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La dosun fit « oui » de la tête.

— Tu sais que les Aes Sedai ne peuvent pas mentir ?

La gouvernante acquiesça de nouveau.

De fait, si les Aes Sedai ne pouvaient pas mentir, Nynaeve en était tout à fait capable, puisqu’elle n’avait jamais prêté les Trois Serments. C’était en partie pour ça que les autres sœurs la regardaient de haut. À tort. Jurer sur le Bâton des Serments était un rituel. Les gens de Deux-Rivières n’avaient pas besoin de ça pour être honnêtes.

— Donc, tu me croiras quand je te dirai que je ne te soupçonne de rien. En fait, j’ai besoin de ton aide.

La gouvernante se détendit un peu.

— Nynaeve Sedai, de quelle aide as-tu besoin ?

— Je sais d’expérience que la gouvernante d’une maison en connaît plus long que l’intendant… et même les propriétaires. Es-tu employée ici depuis longtemps ?

— J’ai servi trois générations de Chadmar, répondit Loral, non sans fierté. Et j’espérais en servir une quatrième, si notre maîtresse n’avait pas…

La gouvernante n’alla pas plus loin. Sa maîtresse, Rand l’avait enfermée dans son propre donjon. Voilà qui augurait mal pour la quatrième génération…

— Oui, eh bien, les circonstances malheureuses dont pâtit ta maîtresse sont en partie la raison de ma venue.

— Nynaeve Sedai, dit Loral, soudain tout ouïe, tu penses pouvoir la faire libérer puis rentrer dans les grâces du seigneur Dragon ?

— Ce n’est pas impossible…

Mais hautement improbable… Cela dit, tout est possible.

— Ce que je vais faire ce soir pourrait aller dans ce sens. As-tu vu un jour le messager que ta maîtresse a fait emprisonner ?

— L’homme envoyé par le roi ? Je ne lui ai jamais parlé, Aes Sedai, mais je l’ai vu, en effet. Un grand type, bien fait et rasé de près, ce qui est rare pour un Domani. Je l’ai croisé dans un couloir. Le plus beau visage d’homme que j’aie vu de ma vie.

— Quoi d’autre ?

— Il est allé parler avec dame Chadmar, et là… Nynaeve Sedai, je ne veux pas aggraver les ennuis de ma maîtresse, et…

— Elle l’a fait torturer, abrégea Nynaeve. Loral, je n’ai pas de temps à perdre, et je ne suis pas là pour chercher des preuves contre ta maîtresse. Quant à ta loyauté, je n’en ai rien à faire. Les enjeux sont bien plus importants que ça. Réponds à ma question.

— Oui, Aes Sedai… Nous savons tous ce qui s’est passé. Confier au bourreau un messager du roi ne paraît pas correct. Surtout cet homme-là. Abîmer un visage pareil, sans parler du reste…

— Tu sais où est le donjon et où je peux trouver le bourreau ?

Loral hésita puis acquiesça à contrecœur. Parfait, elle ne comptait pas garder des informations pour elle.

— Allons-y, dans ce cas.

— Pardon ?

— Au donjon. Si Milisair Chadmar est une femme avisée, il ne doit pas se trouver dans son domaine.

— Il est assez loin d’ici, dans le Festin des Mouettes. Tu veux y aller ce soir ?

— Oui. Enfin, sauf si je décide d’aller voir le bourreau chez lui.

— Il vit dans son donjon, Aes Sedai.

— Alors, on y va.

Loral n’avait guère le choix. Nynaeve l’autorisa à aller s’habiller, à condition qu’un soldat l’accompagne.

Un peu plus tard, Nynaeve, ses trois hommes, Loral et les quatre serviteurs – histoire qu’ils n’aillent pas bavasser partout – sortirent de la demeure.

Les cinq employés faisaient grise mine. Sans doute croyaient-ils aux rumeurs sur les dangers qui rôdaient la nuit.

Nynaeve n’était pas dupe. Certes, les nuits n’étaient pas sûres, mais les jours ne valaient guère mieux. S’ils n’étaient pas pires. La nuit, avec moins de gens dehors, il arrivait plus rarement que quelqu’un voie son corps se couvrir d’épines, prendre feu ou être détruit d’une autre façon horrible.

