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À contrecœur, il frappa dans le tas en cherchant à tuer. Touchés au cou, des fous furieux s’écroulèrent.

Pépin estourbit un type d’un coup de sabot dans la tête.

Une fois en selle, Harnan et Delarn vinrent prêter main-forte à leurs supérieurs.

Les maudits villageois ne reculèrent pas. Pour qu’ils renoncent, il aurait fallu qu’ils gisent tous sur le sol.

Les Bras Rouges se battaient avec les yeux écarquillés de terreur. En toute honnêteté, Mat n’aurait pas pu les en blâmer. Voir de braves gens agir ainsi avait quelque chose d’irréel. En eux, ces villageois ne semblaient plus avoir une once d’humanité. Grognant, sifflant et beuglant, le visage tordu par la haine, ils n’avaient plus rien de ce qu’ils étaient quelques minutes auparavant.

Ceux qui ne s’en prenaient pas aux étrangers s’étaient regroupés par « affinités », si on osait dire, et s’en prenaient à des « équipes » plus réduites que la leur. Tout était bon pour tuer : les dents, les poings, les coudes, les pieds…

Un spectacle répugnant.

Sous les yeux de Mat, un corps vola à travers une fenêtre de l’auberge, faisant éclater les planches. Le type s’écroula sur le sol, la nuque brisée.

Derrière la fenêtre, Barlden apparut, les yeux écarquillés et de la bave aux lèvres. Alors qu’il beuglait de haine, il aperçut Mat, et, un instant, sembla le reconnaître. Mais ce moment de grâce ne dura pas, et le bourgmestre hurla de nouveau. Puis il sortit par la fenêtre et attaqua deux hommes qui lui tournaient le dos.

— On dégage ! cria Mat en faisant volter Pépin.

— L’or ! brailla Talmanes.

— Que la Lumière le brûle ! J’en gagnerai dix fois plus, et ces vivres ne valent pas nos vies. Allez !

Talmanes et les Bras Rouges obéirent et partirent au galop. Mat les suivit, oubliant l’or et le chariot. Ça ne valait pas la peine de crever. Et de toute façon, le lendemain, il comptait revenir avec la Compagnie afin de récupérer ses biens. Mais l’urgence, c’était de survivre.

Après un court galop, Mat fit signe à ses hommes de ralentir. Puis il regarda par-dessus son épaule. Les villageois les poursuivaient, mais ils ne combleraient pas la distance.

— Je continue à te blâmer, dit Talmanes.

— Pourtant, tu adores les batailles, non ?

— Certaines sortes… Par exemple les guerres, ou les rixes de taverne.

Derrière, les villageois n’étaient plus que quatre et ils couraient bizarrement.

On ne voyait presque plus rien. Le soleil couché, les montagnes et les nuages gris occultaient ce qui restait de lumière. Dans les rues, des lanternes s’alignaient, mais il semblait douteux que quelqu’un les allumerait.

— Mat, ils gagnent du terrain, avertit Talmanes, épée au poing.

— Ce n’est pas seulement à cause de nos mises, dit le jeune flambeur.

Tendant l’oreille, il constata que des cris montaient de tous les coins du village. Au bout d’une rue latérale, deux combattants fous furieux défoncèrent une fenêtre et s’écrasèrent dans la rue, deux niveaux plus bas.

En approchant, Mat vit qu’il s’agissait de… combattantes. Indemnes, elles essayaient toujours de s’arracher les yeux.

— Suivez-moi ! ordonna Mat en faisant volter Pépin. Il faut trouver Thom et les sœurs.

Les quatre cavaliers descendirent une rue latérale qui devait déboucher dans l’avenue principale. Plus d’une fois, ils dépassèrent des groupes d’hommes et de femmes qui s’entre-tuaient dans le caniveau. Quand un gros type au visage ensanglanté se dressa devant lui, Mat lui passa sur le corps à contrecœur. Il y avait trop de cinglés partout pour prendre le risque de contourner l’homme – et inciter ainsi ses compagnons à faire de même.

Horrifié, le jeune flambeur vit que des enfants prenaient part au massacre, mordant la jambe des adultes ou prenant à la gorge les gosses de leur âge.

