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— Combien d’autres seraient encore en vie s’il avait été impitoyable depuis le début ? S’il avait pu exposer ses alliés, comme il l’a fait avec Ramshalan ? S’il avait pu frapper sans se soucier de qui il tuait ? S’il avait envoyé ses hommes dans la forteresse, les pantins de Graendal auraient résisté, il y aurait eu plus de morts, et elle se serait échappée.

» Oui, il faut peut-être qu’il soit ainsi. L’Ultime Bataille est presque là, Min. Tarmon Gai’don ! Pouvons-nous envoyer face au Ténébreux un homme qui ne serait pas prêt à tout pour vaincre ?

Min secoua la tête.

— Devons-nous envoyer quelqu’un qui a cette lueur dans le regard ? Nynaeve, il se fiche de tout. Plus rien ne compte à ses yeux, à part vaincre le Ténébreux.

— N’est-ce pas ce que nous voulons de lui ?

— Je… La victoire n’en sera pas une si Rand devient aussi maléfique que les Rejetés. Nous…

— Je comprends ! coupa Nynaeve. Que la Lumière me brûle ! Je comprends, et tu as raison. Mais je déteste les conclusions que ça m’inspire.

— Quelles conclusions ?

— Par exemple, que Cadsuane avait raison… Détestable bonne femme ! Viens, nous devons la trouver et découvrir quels sont ses plans.

— Tu es certaine qu’elle en a ? Rand a été très dur avec elle. Elle est peut-être restée pour le voir échouer sans ses conseils.

— Non, elle a au moins un plan. S’il y a une certitude, sur cette femme, c’est qu’elle vit pour comploter. Nous devrons simplement la convaincre de nous laisser entrer dans son jeu.

— Et si elle refuse ?

— Elle acceptera. (Nynaeve regarda l’endroit où le portail avait entaillé le tapis.) Quand nous lui aurons raconté, pour ce soir, elle acceptera ! Cette femme m’horripile, et j’imagine que je lui tape sur les nerfs, mais aucune de nous deux, seule, ne peut gérer Rand. (Nynaeve fit la moue.) Même ensemble, je crains que nous n’y arrivions pas. En route !

Min suivit l’ancienne Sage-Dame. « Gérer » Rand ? C’était une partie du problème… Persuadées de devoir le contrôler, Nynaeve et Cadsuane n’avaient même plus idée qu’elles auraient peut-être dû chercher à l’aider. L’ancienne Sage-Dame aimait son « berger », mais elle le voyait comme un problème à résoudre, pas comme un homme en danger.

Sortant de la demeure, Nynaeve et Min traversèrent la cour – à la lueur d’un globe lumineux – et filèrent à l’arrière du bâtiment. Après avoir longé les écuries, elles se dirigèrent vers la petite maison du gardien. En chemin, elles croisèrent Alivia. Comme souvent, l’ancienne damane avait l’air dépitée. Sans doute parce que Cadsuane et les autres sœurs lui avaient battu froid. Pourtant, elle s’efforçait de les convaincre de lui apprendre de nouveaux tissages…

L’ancienne maison du gardien avait été réquisitionnée par Cadsuane, qui n’avait pas hésité à le ficher dehors. En bois jaune, c’était un modeste bâtiment au toit de chaume. Malgré l’heure tardive, de la lumière filtrait des volets.

Nynaeve toqua à la porte.

— Oui, mon enfant ? répondit Merise en entrebâillant le battant.

« Mon enfant » ! De sœur à sœur…

— Je dois parler à Cadsuane.

— Cadsuane Sedai ne veut pas avoir affaire avec toi pour le moment, répondit Merise en faisant mine de fermer la porte. Reviens demain. Elle daignera peut-être te recevoir.

— Rand al’Thor vient de détruire une forteresse et tous ses occupants, dit Nynaeve, assez fort pour qu’on l’entende dans la maison. Avec des Torrents de Feu. J’étais là.

Merise se pétrifia.

— Laisse-la entrer, dit la voix de Cadsuane.

À contrecœur, Merise ouvrit la porte en grand.

Dans la maison, Cadsuane était assise à même le sol, sur des coussins qu’elle partageait avec Amys, Bair, Melaine et Sorilea. En guise de décoration, le salon du gardien se contentait d’un joli tapis à peine visible sous cet aréopage de femmes. Dans la cheminée, un feu agonisait lentement. Dans un coin, sur un tabouret, Min remarqua une bouilloire d’infusion.

