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— Ce sont des temps où les hommes se révèlent, dit Bryne en se servant aussi.

Il prit une gorgée et fit la grimace.

— Un problème ? s’inquiéta Gawyn.

— Non, c’est juste que j’abomine ce truc.

— Pourquoi en boire, alors ?

— C’est censé me faire du bien, maugréa Bryne.

Avant que Gawyn ait pu l’interroger, il enchaîna :

— Alors, vas-tu me dire pourquoi tu t’es battu comme un chiffonnier pour entrer dans mon poste de commandement ? Ou dois-je te faire mettre au pilori ?

— Gareth, c’est Egwene… Elle est prisonnière.

— Des Aes Sedai de la Tour Blanche ?

Gawyn acquiesça.

— Je le sais.

Bryne prit une autre gorgée et fit encore la grimace.

— Nous devons agir. Je suis venu te demander de l’aide. Pour une expédition de secours.

— Rien que ça ? Et comment comptes-tu entrer dans la Tour Blanche ? Même les Aiels ne pourraient pas prendre cette ville.

— Parce qu’ils n’ont pas envie d’essayer… Mais je me fiche de la ville. Je veux y infiltrer quelques hommes, pour en exfiltrer une personne. Aucune muraille n’est infranchissable. Je trouverai un moyen.

Bryne posa son gobelet. Puis, visage buriné de marbre, il regarda Gawyn.

— D’accord, mon garçon. Mais comment convaincras-tu Egwene de venir avec toi ?

— La convaincre ? Elle sera ravie. Pourquoi en serait-il autrement ?

— Parce qu’elle nous a interdit de lui porter secours. (Bryne croisa de nouveau les mains dans son dos.) En tout cas, c’est ce que j’ai cru comprendre. Les Aes Sedai m’informent un minimum. On pourrait espérer qu’elles se montrent plus volubiles avec l’homme dont dépend l’issue de ce siège. Quoi qu’il en soit, la Chaire d’Amyrlin parvient à communiquer avec elles, et ses ordres sont clairs.

Pardon ? Mais c’était grotesque ! Les Aes Sedai racontaient n’importe quoi, comme souvent.

— Bryne, elle est prisonnière. Les Aes Sedai dont j’ai surpris les propos disent qu’on la roue de coups tous les jours. Ces femmes finiront par l’exécuter.

— Ce n’est pas sûr… Elle est là-bas depuis des semaines, et les sœurs ne l’ont pas encore tuée.

— Elles le feront ! Tu le sais très bien. Pendant un moment, on exhibe un chef vaincu devant ses soldats, mais tôt ou tard, il faut leur montrer sa tête au bout d’une pique, pour qu’ils comprennent qu’il ne reviendra jamais. Tu sais que j’ai raison.

Bryne hocha la tête.

— Oui, peut-être… Mais je ne peux rien faire. Je suis paralysé par mes serments. Dans l’incapacité d’agir sauf si cette fille me l’ordonne.

— Tu la laisserais mourir ?

— S’il le faut pour être fidèle à ma parole, la réponse est « oui ».

S’il en était ainsi… Eh bien, Gawyn risquait plus d’entendre une Aes Sedai mentir que de voir Gareth Bryne renier sa parole. Mais pour Egwene, il devait y avoir quelque chose à faire.

— J’essaierai de t’obtenir une audience avec quelques-unes de « mes » Aes Sedai, mon garçon. Elles pourront peut-être t’aider. Si tu les convaincs qu’une intervention s’impose, et que leur dirigeante l’acceptera, ça fera peut-être bouger les choses.

— Merci, fit Gawyn, sincère.

Au moins, c’était un début.

Bryne eut un vague geste.

— Cela dit, je devrais te faire mettre au pilori pour avoir salement amoché trois de mes hommes.

— Demande à une Aes Sedai de les guérir. D’après ce que j’ai entendu dire, tu as un grand nombre de sœurs sur les bras.

— Oui, mais elles acceptent rarement d’intervenir, sauf si la vie du soldat est en jeu. L’autre jour, un de mes gars a fait une mauvaise chute de cheval. Tu sais ce qu’on m’a répondu ? Le guérir l’encouragerait à être encore plus imprudent. « La douleur est riche d’enseignement. La prochaine fois, en chevauchant, il évitera de chambrer ses amis. »

— Mais pour ces trois-là, dit Gawyn, les sœurs feront peut-être une exception. Après tout, c’est un ennemi qui les a blessés.

