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— Continue, dit Rand à Naeff.

L’Asha’man avait participé aux rencontres préliminaires entre Bashere et les Seanchaniens et il servait de messager.

— Seigneur, ce n’est qu’une intuition, mais je doute qu’ils accepteront Katar comme point de rendez-vous. Dès que le seigneur Bashere ou moi en parlions, ils se rembrunissaient, arguant qu’ils devaient attendre de nouveaux ordres de la Fille des Neuf Lunes. À leur ton, j’ai deviné que ces consignes ne seraient pas en faveur du site.

— Pourtant, Katar est un terrain neutre, ni en Arad Doman ni loin à l’intérieur des terres tenues par les Seanchaniens.

— Je sais, seigneur. Nous avons essayé, je peux te le jurer !

— Très bien, fit Rand. S’ils continuent à tergiverser, je choisirai un autre endroit. Retourne les voir, et propose qu’on se rencontre à Falme.

Derrière les deux hommes, Flinn émit un long sifflement.

— Seigneur, objecta Naeff, c’est très loin à l’intérieur du territoire des Seanchaniens.

— Je sais…, fit Rand en jetant un coup d’œil à Flinn. Mais ça a un sens historique évident. Et nous ne risquerons rien. Les Seanchaniens n’ont pas un sens de l’honneur à géométrie variable. Si nous agitons un drapeau blanc, ils ne nous attaqueront pas.

— Tu en es sûr, seigneur ? s’inquiéta Naeff. Je n’aime pas la façon dont ils me regardent… Ce mépris, dans leurs yeux à tous. Et cette pitié, comme si j’étais un chien qui fouille des poubelles dans la cour d’une auberge. Que la Lumière me brûle, mais ça me rend malade !

— Ils ont des colliers en réserve, seigneur, dit Flinn. Drapeau blanc ou pas, ils crèveront d’envie de nous capturer.

Rand ferma les yeux, rassembla en lui sa colère, et se concentra sur le vent qui lui cinglait le visage. Puis il ouvrit les yeux et les leva vers le ciel chargé de nuages noirs. Pas question de penser au collier et à ses doigts noués autour du cou de Min. C’était du passé.

Bien plus dur que l’acier, il ne pouvait plus être brisé.

— Nous devons signer une trêve avec les Seanchaniens. Malgré nos différends…

— Nos différends ? répéta Flinn. Seigneur, je n’emploierais pas ce mot. Ils veulent nous réduire en esclavage, voire nous exécuter tous. Et ils pensent nous faire une faveur !

Rand soutint le regard de Flinn. Loin d’être un rebelle, c’était un parangon de loyauté. Pourtant, Rand parvint à lui faire baisser les yeux. Aucune dissension n’était tolérable. Avec le mensonge, c’était ça qui l’avait conduit à porter un collier. Terminées, les fantaisies !

— Désolé, seigneur, dit enfin Flinn. Falme est un excellent choix, je t’en fiche mon billet ! Ils regarderont le ciel en tremblant de peur, j’en suis sûr.

— Va porter le message, Naeff. Il faut en finir.

Naeff acquiesça, talonna son cheval et s’écarta de la colonne, quelques Aiels en guise d’escorte. Le Voyage étant seulement possible à partir d’un endroit qu’on connaissait bien, il ne pouvait pas choisir les quais.

Rand continua son chemin, troublé par le silence de Lews Therin. Ces derniers temps, le spectre fou se montrait très distant. Alors que ç’aurait dû ravir Rand, ça le perturbait. Sans doute à cause du pouvoir sans nom qu’il avait manié. Assez souvent, il entendait le cinglé pleurer ou marmonner tout seul, confit dans sa terreur.

— Rand ?

Le jeune homme se retourna, vexé de ne pas avoir entendu approcher le cheval de Nynaeve. L’ancienne Sage-Dame portait une robe verte pudique selon les critères domani, mais bien plus affriolante que tout ce qu’elle aurait envisagé de mettre à l’époque de Deux-Rivières.

Elle a le droit de changer… Que pèse un relâchement vestimentaire en regard des exécutions et des bannissements que j’ai ordonnés ?

— Qu’as-tu décidé ? demanda Nynaeve.

— Rendez-vous à Falme.

L’ancienne Sage-Dame marmonna entre ses dents.

— Plaît-il ? lança Rand.

