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Donc, Rand avait envisagé cette possibilité. Pourtant, il n’y avait toujours aucune preuve que ces hommes ne mentaient pas. S’il y avait un secret à cacher, ils l’avaient enterré très profondément.

L’ancienne Sage-Dame décida de changer d’approche.

— Qu’avez-vous découvert sur l’endroit où est le roi ?

Jorgin soupira.

— Comme je l’ai dit aux hommes du Dragon – et à dame Chadmar, avant qu’elle vienne résider chez moi –, ce messager savait quelque chose, mais il refusait de parler.

— Tu plaisantes ? fit Nynaeve en jetant un coup d’œil au coffre plein d’instruments de torture.

Pour ne pas exploser, elle dut détourner très vite le regard.

— Un homme de ta compétence n’a rien pu lui… arracher ?

— Que le Ténébreux m’emporte si c’est faux ! (Jorgin s’empourpra comme si son honneur était en jeu.) Je n’ai jamais vu un homme résister ainsi. Un mignon dans son genre aurait dû craquer avec un minimum d’encouragements. Mais rien à faire. Il parlait de tout, sauf du sujet qui nous intéressait. Aes Sedai, j’ignore comment il faisait. Crois-moi, je n’ai jamais vu ça. On aurait dit qu’une force invisible contrôlait sa langue. À propos du roi, il ne pouvait rien dire, même s’il en avait eu envie.

Les deux autres tortionnaires marmonnèrent entre eux, effrayés. Apparemment, la question de Nynaeve avait fait mouche.

— Donc, tu l’as trop « encouragé », et il est mort.

— Assez, femme ! Par le sang et les fichues cendres ! Je ne l’ai pas tué ! Mais les gens meurent, de temps en temps.

Nynaeve commençait à croire Jorgin. Ce type était du genre qui aurait dû passer dix ans à faire des corvées sous la surveillance d’une Sage-Dame. Mais là, il ne mentait pas.

Bref, le plan génial tombait à l’eau.

Nynaeve se leva, soudain consciente d’être épuisée. Misère… Ce plan raté n’inciterait pas Rand à écouter ses conseils. En revanche, il risquait de piquer une colère. Après un peu de sommeil, elle trouverait peut-être une idée pour lui montrer qu’elle était dans son camp.

Très lasse, elle fit signe aux soldats de faire remonter dans la boutique les trois voyous et l’apprenti. Ensuite, elle tissa des flux d’Air pour sceller la porte de la geôle où croupissait dame Chadmar. Très vite, elle ferait en sorte que les conditions de détention de la conseillère s’améliorent. Si méprisable qu’elle fût, elle ne méritait pas d’être traitée ainsi. Quand elle en parlerait à Rand, il faudrait qu’il comprenne. Pâle comme une morte, Milisair aurait pu être en train d’agoniser des spasmes blancs.

Par acquit de conscience, Nynaeve approcha du judas et tissa une sonde mentale pour s’assurer que la conseillère n’était pas malade.

Presque aussitôt, l’ancienne Sage-Dame se figea. Elle s’attendait à de l’épuisement chez Milisair Chadmar. À une maladie ou à de la malnutrition.

Pas à découvrir qu’on l’empoisonnait.

Sa fatigue oubliée, Nynaeve ouvrit la porte de la cellule et entra. Avec la sonde, découvrir la vérité fut un jeu d’enfant : des feuilles de tachrot. Un jour, elle avait dû en donner à un chien qu’il fallait euthanasier. Une plante assez courante, avec un goût très amer. Pas le meilleur poison, à cause de sa saveur épouvantable… Difficile à administrer.

Oui, un mauvais poison. Sauf quand la victime, emprisonnée, ne pouvait pas refuser la nourriture qu’on lui servait.

Avec les Cinq Pouvoirs, Nynaeve élimina le poison et redonna des forces à Milisair. Une guérison pas trop compliquée, parce que les feuilles de tachrot n’étaient pas particulièrement puissantes. Pour tuer, il fallait en utiliser beaucoup – comme elle avec le chien –, ou en administrer souvent par plus petites quantités. En procédant ainsi, cependant, la mort semblait naturelle.

