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Tuon se demanda ce qui lui arrivait. Comme si un poids comprimait sa poitrine, elle respirait mal. Quoi qu’elle fasse, elle ne pourrait rien contre la volonté du Dragon.

Al’Thor avait l’air sinistre. Malgré la lumière de l’après-midi, son visage était bien plus sombre que tout ce qui se trouvait sous le pavillon. Alors qu’il interdisait aux yeux de Tuon de se détourner des siens, elle sentit son souffle devenir de plus en plus court. Du coin de l’œil, elle eut l’impression de voir quelque chose autour de lui. Un halo d’obscurité, qui distordait l’air comme une intense chaleur.

La gorge serrée, Tuon sentit que des mots s’y formaient.

Oui, oui… Je ferai ce que tu me demandes. Il le faut.

— Non, souffla Tuon.

Le Dragon se rembrunit, sa main appuyant plus fort sur la table, comme s’il voulait la traverser. Les dents serrées, les yeux grands ouverts, il dégageait une telle… intensité.

— J’ai besoin…, commença-t-il.

— Non, répéta Tuon d’un ton plus assuré. Tu t’inclineras devant moi, Rand al’Thor. L’inverse n’aura jamais lieu.

Quelle obscurité ! Comment un homme pouvait-il en abriter tellement ? Son ombre semblait aussi grande que celle d’une montagne.

Tuon ne pouvait pas s’allier avec un tel… monstre. La haine qui vibrait en cet être lui inspirait de la terreur – une émotion qui lui était étrangère. Cet homme ne pouvait pas être laissé libre d’agir à sa guise. Il fallait le contrôler.

— Très bien, dit-il au bout d’un moment, la voix glaciale.

Il se détourna et s’en fut sans regarder derrière lui. Sa suite lui emboîta le pas. Tous ces gens, y compris la marath’damane à la longue natte, semblaient troublés. Comme s’ils ne connaissaient pas plus que Tuon la véritable nature de l’homme qu’ils suivaient si fidèlement.

Haletante, la Fille des Neuf Lunes le regarda s’éloigner. Elle devait se ressaisir, et ne pas montrer à quel point elle était remuée. Personne ne saurait jamais qu’elle avait eu peur du Dragon pendant quelques minutes.

Elle le suivit des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse derrière une colline. Les mains toujours tremblantes, elle ne se sentait pas de parler…

Pendant qu’elle reprenait son calme, personne ne dit un mot. Parce que les autres étaient aussi traumatisés qu’elle ? Ou sentaient-ils son malaise ?

Un très long moment après le départ précipité d’al’Thor, Tuon se leva. Puis elle balaya du regard tous les membres du Sang présents.

— Je suis l’Impératrice, dit-elle d’un ton égal.

Comme un seul, tous les témoins tombèrent à genoux puis se prosternèrent. Oui, même les membres du Haut Sang.

C’était la seule cérémonie requise.

À Ebou Dar, il y aurait un couronnement avec des processions, des défilés et des audiences. Sur son trône, Tuon devrait accepter les serments d’allégeance de tous les membres du Sang. Selon la tradition, elle aurait le droit d’exécuter de sa main, sans motiver son geste, tous les gens qui lui avaient déplu – par exemple en s’étant opposés à son accession au trône.

Oui, des festivités il y en aurait pléthore. Mais la vraie cérémonie, c’étaient les mots prononcés par Tuon, une fois la période de deuil révolue.

Dès qu’elle fit signe à l’assistance de se lever, les réjouissances commencèrent. Ils dureraient toute une semaine – une perte de temps obligatoire.

Le monde avait besoin d’une Impératrice. Dès cet instant, tout allait changer.

Alors que les da’covale se redressaient puis entonnaient les chants rituels, Tuon approcha du général Galgan.

— Transmets mon ordre au général Yulan, souffla-t-elle. Dis-lui de se préparer à attaquer les marath’damane de Tar Valon. Nous devons frapper sans tarder le Dragon Réincarné. Ce fou ne doit pas gagner plus de pouvoir qu’il en a déjà.