— Ne fais pas attention… C’étaient juste quelques remarques bien senties sur une fichue tête de mule.

— Les Seanchaniens peuvent être d’accord pour Falme…

— Bien sûr, puisque tu y seras à leur merci.

— Nynaeve, je ne peux pas me permettre d’attendre. Ce risque, il faut le prendre. Mais je doute qu’ils attaquent.

— Tu n’en doutais pas déjà la dernière fois ? Quand tu as perdu ta main ?

Rand baissa les yeux sur son moignon.

— Ils n’auront pas une Rejetée avec eux, ce coup-ci.

— Tu en es sûr ?

Rand chercha le regard de Nynaeve, qui ne baissa pas les yeux. Un exploit dont peu de gens étaient capables, ces derniers temps.

— Je ne peux pas en être sûr, concéda-t-il.

D’un soupir, Nynaeve indiqua qu’elle avait gagné cette joute-là.

— Eh bien, nous devrons être prudents à l’extrême, voilà tout. Qui sait ? Le souvenir de ton dernier passage à Falme les mettra peut-être mal à l’aise.

— C’est ce que j’espère.

Nynaeve marmonna de nouveau, et une fois encore, Rand ne comprit pas un mot.

L’ancienne Sage-Dame ne serait jamais une Aes Sedai parfaite. Trop soupe au lait pour ça, elle ne maîtriserait jamais totalement ses émotions. Aux yeux de Rand, ce n’était pas un défaut. Au moins, avec elle, il savait toujours où il en était. Dès qu’il s’agissait de feindre, elle se montrait en dessous de tout, et ça la rendait précieuse.

En elle, il avait confiance. Son petit cercle rapproché…

On se fie à elle, pas vrai ? demanda Lews Therin. Tu crois qu’on a raison ?

Rand ne répondit pas et en revint à son inspection des quais. Nynaeve resta près de lui, l’air plus que morose. Mais pour quelle raison ? Depuis le bannissement de Cadsuane, elle jouait le rôle de première conseillère. Quelque chose lui déplaisait là-dedans ?

Ou s’inquiétait-elle pour Lan ?

Alors qu’il guidait la colonne sur le chemin du retour, Rand se lança :

— Tu as des nouvelles de lui ?

— Qui ça ?

— Tu le sais très bien…

Longeant une rangée d’étendards rouges, sur plusieurs bâtiments, il remarqua que tous portaient les armoiries d’une seule famille.

— Ce qu’il fait ne te regarde pas, Rand.

— Le monde entier me regarde, Nynaeve. Tu as quelque chose à redire ?

L’Aes Sedai imparfaite ouvrit la bouche, sans doute pour crier, mais elle s’en abstint dès qu’elle croisa le regard de Rand.

Lisant de la peur sur ce visage-là, il eut du mal à en croire ses yeux.

Je peux impressionner Nynaeve, à présent… Tous ces gens, que voient-ils quand ils me regardent ?

— Lan va très bien, répondit Nynaeve en détournant la tête.

— Il est parti pour le Malkier, c’est ça ?

L’ancienne Sage-Dame s’empourpra.

— Mais il n’est pas encore arrivé dans la Flétrissure ?

Livré à lui-même face à ce qu’il considérait comme son destin et son devoir, Lan avait dû foncer vers le Malkier. Ce royaume – le sien, en réalité – avait été dévasté par la Flétrissure des décennies plus tôt, quand il était encore bébé.

— Il lui faudra deux ou trois mois, concéda Nynaeve. Plus longtemps, peut-être. Il est parti du Shienar et il arrivera à destination, même s’il doit chevaucher seul.

— Il est en quête de revanche, dit Rand. Pour venger ce qui ne peut pas être défendu.

— Non, il accomplit son devoir ! riposta Nynaeve. Mais je m’inquiète aussi de sa témérité. Comme il m’a demandé de le faire Voyager jusqu’aux Terres Frontalières, j’ai obéi, mais je l’ai largué au Saldaea. Le plus loin possible de la brèche de Tarwin. Pour atteindre sa destination, il devra traverser plusieurs terrains très accidentés.

En imaginant Lan en route pour la brèche, Rand eut un frisson glacé. Le mari de Nynaeve chevauchait vers sa fin. Mais il n’y avait rien à faire pour l’en empêcher.