Dès que Milisair fut tirée d’affaire, Nynaeve sortit de la cellule.

— Arrêtez ! cria-t-elle aux hommes. Jorgin !

Dernier à s’engager sur l’échelle, Lurts se retourna, très surpris. Puis il saisit Jorgin par le bras et le tira en arrière.

— Qui prépare les repas des prisonniers ? demanda Nynaeve.

— Les repas ? C’est une des tâches de Kerb.

— Kerb ?

— L’apprenti… Un moins-que-rien que nous avons trouvé parmi les réfugiés, il y a quelques mois. Un coup de chance. Notre dernier apprenti s’est enfui, et celui-là était déjà formé à…

Nynaeve intima le silence au tortionnaire.

— Le gamin ? Où est-il ?

— Il était…, commença Lurts. Il suivait…

En haut, dans la boutique, il y eut du raffut. Hors d’elle, Nynaeve cria à Triben de s’assurer du gamin. Puis elle fonça vers l’échelle et la gravit.

Suivie par le globe lumineux, elle déboula dans la boutique. L’air perdu, les deux voyous se tenaient au centre de la pièce, et Triben les menaçait avec son épée. Du regard, il interrogea sa chef.

— Le gamin ! répéta-t-elle.

Triben regarda la porte grande ouverte de la boutique. Tissant des flux d’Air, Nynaeve se précipita dans la rue.

Là, elle découvrit Kerb, maintenu à terre par les quatre joueurs de dés. Alors qu’elle approchait, ils le remirent sur ses pieds, se jouant de sa résistance.

Le troisième soldat, épée au poing, s’immobilisa à quelques pas de la porte. À l’évidence, il comptait entrer, pour voir si l’Aes Sedai avait besoin d’aide.

— Il est sorti en trombe, Aes Sedai, expliqua un des serviteurs. On aurait dit qu’il avait le Ténébreux à ses trousses. Pendant que ton soldat fonçait vers la boutique, on a cru bon d’intercepter ce garçon. Juste au cas où…

Nynaeve expira à fond pour se calmer.

— Vous avez bien fait…, souffla-t-elle. (À présent, le gamin se défendait faiblement.) Oui, vous avez très bien fait…

33

Une conversation avec le Dragon

— Il vaut mieux que ce soit important, grogna Rand.

Nynaeve se retourna et vit que le Dragon Réincarné se tenait sur le seuil du salon. Vêtu d’une robe de chambre rouge foncé, des dragons noirs brodés sur les manches, il cachait son moignon sous les plis de la gauche. Bien qu’ayant les cheveux en bataille au sortir du lit, il avait déjà l’œil vif.

Il avança, régalien. Même longtemps après minuit, réveillé en sursaut, il marchait comme un homme absolument sûr de lui-même. Un serviteur ayant apporté de l’infusion, il se servit une tasse tandis que Min entrait à son tour dans la salle. Elle aussi portait une robe de chambre – un vêtement très prisé des Domani –, la sienne étant en soie jaune. Un modèle bien plus léger que celui de Rand.

Des Promises prirent position près de la porte, assises sur les talons à leur façon si particulière et si… menaçante.

Rand but une gorgée d’infusion. En lui, il était de plus en plus difficile de voir le garçon que Nynaeve avait connu à Champ d’Emond. Sa mâchoire avait-elle jamais témoigné d’une pareille détermination ? Avait-il un jour marché avec une telle assurance, sa seule présence intimidante ? Cet homme était presque une… variation sur le Rand qu’elle avait connu. Ou une statue sculptée pour lui ressembler, mais en exagérant les caractéristiques héroïques.

— Qui est-ce ? demanda-t-il, de plus en plus impatient.

Kerb, le jeune apprenti, était assis sur un des bancs rembourrés de la pièce. Saucissonné avec des flux d’Air, il n’aurait pas pu bouger un cil.

Nynaeve le regarda, puis elle s’unit à la Source et tissa un dôme de silence.

— Tu canalises ? grogna Rand, mécontent.

Quand Nynaeve ne prenait pas de précautions, il s’apercevait qu’elle utilisait le saidar. Selon Egwene et Elayne, ça lui donnait la chair de poule.