En s’éloignant du fief de Rand, Nynaeve marcha d’un pas confiant, histoire d’empêcher les autres de céder à la frousse. Après avoir salué les soldats, au portail, elle tourna dans la direction que lui indiqua Loral. Sous la chiche lumière de la lune, presque cachée par les nuages, les semelles firent un boucan d’enfer sur les trottoirs bancals.

Nynaeve ne pouvait pas s’offrir le luxe de douter de son plan. Elle avait opté pour une façon de faire, et jusque-là, ça se passait plutôt bien.

Bien sûr, Rand lui sortirait peut-être un sermon parce qu’elle avait réquisitionné des soldats et semé pas mal de troubles. Mais pour voir au fond d’un tonneau d’eau croupie, il fallait remuer avec un bâton. Dans cette affaire, il y avait trop de coïncidences. Alors que Milisair avait capturé le messager des mois plus tôt, celui-ci était mort peu avant que Rand demande à le voir. Et ce type était la seule personne en ville en possession d’indices sur l’endroit où se cachait Alsalam.

Les coïncidences arrivaient. Parfois, quand deux fermiers se disputaient, c’était par hasard qu’une de leurs vaches mourait dans la nuit… Mais le plus souvent, il y avait anguille sous roche…

Loral guida la petite colonne vers le Festin des Mouettes – également appelé quartier des Mouettes –, un secteur de la ville proche du dépotoir où les pêcheurs déversaient tout ce qu’ils ne pouvaient pas vendre.

Comme la plupart des gens délicats, Nynaeve évitait cette partie de la ville. Son odorat lui rappela pourquoi. Les entrailles de poisson faisaient peut-être un excellent engrais, mais on sentait la puanteur à des rues à la ronde. Les réfugiés eux-mêmes ne s’aventuraient pas dans ce coin.

Le petit groupe marcha longtemps. Quoi d’étonnant ? Assez logiquement, le quartier chic de la ville était le plus loin possible du Festin.

Alors que ses compagnons, à l’exception des soldats, se massaient autour d’elle, morts de peur, l’ancienne Sage-Dame avança d’un pas décidé et sans prêter d’attention au décor.

Main sur la poignée de leur épée recourbée, les hommes de Bashere tentaient de voir dans toutes les directions en même temps.

Nynaeve aurait voulu avoir des nouvelles de la Tour Blanche. Depuis quand ne savait-elle plus rien sur Egwene et les autres ?

Elle se sentait comme aveugle… Si elle était avec Rand, c’était sa faute à elle. Exclusivement. Certes, il fallait que quelqu’un le garde à l’œil, mais ça revenait à ne plus pouvoir observer quiconque d’autre. La tour était-elle toujours désunie ? Egwene portait-elle encore l’étole ?

Les rumeurs qui couraient dans les rues n’avançaient à rien. Pour chaque nouveau récit, il y en avait vite trois qui le contredisaient – au minimum.

La Tour Blanche se déchirait. Non, elle combattait les Asha’man. Non, les sœurs avaient été massacrées par les Seanchaniens. Ou par le Dragon Réincarné.

Des fantaisies répandues par la tour afin de forcer ses adversaires à se détruire les uns les autres.

Sur Elaida et Egwene, on disait fort peu de choses. Pourtant, on murmurait qu’il y avait bien deux Chaires d’Amyrlin.

Peu fiable, ça… Aucun des deux groupes d’Aes Sedai n’aurait laissé filtrer des rumeurs sur une seconde Chaire d’Amyrlin. Et si les sœurs se laissaient aller à trop bavarder, ça finirait par leur nuire à toutes.

Loral s’immobilisa enfin. Les quatre domestiques firent de même, tous arborant un air sinistre.

— Et maintenant ? demanda Nynaeve à Loral.

— Là, Nynaeve Sedai…

La gouvernante désigna un bâtiment, de l’autre côté de la rue.

— La boutique du marchand de bougies ?

— C’est ça.

Nynaeve fit signe à un des soldats aux jambes arquées.

— Toi, surveille ces cinq-là, et fais en sorte qu’ils se tiennent tranquilles. Les deux autres, avec moi.

Nynaeve avança. N’entendant aucun bruit de pas dans son dos, elle se retourna, sourcils froncés. Les trois gardes fixaient l’unique lanterne, se maudissant de ne pas en avoir emporté deux.