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— Donc, tu as le droit de porter une épée au héron ?

Rand secoua la tête.

— Il n’y avait pas de témoin… Mat et Hurin se battaient ailleurs… Ils m’ont vu après le duel, mais sans pouvoir attester ma victoire.

— Qu’importent les témoins ! s’écria Nynaeve. Celui qui tue un maître de la lame en devient un. Qu’on l’ait vu faire ou non ne compte pas.

— Nynaeve, on porte une épée au héron pour être vu par les autres. Sinon, pourquoi en arborer une ?

L’ancienne Sage-Dame ne répondit pas. Devant eux, à l’entrée de Falme, les Seanchaniens avaient installé un pavillon aux rayures noires et blanches. À première vue, des centaines de sul’dam et de damane protégeaient la grande structure de toile dépourvue de cloisons.

Comme d’habitude, les damane étaient en robe grise et les sul’dam portaient leur tenue rouge et bleu ornée d’éclairs sur le devant. Pour sa part, Rand avait amené peu de personnes capables de canaliser. Nynaeve, trois Matriarches, Corele, Narishma et Flinn. Une petite partie de ses forces, même sans compter sur les troupes cantonnées à l’est.

Venir avec une garde symbolique était une très bonne décision. Ainsi, les Seanchaniens sauraient qu’il cherchait pour de bon la paix. Et si la réunion tournait à la rixe, le seul espoir, de toute façon, serait de fuir via un portail. Ou de réussir à arrêter les hostilités.

La figurine de l’homme à la sphère pendait à sa selle. Avec cet artefact, il pourrait vaincre cent damane. Deux cents, même, estima-t-il en se souvenant du Pouvoir qu’il avait dû manier pour purifier le saidin. Une force suffisante pour faire sortir des villes de terre et détruire tous ceux qui se dresseraient sur son chemin.

Non, on ne devrait pas en arriver là ! Il ne pouvait pas s’offrir le luxe que ça se produise. À coup sûr, les Seanchaniens savaient que l’attaquer provoquerait une catastrophe.

Rand acceptait encore de les rencontrer, alors qu’un agent infiltré parmi eux avait tenté de le capturer puis de le tuer. Ils ne douteraient pas de sa sincérité.

Et s’ils en doutaient quand même ? Rand tendit une main et saisit la clé d’accès. Juste au cas où, il la fourra dans sa poche surdimensionnée.

Ensuite, il inspira à fond, se calma et sonda le vide, en lui, où se nichait le Pouvoir de l’Unique.

La nausée et le vertige menacèrent de lui faire vider les étriers. Il vacilla, les jambes serrant les flancs de Tai’daishar et la main droite faisant pression sur la clé, dans sa poche.

Dans le tréfonds de son esprit, Lews Therin se réveilla. Aussitôt, il tenta de s’emparer du Pouvoir. Au terme d’un combat désespéré, Rand finit par gagner. Ouvrant les yeux, il constata qu’il était affalé sur sa selle. Comme trop souvent, il marmonnait entre ses dents.

— Rand ? appela Nynaeve.

Le jeune homme se redressa. Il était bien Rand, non ? Parfois, après une rixe comme celle-là, il avait du mal à se rappeler qui il était. Avait-il enfin poussé Rand, cet intrus, dans une cellule, afin de redevenir Lews Therin ?

La veille, il s’était réveillé à midi, recroquevillé dans un coin de ses appartements, en train de pleurnicher au sujet d’Ilyena. Dans ses paumes, il sentait encore la douceur des longs cheveux de sa bien-aimée. Le long de son corps, il gardait la mémoire du sien. Ilyena qu’il avait vue morte à ses pieds, foudroyée par le Pouvoir.

Qui était-il ?

Quelle importance, au fond ?

— Rand, ça va ?

— Nous allons très bien, répondit-il, s’avisant trop tard qu’il utilisait le pluriel.

Sa vue restait un peu floue, mais elle se rétablissait. Tout était légèrement distordu, comme toujours depuis la bataille où Semirhage lui avait pris une main. Une perte qu’il ne remarquait presque plus.