36

La mort de Tuon

— J’ai commencé mon voyage en Tear, dit Verin en s’asseyant dans le fauteuil en noyer de Mat.

Son meilleur, avec un joli coussin brun-roux.

Main sur le pommeau de son épée, Tomas vint se camper derrière son Aes Sedai.

— Mon but était de rallier Tar Valon.

— Alors, comment as-tu fini ici ? demanda Mat.

Toujours soupçonneux, il prit place sur un banc lui aussi muni de coussins. Il détestait ces trucs. S’asseoir confortablement dessus tenait de l’exploit, et les coussins n’arrangeaient rien. Parfois, ils rendaient même le siège plus désagréable. À coup sûr, le maudit banc avait dû être conçu par un Trolloc fou et fabriqué avec des ossements de damnés.

La seule explication raisonnable…

Mat se tortilla et faillit demander qu’on apporte un autre fauteuil, mais Verin ne semblait pas disposée à attendre.

Le premier debout les bras croisés et le second assis à même le sol, Mandevwin et Talmanes étaient présents sous la tente. En face d’eux, Thom étudiait Verin avec un regard calculateur.

En principe, la tente d’audience du jeune flambeur était réservée à de courtes réunions entre les officiers. Les plans du « raid » contre Trustair y étant encore à l’air libre, Mat n’avait pas voulu recevoir l’Aes Sedai sous sa tente personnelle.

— Maître Cauthon, sache que je me pose exactement la même question. Comment ai-je fini ici ? Quoi qu’il en soit, ce n’était sûrement pas mon intention. Et pourtant, me voilà.

— Vous parlez comme si c’était un accident, Verin Sedai, dit Mandevwin. Mais il s’agit de centaines de lieues d’écart.

— De plus, intervint Mat, tu peux Voyager. Si tu voulais vraiment retourner à la Tour Blanche, pourquoi ne pas avoir ouvert un portail ?

— Une très bonne question, convint Verin. Puis-je avoir un peu d’infusion ?

Mat soupira, se tortilla sur son banc, puis ordonna à Talmanes de prendre l’affaire en main. Le brave homme se leva, passa la tête dehors pour commander la boisson et vint se rasseoir.

— Merci, dit Verin. Je suis assoiffée…

Comme beaucoup de sœurs de l’Ajah Marron, cette femme avait en permanence l’air de penser à autre chose. À cause de ses trous de mémoire, Mat se souvenait à peine de sa rencontre avec elle. Du coup, il l’avait à peine reconnue. Pourtant, il lui semblait se rappeler lui avoir trouvé toutes les caractéristiques d’une érudite.

Aujourd’hui, ses manières lui semblaient… exagérées. À croire qu’elle se servait des idées préconçues sur les sœurs marron comme d’un rideau de fumée. Une sorte de bonimenteuse des rues qui aurait plumé des pigeons en leur faisant le vieux coup du bonneteau.

Verin dévisageait Mat. Mais que signifiait son sourire en coin ? C’était celui d’un prédicateur qui se fichait que vous ayez démonté son baratin. En ayant compris, vous profiteriez mieux du jeu – et ensemble, vous pourriez peut-être rouler une tierce personne.

— As-tu conscience du puissant ta’veren que tu es, jeune homme ?

Mat haussa les épaules.

— Pour ces trucs-là, il n’y a pas meilleur que Rand. Franchement, à côté de lui, je suis un amateur.

Maudites couleurs !

— Je n’aurais pas idée de minimiser l’importance du Dragon, fit Verin, amusée. Mais tu ne dissimuleras pas ta lumière sous son ombre, Matrim Cauthon. Sauf en présence d’aveugles, et encore… À toute autre époque, tu aurais été le plus puissant ta’veren vivant. Voire le plus puissant depuis des siècles.

Mat gigota sur son banc. Par le sang et les cendres ! Il devait avoir l’air d’un crétin. Peut-être valait-il mieux se lever…

— De quoi parles-tu, Verin ? demanda-t-il sans bouger.

Il croisa les bras, faisant de son mieux pour avoir l’air bien installé.

— J’évoque la façon dont tu m’as forcée à traverser la moitié du continent.