Nynaeve accorda à peine un regard aux Matriarches. Dès qu’elle avança, Min la suivit d’un pas un peu plus hésitant.

— Parle-nous de cet événement, mon enfant, dit Sorilea. D’ici, nous avons senti le monde trembler sur ses bases, mais sans pouvoir dire ce qui se passait. Nous avons pensé à quelque œuvre noire du Ténébreux.

— Je vous raconterai tout, promit Nynaeve, si vous me laissez participer à votre plan.

— Nous verrons, fit Cadsuane. Parle d’abord.

Min s’assit sur un tabouret, dans un coin, et Nynaeve raconta ce qui était arrivé au Tumulus de Natrin. Les Matriarches écoutèrent, les lèvres pincées. Cadsuane, elle, se contenta de hocher la tête de temps en temps.

Blanche de terreur, Merise remplissait des tasses d’infusion – à l’odeur, de la noire de Tremalking – comme un automate.

Toujours debout, Nynaeve arriva à la fin de son récit.

Rand, pensa Min, cette affaire doit te déchirer le cœur.

Non, dans le lien, elle sentait un froid glacial.

— Tu as bien fait de venir nous voir, mon enfant, dit Sorilea. Maintenant, tu peux te retirer.

Nynaeve écarquilla les yeux de fureur.

— Mais…

— Sorilea, intervint Cadsuane, coupant la chique à l’ancienne Sage-Dame, cette enfant pourrait nous être très utile. Elle est encore proche du garçon. La preuve, il l’a amenée avec lui.

Sorilea consulta du regard les autres Matriarches. Bair et Melaine acquiescèrent. Amys parut dubitative, mais elle ne dit rien.

— Peut-être, admit Sorilea, mais sera-t-elle obéissante ?

— Que réponds-tu à ça ? demanda Cadsuane à Nynaeve. (Toutes ces femmes faisaient comme si Min n’était pas là.) Le seras-tu ?

L’ancienne Sage-Dame bouillait encore de colère.

Nynaeve, obéir à Cadsuane et aux quatre autres ? Elle va les agonir d’injures.

L’ancienne Sage-Dame tira très fort sur sa natte.

— Oui, Cadsuane Sedai, fit-elle, je le serai.

Les Matriarches parurent surprises d’entendre ça. Pas Cadsuane, qui semblait avoir anticipé cette réponse. Qui aurait pu s’attendre à voir Nynaeve si raisonnable ?

— Assieds-toi, mon enfant, dit la légende. Voyons si tu peux exécuter des ordres. De la récolte actuelle, serais-tu le seul plant sauvable ?

Merise en rougit de rage.

— Non, Cadsuane, dit Amys. Pas le seul… Egwene aussi a de l’honneur.

Les autres Matriarches acquiescèrent.

— Quel est le plan ? demanda Nynaeve.

— Ton rôle sera de…, commença Cadsuane.

— Minute, dit Nynaeve. Mon rôle ? Je veux tout savoir.

— Tu sauras quand nous voudrons bien te le dire. Ne me fais pas regretter d’avoir parlé à ton avantage.

Nynaeve serra les dents, les yeux lançant des étincelles.

— Ton rôle, reprit Cadsuane, sera de trouver Perrin Aybara.

— Quel bien ça fera ? demanda Nynaeve. Hum, Cadsuane Sedai…

— C’est notre affaire, répondit la légende. Récemment, il voyageait dans le Sud, mais nous n’avons pas pu découvrir où, exactement. Le garçon le sait peut-être. Trouve Perrin, et je t’en dirai peut-être plus.

Nynaeve hocha la tête à contrecœur. L’oubliant, Cadsuane et les Matriarches se lancèrent dans un grand débat sur la quantité de Torrents de Feu que la Trame pouvait encaisser avant de se détisser.

L’ancienne Sage-Dame ouvrit grandes les oreilles, en quête d’indices sur le plan de Cadsuane. Mais elle ne glana pas grand-chose.

Min écouta à peine. Quel que soit le plan, quelqu’un devrait s’occuper de Rand. Quoi qu’il prétende, ce qu’il avait fait aujourd’hui le détruirait de l’intérieur. Et il y avait bien d’autres inquiétudes sur ce qu’il ferait pendant l’Ultime Bataille.