il avait fait ça sous l’identité de Lews Therin, il était fou et incapable de se contrôler. Comme dans un rêve, il se souvenait d’avoir tué Ilyena. Mais à l’époque, il avait compris ce qu’il venait de faire seulement après qu’Ishamael l’eut réveillé.

Aujourd’hui, il savait très précisément ce qu’on ressentait en se voyant tuer un être aimé.

— Voilà, ça m’a été infligé, dit-il.

— Quoi donc ? demanda Min.

— La dernière offense qu’on pouvait m’infliger, expliqua Rand, surpris par son propre calme. Maintenant, ils m’ont tout pris.

— Que racontes-tu, Rand ?

Min se massa de nouveau le cou, où des bleus se formaient.

Rand secoua la tête alors que des échos de voix retentissaient enfin dans le couloir. Pendant qu’il torturait Min, les Asha’man avaient-ils senti qu’il canalisait ?

— J’ai fait mon choix, Min, dit-il en se tournant vers la porte. Tu voudrais que je sois gai et insouciant, mais ces choses-là ne font plus partie de ce que je peux donner. Désolé.

Des semaines plus tôt, il avait décidé de devenir plus fort, le fer se transformant en acier. Mais l’acier, à l’évidence, se révélait insuffisant.

Il serait encore plus dur, désormais, et il savait comment s’y prendre. Là où il était d’acier, il changerait, devenant plus résistant. À partir de ce jour, il serait en cuendillar. Car il venait d’entrer en un lieu semblable au vide que Tam l’entraînait à chercher, une éternité derrière lui. Et dans ce vide, il n’aurait aucune émotion.

Absolument aucune.

Ses ennemis ne pourraient plus le briser ou le forcer à plier l’échine.

Tout était accompli.

23

Un gauchissement dans l’Air

— Et les sœurs qui gardaient sa cellule ? demanda Cadsuane alors qu’elle montait l’escalier à côté de Merise.

— Corele et Nesune ont survécu, même si elles sont dans un piteux état.

Merise souleva l’ourlet de sa jupe pour gravir plus vite les marches. Les clochettes de ses nattes tintinnabulant, Narishma suivait les deux sœurs.

— Daigian est morte. On ne sait pas trop pourquoi les deux autres ont été épargnées.

— Parce qu’elles ont des Champions, lâcha Cadsuane. Quand on tue une sœur, son Champion – ou ses, s’ils sont plusieurs – le sent immédiatement. Nous aurions su qu’il se passait quelque chose.

Même ainsi, les Champions auraient dû comprendre que quelque chose clochait. Pour savoir ce qu’ils avaient capté, il faudrait les interroger. Mais l’hypothèse de la légende se tenait.

Daigian n’avait plus de Champion vivant. Cadsuane eut le cœur serré en pensant à la triste fin d’une sœur avenante, mais elle se ressaisit très vite. L’heure n’était pas au chagrin.