Une fois redressé, il puisa un peu de Pouvoir supplémentaire dans la clé, se gorgeant de saidin. Quelle extase, malgré la nausée ! Tenté de puiser encore, il parvint à se retenir. En lui, il y avait déjà plus de Pouvoir qu’un homme aurait dû en contenir sans aide. Il faudrait que ça suffise.

Nynaeve baissa les yeux sur la figurine. Le globe luisait faiblement.

— Rand…

— Je me suis fait une petite réserve, juste au cas où…

Plus une personne absorbait de Pouvoir, et moins il était facile de l’isoler de la Source avec un bouclier. Si les damane tentaient de le capturer, elles seraient surprises par sa résistance. Dans son état, il aurait même ses chances contre un cercle complet.

— On ne me fera plus prisonnier, souffla-t-il. Plus jamais ! Ces femmes ne me prendront pas par surprise.

— Si on faisait demi-tour ? proposa Nynaeve. Rand, nous ne sommes pas obligés de les rencontrer sur leur terrain. C’est…

— On reste. Nous traiterons avec eux ici et maintenant.

Devant lui, il voyait une silhouette assise dans un fauteuil, sous le pavillon. En face, de l’autre côté d’une table, on avait placé un second fauteuil, à la même hauteur. Une surprise, ça… D’après ce qu’il savait, il fallait revendiquer pour être traité d’égal à égal par un membre du Sang.

Était-ce la Fille des Neuf Lunes ? Cette gamine ?

En approchant, Rand vit qu’il ne s’agissait pas d’une enfant, mais d’une très petite femme. En tenue noire, elle avait la peau sombre, comme celle d’une Atha’an Miere. Sur ses joues, des traînées grises faisaient penser à des cendres. À deuxième vue, elle semblait avoir plus ou moins l’âge de Rand.

Prenant une grande inspiration, le jeune homme mit pied à terre. L’heure était venue d’en finir avec la guerre.

Le Dragon Réincarné était un jeune homme. Tuon en avait été informée, mais ça ne l’en surprenait pas moins.

Pourquoi cette réaction ? Les conquérants étaient souvent très jeunes. Artur Aile-de-Faucon lui-même, le père de l’Empire, avait entrepris ses conquêtes tôt dans sa vie.

Les conquérants, ceux qui dominaient le monde, se consumaient très vite, comme une chandelle qui brûle par les deux bouts.

En tenue noire, le Dragon arborait de rares broderies rouge et or. Les boutons de sa veste brillant comme autant de petits soleils, il descendit de selle et avança vers le pavillon. À part les broderies sur ses poignets – des décorations qui soulignaient l’absence de sa main gauche –, Rand al’Thor ne portait aucun ornement. Comme s’il voulait que ses interlocuteurs se concentrent sur son visage.

Les cheveux couleur d’un coucher de soleil, il avançait d’un pas régalien, les yeux rivés devant lui. Tuon avait été formée à cette démarche, typique de quelqu’un qui n’avait pas l’intention de faire de quartier. Mais qui avait appris ça à cet homme ? Très probablement, les meilleurs précepteurs avaient dû le préparer à son destin de roi et de chef. Pourtant, on prétendait qu’il avait grandi dans une ferme. Une fable destinée à augmenter sa popularité auprès des humbles ?

Une marath’damane l’accompagnait, marchant sur son flanc gauche. Cette femme portait une robe à la couleur du ciel, avec des broderies semblables à des nuages. Les cheveux nattés, elle exhibait une impressionnante collection de bijoux criards. Mécontente pour une raison inconnue, elle faisait la moue, le front plissé.

Tuon en frissonna. Après son voyage avec Matrim, on aurait pu croire qu’elle s’était faite aux marath’damane, mais il n’en était rien. Contre nature, ces femmes étaient dangereuses.

Face à une damane sans collier, Tuon se sentait aussi mal à l’aise que lorsqu’un serpent s’enroulait autour de sa cheville, sa langue fourchue lui titillant la peau.

Si la marath’damane était inquiétante, que dire des deux hommes qui marchaient sur l’autre flanc du Dragon ? À peine sorti de l’enfance, l’un d’eux portait des tresses où pendaient des clochettes. L’autre, cheveux blancs et visage buriné, était quasiment un vieillard. Malgré la différence d’âge, tous les deux marchaient comme des guerriers habitués à la violence.