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— Dans ce cas…

— Tu dois rester hors de ma vue, Cadsuane. Si je te revois après ce soir, je te tuerai.

— Rand, non ! s’exclama Min en se levant d’un bond.

Le gamin ne se retourna pas vers elle.

D’abord submergée par la panique, Cadsuane s’appuya sur sa rage pour la bannir.

— Quoi ? C’est de la folie, mon garçon. Je…

Enfin, Rand se retourna, et son regard coupa la chique à la légende. Dans ses yeux, il y avait quelque chose de terrifiant. Oui, même pour elle, malgré son vieux cœur si bien trempé.

Autour du garçon, l’air sembla se… gauchir, et on aurait juré que la lumière venait de baisser.

— Mais… Mais… tu ne tues pas les femmes, tout le monde sait ça. De peur qu’elles soient blessées, tu oses à peine exposer tes Promises.

— J’ai dû revoir ce point particulier. Ce soir, par exemple.

— Mais…

— Cadsuane, crois-tu vraiment que je pourrais te tuer ? Ici et maintenant, sans utiliser une épée ou le Pouvoir ? Crois-tu que si je le voulais, la Trame se plierait à mes ordres et arrêterait ton cœur ? Penses-tu que ce serait une coïncidence ?

Être ta’veren ne fonctionnait pas ainsi. Par la Lumière ! Pas ainsi… Il ne pouvait pas soumettre la Trame à sa volonté.

Yeux dans les yeux, Cadsuane crut chaque mot que venait de dire le garçon. Contre toute logique, elle comprit, en sondant son regard, qu’elle périrait si elle ne s’en allait pas.

Elle acquiesça, se haïssant elle-même de se sentir si faible.

Al’Thor regarda de nouveau dehors.

— Fais en sorte que je ne voie plus ton visage, Cadsuane. Plus jamais ! Et maintenant, retire-toi.

Sonnée, la légende se détourna. Du coin de l’œil, elle vit qu’une profonde obscurité émanait du garçon et… gauchissait l’air de plus en plus.

Quand elle regarda de nouveau, il n’y avait plus rien. Les dents serrées, elle sortit.

— Préparez-vous et préparez vos hommes, dit le garçon alors qu’elle n’avait même pas refermé la porte. Je veux être parti avant la fin de la semaine.

Le cœur battant la chamade, les mains moites, Cadsuane s’adossa à un mur et porta une main à sa tête. Jusque-là, elle essayait d’influencer un gamin entêté mais bienveillant. En un clin d’œil, quelqu’un avait remplacé ce garçon par un homme plus dangereux que tous ceux qu’elle avait rencontrés. Jour après jour, il s’éloignait des autres.

À cet instant, la légende n’avait pas la moindre idée de ce qu’elle pourrait faire contre ce phénomène.

24

Un nouvel engagement

Épuisé par des jours et des jours de voyage, Gawyn, monté sur Défi, contemplait Tar Valon depuis le sommet d’une colline basse.

Avec l’arrivée du printemps, le paysage aurait dû être luxuriant, mais il n’en était rien. Dans un environnement brunâtre, seuls quelques bosquets d’ifs semblaient vouloir essayer de renaître à la vie.

Dans beaucoup d’autres, on ne distinguait plus que des souches. Dans un camp militaire, on dévorait les arbres plus sûrement qu’une colonie de vers à bois. On s’en servait pour les feux, les flèches, les cabanes et les équipements de siège…

Gawyn bâilla à s’en décrocher la mâchoire. Toute la nuit, il avait chevauché ventre à terre.

Le camp de Bryne, dressé pour durer, semblait-il, grouillait d’activité. Au mieux, une armée de cette taille répandait un chaos organisé. Un petit groupe de cavalerie pouvait voyager léger – comme les Jeunes Gardes de Gawyn. Et même si elle grossissait, une force de ce type demeurait souple et mobile. Les experts en cavalerie, au Saldaea, étaient réputés pouvoir conserver toute leur mobilité à des unités de sept ou huit mille hommes.

Des troupes comme celles de Bryne n’avaient rien à voir avec ça. Une entité toujours en expansion qui évoquait une énorme bulle gonflant autour du petit camp qui lui tenait lieu de cœur. Dans le cas présent, il s’agissait sûrement du fief des Aes Sedai.

