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Quand un soldat entra avec une tasse fumante, l’Aes Sedai sourit aux anges. Dès qu’elle eut pris l’infusion à la menthe, l’homme se retira.

— Forcée ? C’est toi qui me cherchais !

— Seulement après avoir découvert que la Trame m’attirait vers un individu. (Verin souffla sur son infusion.) Ça pouvait être toi ou Perrin. Pas Rand, puisque j’avais réussi sans peine à le quitter.

— Rand ? répéta Mat, contraint de bannir de nouveau les fichues couleurs. Tu étais avec lui ?

Verin acquiesça.

— Comment va-t-il ? Je veux dire… enfin, tu me comprends.

— Tu veux savoir s’il est fou ?

Ce fut au tour de Mat d’acquiescer.

— J’en ai peur, oui…, fit Verin avec une moue contrite. Mais il se contrôle encore, je crois…

— Pouvoir de l’Unique de malheur ! s’écria Mat.

D’instinct, il glissa une main sous sa chemise pour toucher la tête de renard.

Verin leva les yeux de sa tasse.

— Matrim, je ne suis pas sûre que tous les problèmes de Rand viennent du Pouvoir. Beaucoup de gens attribuent son caractère lunatique au saidin, mais ça revient à nier tout le poids que nous avons mis sur ses pauvres épaules.

Mat arqua un sourcil et regarda Thom.

— Quoi qu’il en soit, continua Verin, on ne peut pas accuser la souillure de tout, puisqu’elle ne l’affecte plus.

— Sans blague ? Il a renoncé à canaliser ?

— Autant attendre d’un poisson qu’il abandonne la natation… La souillure ne peut plus rien contre lui parce qu’elle n’existe plus. Al’Thor a purifié le saidin.

— Plaît-il ? s’exclama Mat en se levant.

Verin but une gorgée d’infusion.

— Tu es sérieuse ? insista Mat.

— Tout à fait.

Le jeune flambeur regarda de nouveau Thom. Puis il tira sur sa veste et se passa une main dans les cheveux.

— Que fais-tu donc ? demanda Verin, amusée.

— Je n’en sais trop rien, avoua Mat, penaud. Je me tâte pour savoir si je suis différent, ou un truc dans ce genre. Le monde entier change autour de nous, pas vrai ?

— Tu peux le dire, oui ! Moi, je te répondrai que cette purification est plutôt un caillou jeté dans un étang. Pour atteindre la rive, les ondulations mettront un moment…

— Un caillou ? s’étrangla Mat. Un caillou ?

— Un rocher, si tu préfères…

— Une montagne, oui…, marmonna Mat.

Il se rassit sur le banc maléfique.

Verin gloussa discrètement.

Aes Sedai de malheur ! Devaient-elles toujours faire des mystères ? C’était probablement un serment de plus qu’elles prêtaient sans en parler à personne. L’obligation de semer le trouble dans la tête des gens.

— Le sens profond de ce petit rire ? demanda Mat.

— Rien d’important… Bientôt, si je ne me trompe pas, tu auras une idée de ce que j’ai fait durant ce dernier mois.

— À savoir ?

— Il me semble que j’en parlais avant que nous dérivions sur des sujets secondaires.

— La purification de la Source, un sujet secondaire ? Tu veux rire ?

— J’ai vécu des événements très curieux, continua Verin comme si elle n’avait pas entendu la remarque. Tu l’ignores sans doute, mais pour Voyager à partir d’un site, il faut y avoir séjourné un moment. En général, une soirée suffit. En conséquence, après avoir quitté le Dragon, j’ai gagné un petit village et j’ai loué une chambre dans l’unique auberge. Une fois installée, j’ai étudié la pièce avec l’idée d’y ouvrir un portail le lendemain.

» Au milieu de la nuit, l’aubergiste a déboulé. L’air navré, il m’a annoncé que je devais changer de chambre. Une fuite dans le toit, juste au-dessus de la mienne… Avant qu’elle traverse mon plafond, c’était une affaire de minutes. J’ai protesté, mais le type ne m’a pas lâchée.

