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En général, on n’utilisait pas ainsi les raken et les to’raken. La tactique standard consistait à déposer les soldats à un point de rendez-vous où les créatures attendraient leur retour, après l’attaque. Mais ce raid était trop important. Le plan de Yulan reposait donc sur un assaut plus audacieux comme on en avait rarement vu dans l’histoire.

Des to’raken, avec des damane et des sul’dam comme passagères, attaqueraient depuis les airs. Peut-être les débuts d’une nouvelle et brillante tactique.

Ou les prémices d’un désastre.

— Nous avons tout changé, dit Fortuona. Le général Galgan se trompe. Ça ne mettra pas le Dragon Réincarné dans une moins bonne position pour négocier. Ça le retournera contre nous.

— Ce n’était pas déjà le cas ? demanda Selucia.

— Non. Avant, c’est nous qui étions contre lui.

— Et ça fait une différence ?

— Oui. Et nous verrons bientôt de quelle taille elle est.

37

Une force de Lumière

Assise confortablement, Min regardait Rand s’habiller. Comme ceux d’un funambule qui avance sur une corde, dans un spectacle, ses gestes étaient à la fois précis et précautionneux. Très lentement, il replia le poignet gauche de sa chemise blanche. Le droit était déjà en place, ses serviteurs s’en étaient assurés.

Dehors, la nuit tombait. Par anticipation, les volets étaient déjà fermés.

Rand prit une veste or et noir et l’enfila. Puis il la boutonna – de la main droite, bien entendu. Et sans difficulté, car il s’habituait à n’avoir qu’une main…

En le regardant faire, véritable parangon de rigueur et de lenteur, Min eut envie de hurler.

— Tu veux en parler ? demanda-t-elle.

Rand ne se détourna pas du miroir.

— De quoi ?

— Des Seanchaniens.

— Il n’y aura pas de paix, fit le Dragon en rectifiant la position du col de sa veste. J’ai échoué.

Un ton parfaitement glacial. Mais un peu tendu.

— C’est normal d’être frustré, Rand.

— La frustration, on s’en fiche ! Même chose pour la colère. Aucune de ces émotions ne peut changer les faits. La réalité, c’est que je n’ai plus de temps à perdre avec les Seanchaniens. Faute de stabilité en Arad Doman, pendant l’Ultime Bataille, nous risquerons d’être pris à revers. C’est loin d’être idéal, mais il faudra faire avec.

Au-dessus de Rand, l’air ondula puis une montagne apparut. Autour de son bien-aimé, les visions étaient si fréquentes que Min se forçait à les ignorer, sauf quand elles étaient nouvelles. Cela dit, à intervalles réguliers, elle passait pas mal de temps à essayer de les récapituler toutes et de les trier.

La montagne étant une nouveauté, elle retint l’attention de la jeune femme. Le gigantesque mont était éventré sur un côté, où béait un trou au contour déchiqueté. Le pic du Dragon ? Peu probable, puisque le sommet était occulté par des nuages noirs. D’habitude, il perçait la couverture nuageuse…

Le pic du Dragon noyé dans les ombres ? Pour l’avenir de Rand, c’était une image importante. Dans ces ténèbres, ne voyait-on pas danser des points lumineux ? Comme des lucioles d’espoir ?

La vision se dissipa. Alors que Min pouvait en interpréter certaines, celle-là l’intriguait.

En soupirant, elle s’adossa au dossier de son fauteuil muni d’un joli coussin rouge. À ses pieds, les livres s’entassaient, formant une sorte de fortification. Ces derniers temps, elle se concentrait sur la lecture. En partie parce qu’elle sentait de l’impatience chez Rand, mais surtout parce qu’elle ne savait pas que faire d’autre.

Min aimait à se penser assez forte pour prendre soin d’elle-même. Depuis le début, elle se considérait comme la dernière ligne de défense de Rand.

