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Au bout d’une matinée interminable, des cliquetis de clés ramenèrent Egwene au présent. Puis la porte s’ouvrit pour laisser passer deux minces silhouettes – des sœurs rouges, que la prisonnière, éblouie par la lumière du couloir, ne parvint pas à identifier.

Alors qu’elle ne résistait jamais, ces femmes tirèrent Egwene dehors et la jetèrent sur le sol.

Même un peu sonnée, la captive entendit la lanière d’un fouet claquer sur la main d’une tortionnaire qui s’impatientait. En se raidissant pour mieux encaisser des coups, Egwene se jura que ces chiennes ne lui arracheraient que son rire, comme tous les jours précédents.

— Un moment, dit une voix.

Les bras qui tenaient Egwene se tendirent. La joue plaquée contre le sol glacial, la Chaire d’Amyrlin des rebelles crut reconnaître ce timbre très spécial.

Katerine… Bien sûr, ça ne pouvait être qu’elle.

Sans hâte, les sœurs qui tenaient Egwene relâchèrent leur prise. Puis elles la laissèrent se mettre debout.

Aveuglée par les lampes qui brillaient dans le couloir, la prisonnière dut cligner des yeux pour voir distinctement Katerine, debout en face d’elle, les bras croisés.

— Elle doit être libérée, dit la sœur rouge avec une évidente jubilation.

— Pardon ? s’écria une des deux autres Aes Sedai.

Sa vision s’accoutumant, Egwene vit qu’il s’agissait de la mince Barasine.

— La Chaire d’Amyrlin s’est avisée qu’elle punissait la mauvaise personne, dit Katerine. La faute ne repose pas sur cette insignifiante novice, mais sur la sœur qui la manipulait.

Egwene dévisagea Katerine. Soudain, tout se mit en place.

— Silviana, souffla-t-elle.

— Exactement, confirma Katerine. Si les novices font n’importe quoi, ne doit-on pas blâmer celle qui est chargée de les former ?

Donc, Elaida avait compris qu’elle ne pourrait pas prouver qu’Egwene était un Suppôt des Ténèbres. Détourner l’attention sur Silviana était bien joué. Si Elaida était punie pour avoir utilisé le Pouvoir sur une novice, la sentence qui frapperait Silviana, coupable d’avoir laissé Egwene « dérailler », lui permettrait de sauver la face.

— Je pense que notre Mère a fait un très bon choix, dit Katerine. Egwene, désormais, tu ne seras plus formée que par la Maîtresse des Novices.

— Silviana ? Celle qui a échoué, d’après toi ?

— Pas elle, non… (Elle débordait de satisfaction et ne parvenait pas à le cacher.) La nouvelle Maîtresse des Novices.

Egwene soutint le regard de la sœur rouge.

— Je vois… Et tu crois pouvoir réussir là où Silviana a échoué ?

— Tu verras bien… (Katerine se détourna et s’éloigna dans le couloir.) Ramenez-la dans sa chambre.

Egwene secoua la tête. Finalement, Elaida était plus compétente qu’elle l’avait cru. Ayant compris que l’incarcération ne marchait pas, elle s’était vengée sur un bouc émissaire. Mais destituer Silviana, quand même… Un sale coup pour le moral de la tour, parce que beaucoup de sœurs tenaient Silviana pour une Maîtresse des Novices exemplaire.

À contrecœur, les deux harpies rouges escortèrent Egwene jusqu’aux quartiers des novices, désormais situé au vingt-deuxième niveau. Moroses, ces femmes semblaient regretter de n’avoir pas pu rosser la prisonnière.

Egwene fit comme si elles n’existaient pas. Après des jours d’emprisonnement, pouvoir marcher était une expérience exaltante. Avec deux geôlières aux basques, ça n’était pas la liberté, mais ça y ressemblait beaucoup. Maintenant qu’elle en était sortie, Egwene se demanda combien de jours elle aurait encore tenu dans son trou à rats.

Mais elle avait gagné. Bien sûr ! Pourquoi ne s’en avisait-elle que maintenant ? Elle avait gagné ! Confrontée à la pire punition dont disposait Elaida, elle était sortie victorieuse de l’épreuve. L’usurpatrice serait punie par le Hall, et la vraie Chaire d’Amyrlin recouvrerait la liberté.

Dans chaque couloir, les lampes semblaient féliciter Egwene. Chacun de ses pas, s’aperçut-elle, équivalait au défilé triomphal de mille hommes après une victoire. Oui, elle triomphait ! La guerre n’était pas terminée, mais elle avait remporté une bataille.