Avisé, Bryne avait aussi posté des unités dans toutes les villes attenantes aux ponts, sur les deux rives du fleuve Erinin. Une manière efficace de couper l’île de toute source d’approvisionnement.

L’armée du général lorgnait Tar Valon comme une araignée qui suit les évolutions d’un papillon, à proximité de sa toile. Partout, des soldats patrouillaient, achetaient des vivres ou portaient des messages. Des dizaines et des dizaines de détachements, certains montés et d’autres à pied. On eût dit des abeilles quittant la ruche tandis que d’autres y entraient. À l’est du camp principal s’étendait un incroyable conglomérat de cabanes et de tentes – la configuration classique des rassemblements de civils, inévitables autour d’une armée en campagne.

Non loin de là, juste à l’intérieur du camp de guerre proprement dit, une palissade de bois formait un cercle autour de quelques tentes. Très probablement le poste de commandement…

Tandis qu’il approchait, Gawyn avait été repéré par des sentinelles, il n’en doutait pas un instant. Pourtant, personne ne l’avait intercepté. Et il en serait ainsi jusqu’à ce qu’il essaie de rebrousser chemin. Un homme seul correctement vêtu – une chemise blanche, un manteau et un pantalon gris – n’éveillait l’intérêt de personne. Après tout, il pouvait s’agir d’un mercenaire venant demander une place dans les rangs. Ou d’un messager envoyé par un seigneur local pour se plaindre d’une patrouille d’éclaireurs.

Ça pouvait aussi être un frère d’armes, tout simplement. Dans l’armée de Bryne, si beaucoup d’hommes portaient un uniforme, pas mal d’autres se signalaient par un brassard jaune sur une manche de leur veste. Des nécessiteux incapables de payer pour qu’on couse sur leurs épaules les insignes requis.

Dans tous les cas de figure, un homme seul approchant d’une armée n’était pas un danger. Quand il s’en éloignait, le même type déclenchait un branle-bas de combat. Un visiteur pouvait être un ami, un ennemi ou ni l’un ni l’autre. Un inconnu qui observait le camp et filait était nécessairement un espion. Tant que Gawyn ne s’en irait pas sans avoir fait connaître ses intentions, les sentinelles de Bryne lui ficheraient sans doute la paix.

Lumière ! Franchement, il n’aurait pas craché sur un bon lit. Après deux nuits de chevauchée, en dormant à peine deux heures chaque fois, il se sentait plus que grognon – et très en colère contre lui-même, pour avoir écarté toute étape dans une auberge, de peur que ses hommes lui aient collé aux basques. Clignant des yeux, les paupières lourdes, il talonna Défi pour lui faire descendre la pente.

Il était engagé, désormais.

Non ! Engagé, il l’était depuis l’instant où il avait laissé Sleete derrière lui, à Dorlan. À cette heure, les Jeunes Gardes devaient être informés de la trahison de leur chef. Mais Sleete ne leur permettrait pas de perdre du temps à le chercher.

Gawyn leur avait dit tout ce qu’il savait. Il aurait aimé croire que ça les avait surpris, mais en l’entendant parler d’Elaida et des Aes Sedai, beaucoup de ses gars avaient eu l’air perplexes ou même troublés.

La Tour Blanche ne méritait pas sa loyauté. Les Jeunes Gardes, en revanche… Hélas, il ne pourrait jamais revenir vers eux. Cette situation lui pesait. Après tout, c’était la première fois qu’il avait révélé ses hésitations à un groupe important. Personne ne savait qu’il avait aidé Siuan à fuir et très peu de gens étaient au courant de sa relation avec Egwene.

Quoi qu’il en soit, partir avait été la bonne décision. Pour la première fois depuis des mois, ses actes étaient en accord avec ses sentiments. Sauver Egwene ! Voilà une cause à laquelle il pouvait croire sans retenue.

Visage de marbre, il approcha du camp. L’idée de travailler avec les Aes Sedai rené… rebelles lui déplaisait presque autant que d’avoir abandonné ses hommes. Ces sœurs ne valaient pas mieux qu’Elaida. Sinon, elles n’auraient pas bombardé Egwene Chaire d’Amyrlin, histoire d’en faire une cible. Une simple Acceptée ! Une marionnette… Si ces femmes ne réussissaient pas à prendre la Tour Blanche, elles auraient une bonne chance de s’en sortir sans dommages. Egwene, elle, serait exécutée.