Выбрать главу

Un des types qui se tenaient un peu à l’écart des nouveaux admirateurs de Thom étudia soigneusement Mat et son compagnon. Un sacré colosse, avec des bras énormes dévoilés par ses manches de chemise remontées jusqu’au coude – malgré l’air piquant de ce début de printemps étrange. Les cheveux noirs, l’homme arborait une barbe assortie.

— Tu as tout d’un seigneur, dit-il en approchant de Mat.

— C’est un prin…, commença Talmanes, le jeune flambeur lui coupant la chique d’un regard noir.

— Eh bien, c’est flatteur, mais exagéré, mentit Mat sans quitter Talmanes du regard.

— Je suis Barlden, le bourgmestre. Bienvenue chez nous et faites de bonnes affaires. Mais sachez que nous n’avons pas beaucoup de choses à partager.

— Du fromage, vous en aurez sûrement, intervint Talmanes, puisque c’est votre spécialité.

— Tout ce qui n’a pas pourri doit être mis de côté pour les festivités. Ainsi vont les choses de nos jours. Mais si vous avez du tissu ou des vêtements à troquer, on pourrait trouver de quoi vous nourrir ce soir.

Treize personnes ? Un seul soir…

Mat espérait repartir avec un chariot plein de vivres – au moins. Sans oublier la bière qu’il avait promise à ses gars.

— Il faut aussi que je vous parle du couvre-feu. Faites du commerce, réchauffez-vous devant nos cheminées, mais sachez que tous les étrangers doivent quitter la ville à la tombée de la nuit.

Mat jeta un coup d’œil au ciel plombé.

— Ça nous laisse seulement trois heures !

— Ce sont nos règles…

— C’est ridicule ! dit Joline en s’écartant des villageoises.

Ses Champions couvrant ses arrières, comme toujours, elle rejoignit Mat et Talmanes.

— Maître Barlden, nous contestons ces restrictions. J’approuve votre prudence, en des temps périlleux, mais vous devez comprendre que vos règles ne s’appliquent pas dans ce cas précis.

Bras croisés, le bourgmestre ne dit rien.

Joline fit la moue et déplaça sa main, sur les rênes, afin que sa bague au serpent soit bien visible.

— Le symbole de la Tour Blanche n’a-t-il plus de sens, en ces temps ?

— Nous respectons la tour, répondit Barlden en regardant Mat.

Un homme avisé. Croiser le regard d’une sœur avait un très mauvais effet sur la détermination.

— J’imagine que tes aubergistes sont mécontents de ce couvre-feu. Comment peuvent-ils gagner leur vie, s’ils ne louent pas leurs chambres à des voyageurs ?

— Ils sont défrayés, répondit Barlden. Trois heures, pas une minute de plus. Faites ce que vous avez à faire, et repartez. Nous tenons à être amicaux avec ceux qui passent par chez nous, mais nos règles sont inflexibles.

Alors qu’il s’éloignait, Barlden se fit emboîter le pas par plusieurs costauds, certains portant une hache. Pas de manière menaçante. Presque nonchalamment, comme s’ils revenaient de couper du bois. Tous en même temps, et dans le sillage du bourgmestre…

— Un accueil en fanfare, comme on dit, marmonna Talmanes.

Mat approuva du chef. À cet instant, les dés se mirent à rouler dans sa tête.

Que la Lumière les brûle !

Cette fois, il les ignorerait. De toute façon, ils ne lui servaient jamais à rien.

— Trouvons une taverne, dit-il en talonnant Pépin.

— Toujours décidé à flamber toute la nuit ? lança Talmanes en suivant son compagnon.

— On verra…, fit Mat. (Malgré lui, il écoutait cliqueter les dés.) On verra…

En approchant, Mat repéra trois auberges. Celle qui se dressait à la sortie du village était déjà éclairée de l’extérieur par deux lanternes alors qu’il ne faisait pas encore nuit. La façade peinte en blanc et les vitres propres des fenêtres séduiraient sans doute les Aes Sedai. Un établissement conçu pour les marchands et les dignitaires assez malchanceux pour s’aventurer dans ces collines.