» Du coup, j’ai traversé le couloir et entrepris d’étudier ma nouvelle chambre. Alors que j’en étais presque au point de pouvoir ouvrir un portail, nouvelle interruption ! Cette fois, l’aubergiste, encore plus navré, m’a expliqué que sa femme, en faisant le ménage, avait égaré sa bague. Réveillée en sursaut, la pauvre semblait bouleversée. L’air épuisé, son mari m’a humblement demandé de déménager encore.

— Et alors ? Des coïncidences, Verin…

L’Aes Sedai arqua un sourcil puis sourit en voyant le jeune flambeur se tortiller de plus belle.

— J’ai refusé, Matrim. À l’aubergiste, j’ai répondu qu’il aurait tout loisir de fouiller la chambre après mon départ. Bien entendu, j’ai promis de ne pas m’approprier la bague, si je la trouvais. Puis j’ai fermé la porte au nez de ce fâcheux. (Verin finit son infusion.) Quelques minutes plus tard, l’auberge a pris feu. Des braises, m’a-t-on expliqué, ont roulé sur le sol et détruit tout le bâtiment. Pas de victimes à déplorer, mais plus d’endroit où coucher. Les yeux rouges de fatigue, Tomas et moi avons dû pousser jusqu’au village suivant pour y louer deux chambres.

— Et alors ? fit Mat. Des coïncidences, toujours…

— Cette affaire a continué pendant trois jours… Chaque fois que je faisais un « repérage », même en plein air, quelque chose m’interrompait. Un voyageur demandant à partager notre camp, un arbre qui s’abattait dessus, un troupeau de moutons en vadrouille voire une minitempête. Systématiquement, des incidents improbables m’empêchaient d’ouvrir un portail.

Talmanes émit un sifflement modulé.

— Dès que je voulais étudier un site, quelque chose tournait mal. Inévitablement, je devais aller ailleurs. Il faut noter un point crucial : si je décidais de ne pas mémoriser un coin, et donc de ne pas y ouvrir de portail, tout se déroulait très bien. Une autre sœur aurait peut-être taillé la route et renoncé à Voyager, mais ce n’est pas mon genre. Entêtée, j’ai entrepris d’explorer l’étrange phénomène. Eh bien, il se répétait avec une régularité de métronome.

Par le sang et les cendres !

C’était le genre de bizarrerie que Rand faisait aux gens, disait-on. Rand, pas Mat…

— Si on t’en croit, tu devrais toujours être en Tear.

— Oui, mais j’ai commencé à sentir une sorte d’appel. Comme si quelqu’un m’attirait… Eh bien, je ne sais pas trop vers où, mais m’attirait, en tout cas.

— Comme si tu avais mordu à l’hameçon ? Assis très loin, le pêcheur te ramenait doucement mais fermement ?…

— C’est ça, oui, fit Verin. Quelle description pertinente !

Mat s’abstint de répondre.

— Du coup, j’ai décidé de voyager de manière plus traditionnelle. Mon incapacité à ouvrir un portail était peut-être due à la présence proche de Rand. Ou à la détérioration de la Trame sous l’influence du Ténébreux.

» Bref, je me suis payé un passage dans une caravane de marchands qui faisait route vers le Cairhien. Ces gens disposaient d’un chariot vide qu’ils voulaient bien louer – assez cher, mais c’était de bonne guerre.

» Épuisée après des nuits à passer d’une auberge à l’autre, puis à ne pas dormir à la belle étoile, j’ai rattrapé mon retard de sommeil, et même beaucoup plus que ça. Et Tomas m’a imitée.

» Une fois réveillés, nous fûmes surpris de constater que la caravane, au lieu d’avancer vers le Cairhien, s’était déroutée vers le nord-ouest. Quand j’ai interrogé le chef du convoi, il m’a révélé qu’un message de dernière minute l’avait informé que sa cargaison se vendrait plus cher au Murandy qu’au Cairhien. En réfléchissant, il a admis qu’il aurait dû essayer de me prévenir, mais qu’il avait eu une sorte de vide mental.

» À ce moment-là, j’ai compris que quelqu’un tirait les ficelles… Mes ficelles, en fait. Peu de gens s’en seraient aperçus, j’imagine, mais j’ai étudié à fond la nature des ta’veren. La caravane n’avait pas fait beaucoup de chemin – un jour de cheval environ. Combiné à la sensation d’attraction, le message était clair.