Eh bien, elle venait de découvrir ce qu’elle valait, dans ce rôle. Une gamine aurait fait mieux. Pire encore, elle avait été un handicap pour Rand, car Semirhage s’était servie d’elle contre lui.

Quelque temps plus tôt, quand Rand avait envisagé de se séparer d’elle, pour la protéger, elle lui avait passé un savon. La protéger ? Quelle idiotie ! Pour ça, elle n’avait besoin de personne.

Enfin, elle le croyait… Maintenant, elle devait reconnaître que Rand avait raison.

Cette idée la rendait malade… Du coup, elle étudiait, s’efforçant de ne pas traîner dans ses pattes. Depuis ce terrible jour, il avait changé, comme si une lumière s’était éteinte en lui. Une lanterne à court d’huile ne laissant que le boîtier. Désormais, il avait l’air… différent. Quand il la regardait, ne voyait-il qu’un fardeau ?

Min frissonna puis tenta de chasser cette idée de son esprit.

Rand enfila ses bottes et en ferma les boucles.

Puis il se leva et saisit l’épée appuyée contre son coffre à vêtements. Avec son dragon rouge et or, le fourreau noir reflétait la lumière. Une arme bien étrange, que les érudits avaient trouvée sous les statues submergées… L’épée semblait si vieille. Rand la portait-il comme un symbole ? Le signe, peut-être, qu’il chevauchait vers une bataille.

— Tu pars en chasse, c’est ça ? demanda Min. De Graendal, je veux dire…

— Autant régler les problèmes qui sont à ma portée, répondit Rand.

Il dégaina la lame et, du pouce, éprouva son tranchant. L’arme n’arborait pas de héron, mais son acier brillait à la lumière des lampes. Selon Rand, l’épée avait été forgée par le Pouvoir. Sur certains sujets, il savait des choses qu’il ne partageait avec personne.

Après avoir rengainé la lame, il regarda Min.

— « Occupe-toi des problèmes que tu peux résoudre et ne perds pas de temps avec les autres. » C’est Tam qui m’a dit ça, il y a longtemps. L’Arad Doman devra se débrouiller seul avec les Seanchaniens. Mais je peux lui donner un coup de main en éliminant la Rejetée cachée sur son territoire.

— Et si elle t’attendait ? dit Min. As-tu pensé que le gamin capturé par Nynaeve pouvait être un appât ? Placé là pour être démasqué et t’attirer dans un piège.

Rand réfléchit puis secoua la tête.

— Non, ça n’était pas ça. Moghedien aurait pu tendre un piège de ce genre, mais pas Graendal. Elle aurait trop peur que ça se retourne contre elle. Il faut agir vite, avant qu’elle se sache démasquée. Je dois frapper maintenant.

Min se leva.

— Tu m’accompagnes ? demanda Rand, l’air surpris.

La jeune femme s’empourpra.

Et si ça tourne mal, comme avec Semirhage ? Si je deviens une arme pour Graendal ?

— Oui, répondit-elle, essentiellement pour se prouver qu’elle ne baissait pas les bras. Bien sûr que je t’accompagne. Ne crois pas pouvoir me laisser en arrière.

— Je n’oserais même pas en rêver, lâcha Rand. Allons-y.

Min s’était attendue à plus de résistance.

Sur la table de nuit, Rand prit la statuette d’un homme qui brandissait une sphère. Faisant tourner le ter’angreal dans sa main, il regarda Min comme s’il voulait la défier.

La jeune femme ne dit rien.

Rand fourra l’artefact dans la grande poche de sa veste. L’épée forgée par le Pouvoir lui battant le flanc, il sortit de la chambre.

Min le suivit.

— Je vais au combat, dit-il aux deux Promises qui montaient la garde dans le couloir. Pas plus de vingt d’entre vous…

Les Aielles dialoguèrent via leur langage par gestes. L’une partit en avant alors que l’autre suivait Rand.