Mais les étrangers ne pouvaient pas rester la nuit… Depuis quand cette restriction était-elle en place ? Et comment les auberges survivaient-elles ? En vendant des bains et des repas… Mais sans la location des chambres…

Mat n’avait pas gobé l’histoire du « défraiement ». Si ces établissements ne faisaient rien d’utile pour la communauté, pourquoi leur verser de l’argent ? Ç’aurait été aberrant.

Quoi qu’il en soit, Mat ne se dirigea pas vers l’auberge chic, ni vers celle que Thom avait choisie. Celle-ci n’était pas dans l’avenue principale, mais dans une assez grande rue, au nord-est. Elle devait accueillir des voyageurs classiques, hommes et femmes de raison qui n’aimait pas dépenser plus qu’il était raisonnable.

Un bâtiment bien entretenu, des lits sans doute propres et une cuisine acceptable… Les villageois devaient venir y boire un verre – essentiellement quand ils pensaient que leur épouse les avait à l’œil.

Si Mat n’avait pas su où chercher, la troisième auberge aurait été difficile à trouver. Elle se nichait à trois rues du centre, à l’extrémité ouest d’Hinderstap. Pas d’enseigne suspendue, juste une planche où figurait un cheval qui semblait être ivre mort. L’image obstruait une des fenêtres, les autres étant aussi fermées par des planches.

De la lumière sourdait de la porte et on captait des éclats de rire.

La plupart des étrangers auraient été dissuadés par l’absence d’enseigne et de lanternes extérieures. Davantage une taverne qu’une auberge, cet établissement devait louer pour une misère des paillasses installées dans une arrière-salle. Un endroit idéal où se détendre, pour les gens du cru. En milieu d’après-midi, une bonne partie des clients devaient déjà être là. Un lieu d’amusement et de convivialité, où il faisait bon fumer la pipe avec des amis.

Tout en jouant aux dés…

Mat sourit, mit pied à terre et attacha Pépin à un poteau.

— Tu as conscience que la bière et le vin sont probablement coupés d’eau, soupira Talmanes.

— Eh bien, on les commandera en double !

Mat récupéra quelques bourses dans ses sacoches et les fourra dans ses poches. Puis il fit signe aux Bras Rouges de surveiller les chevaux. Le canasson de bât transportait un coffre plein de pièces. Le trésor personnel de Mat, qui n’aurait pas risqué au jeu la solde de ses hommes.

— Bon, si tu y tiens, dit Talmanes. Mais sache que je te forcerai à fréquenter une taverne digne de ce nom, à Quatre Rois. D’ici là, je t’aurai éduqué, Mat. Tu es un prince, maintenant. Il te faut…

Mat leva une main pour faire taire son compagnon. Puis il désigna le poteau. Accablé, le militaire descendit de selle et attacha lui aussi sa monture.

Le jeune flambeur grimpa trois marches, prit une grande inspiration et entra.

Des hommes étaient agglutinés autour des tables. Leur manteau posé sur le dossier d’une chaise ou accroché à une patère, leur gilet déboutonné et leurs manches de chemise relevées, ils avaient tout d’une assemblée de loqueteux.

Pourquoi les gens du coin portaient-ils des vêtements à l’origine de qualité mais dans un état lamentable ? Élevant des moutons, ils auraient dû avoir de la laine à volonté.

Pour l’heure, Mat oublia cette bizarrerie. Ici, les types jouaient aux dés, vidaient des chopes de bière et flanquaient une claque sur la croupe de chaque serveuse qui passait. Ils semblaient épuisés, certains ayant les yeux lourds de fatigue. Mais quoi d’étonnant, après une journée de travail ?

Malgré cette lassitude générale, les conversations allaient bon train, formant une marée de murmures.

Quelques gars tournèrent la tête quand Mat entra, certains plissant le front en découvrant ses beaux atours. Mais la majorité des clients ne lui accorda aucune attention.

Talmanes suivait à contrecœur. Cela dit, il n’était pas le genre de noble qui refuse de frayer avec la populace. Même s’il s’était plaint du choix de Mat, en son temps, il avait fréquenté pas mal de tripots et de bouges.