La jeune femme et ses geôlières montèrent pas mal de marches, puis elles entrèrent dans la partie la plus peuplée de la Tour Blanche. Dès que des novices aperçurent Egwene, elles se parlèrent un moment à voix basse, puis s’éparpillèrent comme une volée de moineaux.

En avançant, Egwene et les sœurs rouges croisèrent de plus en plus de monde. Des sœurs de tous les Ajah, bien entendu, l’air occupées comme d’habitude, mais qui ralentissaient le pas lorsqu’elles reconnaissaient Egwene. Les Acceptées, avec leurs sept bandes de couleurs aux poignets et à l’ourlet, se montrèrent beaucoup moins distraites. Immobiles aux intersections de couloirs, elles restaient carrément bouche bée sur le passage de la « revenante ».

Quelle surprise de la revoir ! Pourquoi l’avait-on libérée ?

Toutes ces femmes semblaient tendues. S’était-il passé quelque chose dont Egwene n’avait pas été informée ?

— Egwene, dit une voix dans un couloir latéral, tu es déjà libre ? Excellent, ça ! Il faut que nous parlions.

Surprise, Egwene tourna la tête pour découvrir Saerin, la représentante marron si posée et réfléchie. La cicatrice, sur sa joue, lui donnait un air bien plus impressionnant que celui de la plupart des sœurs. Signalant son grand âge, ses boucles blanches renforçaient ce sentiment. Dans l’Ajah Marron, très peu de sœurs méritaient le qualificatif d’« intimidantes ». Sans nul doute, Saerin faisait partie des rares exceptions.

— Nous la conduisons dans sa chambre, dit Barasine.

— Eh bien, je lui parlerai en chemin.

— Elle n’est pas censée…

— Tu interdirais quelque chose à une représentante, sœur rouge ?

Barasine s’empourpra.

— La Chaire d’Amyrlin sera très mécontente.

— Alors, laisse-nous et cours la prévenir. En t’attendant, je débattrai de sujets importants avec la jeune al’Vere. (Saerin foudroya les deux sœurs rouges.) Laissez-nous un peu d’air, je vous prie.

Après avoir en vain tenté d’impressionner Saerin, Barasine et sa collègue s’écartèrent.

Egwene avait observé la scène avec un grand intérêt. Apparemment, l’autorité d’Elaida – et de l’Ajah Rouge – en avait pris un coup.

Saerin tourna la tête vers Egwene et lui fit signe d’avancer. Ensemble, les deux femmes remontèrent un couloir, les sœurs rouges à leur traîne.

— En étant vue avec moi, dit Egwene, tu prends un risque.

— Sortir du quartier de son Ajah est déjà un risque, de nos jours. Je suis trop frustrée et inquiète pour me soucier de ces choses-là. De plus, être vue avec toi peut s’avérer très gratifiant. En rudoyant Barasine, j’ai voulu vérifier quelque chose.

— Quoi donc ? demanda Egwene.

— Eh bien, j’ai cherché à savoir si ces sœurs pouvaient être remises à leur place. Parmi les Aes Sedai rouges, ta libération ne passe pas. Elles tiennent ça pour le plus grave échec d’Elaida.

— Elle aurait pu me tuer il y a des jours, rappela Egwene.

— Oui, mais ça aussi, ç’aurait été vu comme un fiasco.

— Aussi grave que d’avoir dû destituer Silviana ? Ou d’avoir soudain décidé qu’elle était à blâmer, plus d’une semaine après les faits ?

— C’est ce qu’on t’a dit ? Elaida serait tout d’un coup arrivée à cette décision toute seule ?

Saerin plissa le front.

— Au cours d’une session plénière du Hall, Silviana a demandé à être entendue. Devant les représentantes au complet plus Elaida en personne, elle a affirmé que tu n’étais pas traitée selon nos lois. Ce qui est la vérité, très certainement. Même si tu n’es pas une sœur, tu n’aurais pas dû subir ça. (Saerin chercha le regard d’Egwene.) Silviana a exigé ta libération. On dirait bien qu’elle te tient en estime. De la fierté dans la voix, elle a évoqué ton courage face aux punitions, comme si tu étais une élève qui a bien appris sa leçon, mais qu’on menace. Ensuite, elle a nommément accusé ta rivale, demandant qu’on lui retire son étole. C’était un moment… extraordinaire.