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Elle regarda Mat, l’air un peu gênée. À cause de Tuon, soupçonna-t-il.

— Et ces chiffres ? ajouta Mat en s’efforçant d’ignorer le curieux malaise.

— L’évaluation des fournitures…

Aludra posa son marteau et inspecta soigneusement sa fleur nocturne. Puis elle hocha la tête à l’intention de Leilwin.

Une évaluation très élevée, constata Mat. Une montagne de charbon, du soufre et… de la fiente de chauve-souris ? Sur la liste, il était précisé qu’une ville en produisait à foison, dans les contreforts septentrionaux des montagnes de la Brume. Quelle cité pouvait vivre en collectant de la fiente de chauve-souris ?

Aludra avait aussi besoin de cuivre et de fer-blanc, mais là, pour une raison inconnue, aucun chiffre n’était mentionné. À la place, on trouvait un astérisque.

Mat secoua la tête… Qu’aurait pensé le peuple en apprenant que les magnifiques fleurs nocturnes n’étaient qu’un mélange de poudre, de soufre et – cerise sur le gâteau ! – de fiente de chauve-souris ? Pas étonnant que les Illuminateurs soient jaloux de leurs secrets de fabrication. Ce n’était pas seulement pour interdire toute concurrence. Plus on en apprenait sur les feux du ciel, et moins fascinants ils devenaient.

— Ça fait beaucoup de matériel, dit Mat.

— Matrim Cauthon, tu m’as demandé un miracle…, rappela Aludra.

Elle tendit la fleur nocturne à Leilwin et prit son écritoire, ajoutant quelques données sur une feuille.

— Ce miracle, je l’ai transformé en une liste de matières premières. En soi, c’est déjà miraculeux, non ? Quand une femme t’offre le soleil dans le creux de ses paumes, ne te plains pas de la chaleur.

— Ton miracle, on dirait surtout que c’est un gouffre financier, marmonna Mat. Les chiffres, ce sont des prix ?

— Je ne suis pas comptable… Des estimations, rien de plus. Les calculs, je les ai faits de mon mieux, mais l’évaluation du résultat définitif devra être laissée aux bons soins de vrais professionnels. Le Dragon Réincarné, lui, ne lésine pas sur l’or.

Leilwin dévisagea Mat avec une étrange expression. À cause de Tuon, elle avait changé, ses rapports avec Mat évoluant – mais pas comme il l’espérait, cela dit.

Bien entendu, la simple mention de Rand fit apparaître les fameuses couleurs, mais il les chassa impitoyablement.

Le Dragon Réincarné pouvait sans doute encaisser des coûts pareils. Pour Mat, c’était hors de question. Pour gagner tant d’argent, il aurait dû jouer aux dés avec la reine d’Andor.

Mais c’était le problème de Rand. Quand il devrait le résoudre, il apprécierait peut-être à leur juste valeur les efforts de son vieil ami.

— Le coût de la poudre n’est pas mentionné non plus, fit remarquer Mat. Et pour ce projet, combien te faudra-t-il de fondeurs de cloche ?

— Tous ceux que tu trouveras… N’est-ce pas ce que tu m’as promis ? Tous les fondeurs entre Andor et Tear…

— Oui, c’est ça…, grogna Mat.

Jamais il n’aurait cru qu’elle le prendrait au mot.

— Le cuivre et le fer-blanc ? Pourquoi n’y a-t-il aucune estimation ?

— Parce qu’il me faut tout.

— Comment ça, « tout » ?

— Tout, répéta simplement Aludra, comme si elle demandait un peu plus de confiture de mûre dans ses flocons d’avoine. Chaque morceau de cuivre et de fer-blanc qu’on peut trouver de ce côté de la Colonne Vertébrale du Monde. (Elle hésita.) Ça te semble trop ambitieux ?

— Et comment, oui !

— Pourtant, si on réfléchit… Supposons que le Dragon contrôle Caemlyn, Cairhien, Illian et Tear. S’il me donnait accès à toutes les mines et à tous les marchands de métaux de ces capitales, ce serait suffisant.

— Tous les marchands de métaux ?

— Oui.

— Dans quatre mégalopoles du continent ?

— Oui.

— Et tu daignes croire que ce serait suffisant.

— C’est ce que je viens de dire, Mat Cauthon.