— Nous verrons bien. Les sœurs rendent rarement visite aux soldats. Elles sont très occupées, comme il se doit…

— Il y en a une dans le camp des civils, fit Gawyn en regardant par-dessus son épaule.

— Une jeune aux cheveux noirs et au visage normal ?

— Non, une vraie Aes Sedai. Je le sais à cause de son visage, justement. Un peu enrobée, avec des cheveux clairs.

— Une sœur en quête de Champion, sans doute. Elles font souvent ça.

— J’en doute fort… Elle se cachait parmi des lavandières.

À bien y réfléchir, il avait pu s’agir d’une espionne de la Tour Blanche.

Bryne se rembrunit. Sans doute parce que la même idée venait de lui traverser la tête.

— Montre-la-moi, dit-il.

Il gagna la sortie, écarta le rabat et s’en fut, Gawyn sur les talons.

— Tu ne m’as toujours pas expliqué ce que tu fiches ici, petit, dit Bryne tandis qu’ils traversaient le poste de commandement parfaitement organisé.

Comme de juste, chaque soldat qu’ils croisèrent salua le général et fit mine de ne pas avoir vu son visiteur.

— Je te l’ai déjà dit, répliqua Gawyn, la main négligemment posée sur le pommeau de son épée. Je cherche un moyen de tirer Egwene de ce guêpier.

— Je ne parlais pas spécifiquement de mon camp… Que fais-tu dans ce secteur ? Pourquoi n’es-tu pas à Caemlyn, pour aider ta sœur ?

— Tu as des nouvelles d’Elayne ? s’exclama Gawyn.

Pourquoi n’avait-il pas posé la question plus tôt ? Vraiment, il était épuisé.

— J’ai entendu dire qu’elle a séjourné dans ton camp. Donc, elle est de retour à Caemlyn ? En sécurité ?

— Elle nous a quittés il y a assez longtemps. Mais elle s’en sort bien, dirait-on. Tu n’es pas au courant ?

— De quoi ?

— Eh bien, les rumeurs ne sont pas fiables, mais… Les Aes Sedai qui ont Voyagé jusqu’à Caemlyn sont formelles. Ta sœur a gagné le Trône du Lion. On dirait qu’elle a réglé la majorité des problèmes que votre mère lui a laissés.

La Lumière en soit louée ! pensa Gawyn en fermant les yeux.

Elayne était vivante et assise sur le trône. Quand il rouvrit les yeux, le fils de Morgase trouva la lumière du jour plus radieuse.

Il continua à avancer, Bryne à ses côtés.

— Donc, tu ne savais rien… Où as-tu passé les derniers mois, petit ? Tu es le Premier Prince de l’Épée, désormais. Du moins, tu le seras dès ton retour à Caemlyn. Ta place est auprès de ta sœur.

— Egwene d’abord !

— Tu as prêté serment, rappela Bryne. Devant moi. Aurais-tu oublié ?

— Non, mais si Elayne est couronnée, elle ne risque rien pour le moment. Je sauverai Egwene, puis je l’emmènerai à Caemlyn, où je pourrai veiller sur elle. Veiller sur les deux, en fait…

— Je donnerais cher pour te voir « veiller » sur ces filles-là, mon gars. Cela dit, où étais-tu pendant qu’Elayne luttait pour conquérir le trône ? Que faisais-tu de si important ?

— J’ai été… entraîné dans une spirale.

— Une spirale ? Tu étais à la Tour Blanche quand tout ça… ?

Bryne se tut abruptement et les deux hommes marchèrent en silence pendant un moment.

— Où as-tu entendu parler de la captivité d’Egwene ? demanda Bryne. Comment as-tu su qu’elle reçoit des coups ?

Gawyn ne répondit pas.

— Par le fichu sang et les maudites cendres ! jura Bryne, ce qu’il s’autorisait rarement. Je savais bien que l’homme qui dirigeait ces raids était trop bien informé. Dire que je cherchais un espion parmi mes officiers !

— Ce n’est plus important, maintenant…

— Parle pour toi. Tu as tué mes hommes et lancé des attaques contre moi.

— Non, contre les renégates, rectifia Gawyn. Tu peux m’en vouloir d’être entré de force dans ton camp. Mais crois-tu que je culpabiliserai parce que j’ai aidé la Tour Blanche à résister aux forces qui l’assiègent ?