— Tout le village est devenu fou ! marmonna Mat tandis que ses hommes et lui déboulaient dans l’avenue principale puis fonçait vers l’auberge chic.

L’idée était de récupérer les Aes Sedai, puis de foncer vers l’auberge de Thom, la plus excentrée des trois.

Manque de chance, l’avenue principale était pire que la rue latérale. Alors qu’il faisait presque nuit – c’était beaucoup trop rapide, et donc pas naturel –, on distinguait partout des ombres qui se rouaient de coups. À la chiche lumière, les groupes d’adversaires faisaient parfois songer à d’énormes bêtes de légende dotées de dizaines de têtes et de membres.

Mat talonna Pépin. Foncer dans le tas était la seule solution.

— Lumière ! cria Talmanes, lancé au galop en direction de l’auberge. Lumière !

Les dents serrées, Mat se pencha sur l’encolure de Pépin. Sa lance contre le flanc du cheval, il s’enfonça dans un cauchemar… bien réel.

Des corps volèrent dans les airs et des cris retentirent. Révulsé par ce qu’il faisait, Mat lâcha une bordée de jurons.

La nuit elle-même semblait vouloir étouffer ou étrangler les fuyards, les livrant à des bêtes humaines ivres de rage.

Très bien dressés, Pépin et les autres chevaux ne déviaient pas d’un pouce de leur trajectoire. De justesse, Mat parvint à ne pas être arraché de sa selle par des villageois fous qui s’accrochaient à ses jambes au mépris du danger. On eût dit qu’une légion de damnés tentait de l’entraîner avec eux au plus profond des abysses.

Près de Mat, le cheval de Delarn s’immobilisa net. Alors qu’une muraille de silhouettes noires lui barrait le chemin, le hongre se cabra, paniqué, et désarçonna son cavalier.

Mat tira sur ses rênes et repéra aussitôt les cris de Delarn, bien plus humains que les rugissements de ses bourreaux.

— Mat ! cria Talmanes. Continue ! On ne peut pas s’arrêter.

Non ! pensa Mat, tout en repoussant une déferlante de panique. Je ne peux pas laisser quelqu’un dans cet enfer.

Ignorant Talmanes, il fit volter Pépin et fonça vers l’endroit où Delarn était tombé. À la vitesse où son cheval galopait, la sueur qui lustrait son front devenait glaciale. Et les cris qui montaient de partout semblaient tomber sur lui comme un linceul.

Avec un rugissement furieux, Mat sauta à terre. S’il ne voulait pas piétiner l’homme qu’il tentait de sauver, mieux valait ne pas amener sa monture.

Se battre dans le noir, il détestait ça ! Pourtant, il fondit sur les silhouettes dont il ne voyait pas le visage, sauf quand des dents blanches déchiraient la nuit – ou lorsque la folie faisait briller une paire d’yeux.

Ce cauchemar lui rappela une autre nuit où il avait massacré à l’aveugle des Créatures des Ténèbres. N’était que ces lourdauds n’avaient rien de la sombre grâce des Myrddraals. À dire vrai, ils se révélaient encore plus grotesques que les Trollocs.

Un moment, Mat eut l’impression qu’il affrontait l’obscurité elle-même, agrégée en individus dépourvus de cohérence et de coordination. Des ennemis inoffensifs ? Pas du tout, bien au contraire. Imprévisibles et maladroits, les villageois fous n’en devenaient que plus dangereux. À cause d’une attaque absurde, Mat passa à un souffle de se faire défoncer le crâne.

En plein jour, ces assauts auraient été ridicules et sans danger. Mais venant d’une meute d’hommes et de femmes qui se fichaient de qui ils frappaient ou tuaient, ils se révélaient dévastateurs.

Très vite, Mat se trouva réduit à la défensive. Balayant l’air avec son ashandarei, il renversait presque autant d’adversaires qu’il en tuait. Dès qu’il captait un mouvement, il frappait. Mais comment trouver Delarn dans ces conditions ?

Une ombre ondula dans l’air, pas très loin de lui. Sans hésiter, il reconnut une figure d’escrime. Le Rat qui Grignote le Grain ? Aucun villageois n’était si pointu épée en main.