— Parfait. Je vais voir ce que je peux arranger… Tant qu’on y est, tu aimerais que le maudit Ténébreux vienne cirer tes chaussures chaque soir ? On pourrait aussi exhumer Aile-de-Faucon et le faire danser pour toi.

À la mention d’Aile-de-Faucon, Leilwin foudroya le jeune flambeur du regard.

Quand elle eut fini de prendre ses notes, Aludra se tourna enfin vers Mat.

— Mes dragons seront un bien précieux pour un guerrier. Tu prétends que ce que je demande est infaisable ? Non, c’est indispensable, tout bêtement.

— Je ne mentirais pas en disant que cette réaction me surprend. Le catastrophisme est ton meilleur ami, dirait-on.

— Mauvaise pioche ! Je le connais à peine. Une lointaine relation, tout au plus. Je t’en donne ma parole !

Cette tirade arracha un grognement à Bayle Domon. De l’amusement ou de l’humour noir ? Mat aurait pu le dire en regardant Bayle, mais il préféra soutenir le regard d’Aludra. Dans les yeux de l’Illuminatrice, il vit qu’il avait été bien trop rustre avec elle, ces derniers temps. Peut-être parce qu’il était mal à l’aise. Un peu, en tout cas. Avant l’arrivée de Tuon, ils étaient très… proches.

Était-ce du chagrin qu’il voyait dans les yeux d’Aludra ?

— Désolé, dit-il. Je n’aurais pas dû te parler comme ça.

L’illuminatrice haussa les épaules.

— Écoute, insista Mat, je sais que… Eh bien, avec Tuon, ça s’est…

Agitant une main, Aludra interrompit le jeune flambeur.

— Ce n’est rien… J’ai encore mes dragons… Le reste n’a plus d’importance, et je te souhaite tout le bonheur possible.

— Eh bien…, commença Mat. (Il se gratta le menton, hésitant.) Aludra, je dois pouvoir nous tirer de ce mauvais pas. Mais tu as vraiment demandé trop de matériel.

— Les fondeurs et le matériel, dit Aludra, sont ce qu’il me faut pour… survivre. Rien de plus ni de moins. Sans ressources, j’ai fait tout ce que j’ai pu… Et je continuerai les essais pendant des semaines. Pour ça, nous devrons faire fabriquer un prototype. Ça te laissera le loisir de nous procurer le reste de la liste. Mais tout ça prendra du temps, et tu refuses toujours de me dire quand les dragons seront indispensables.

— Aludra, comment te confier les choses que je ne sais pas moi-même ?

Mat jeta un coup d’œil vers le nord. On eût dit qu’il avait mordu à l’hameçon, et qu’une canne géante le tirait doucement – mais sans répit – hors de l’eau.

Rand, c’est toi qui me fais ça ? Que la Lumière te brûle !

Les couleurs tourbillonnèrent, comme de juste.

— Mais c’est pour bientôt, Aludra… Il reste peu de temps…

L’Illuminatrice hésita, comme si elle sentait quelque chose dans la voix du jeune homme.

— Si nous en sommes là, dit-elle, mes exigences ne sont pas si extravagantes que ça, j’imagine ? Le monde approchant de la guerre, les forges seront bientôt réquisitionnées pour fabriquer des têtes de flèche et des fers à cheval. C’est maintenant qu’il faut les faire travailler sur mes dragons. Crois-moi sur parole : au combat, chacune de mes créations vaudra au minimum mille hommes.

Mat salua Aludra en tirant sur la pointe de son chapeau.

— Tout est parfait, dans ce cas. Marché conclu. Si Rand ne me carbonise pas sur pied en entendant tes demandes, je ferai mon possible pour toi.

— Pour commencer, grogna Leilwin avec son accent traînant du Seanchan, tu pourrais te montrer respectueux avec maîtresse Aludra. Au lieu de la traiter avec tant de légèreté.

— Tout ce que j’ai dit venait du cœur… Enfin, surtout mes toutes dernières phrases… Tu ne vois donc pas quand un homme est sincère ?

Leilwin dévisagea Mat, comme pour chercher à savoir s’il se payait sa tête. Le jeune flambeur roula de gros yeux. Les femmes, décidément !

— Maîtresse Aludra est brillante, lâcha Leilwin. Tu ne mesures pas le cadeau qu’elle te fait. Si l’Empire disposait de ces armes…